Après plusieurs semaines d’incertitudes quant à la tenue de la présidentielle 2019, le chef de l’État a convoqué le corps électoral vendredi 18 janvier. La date du scrutin est fixée au jeudi 18 avril. C’est la fin d’un suspense, le début d’un autre.
Cette fois, le doute entoure la candidature de Bouteflika pour un cinquième mandat, vu son état de santé. Victime d’un AVC en 2013, il ne s’est pas adressé au peuple directement depuis près de six ans. Mais les partis de l’Alliance l’appellent le 2 février à « continuer son œuvre ».
Le 10 février, dans une lettre-programme, il annonce officiellement son intention de se représenter, promettant d’organiser, s’il est réélu, une Conférence nationale inclusive qui débattra de profondes réformes politiques et économique.
Entre-temps, d’autres candidats potentiels s’étaient déclarés, comme Ali Ghediri, Abderrazak Makri, Ghani Mehdi et Rachid Nekkaz. D’autres acteurs politiques, dont Benflis et Louisa Hanoune, préfèrent temporiser, tandis que le RCD et le FFS avaient déjà tranché pour le boycott.
Les choses se sont donc accélérées le 10 février avec la nomination de Tayeb Belaïz au poste vacant de président du Conseil constitutionnel et de Abdelmalek Sellal comme directeur de campagne du président-candidat. La pré-campagne peut commencer et la réélection de Bouteflika ne faisait pas l’ombre d’un doute.
Sauf que, dès le 13 février, des jeunes commencent à manifester sporadiquement aux quatre coins du pays contre le cinquième mandat. Bordj Bou Arréridj, puis Oran, Annaba et surtout Kherrata, dans la wilaya de Béjaïa où une marche organisée le 16 février a drainé une immense foule, donnant le coup d’envoi à une mobilisation sans précédent contre le pouvoir.
Le 19 février, des centaines de jeunes se rassemblent devant la mairie de Khenchela en soutien au candidat Rachid Nekkaz, venu collecter des parrainages. Ils ouvrent de force le siège de l’APC fermé par maire et arrachent et piétinent un poster géant du président de la République. Une première. Un acte symbolique qui accélérera le mouvement de contestation du cinquième mandat. Le soir même, le maire d’obédience FLN est suspendu et traduit devant la justice pour des affaires antérieures. Il sera condamné à cinq ans de prison ferme pour des affaires de corruption.
Sur les réseaux sociaux, des appels à des marches le 22 février sont lancés. Personne n’a pris au sérieux le mouvement de contestation du cinquième mandat jusqu’à cette journée historique de vendredi 22 février. Des dizaines de milliers de citoyens battent le pavé à travers le pays. La marche la plus imposante a eu lieu à Alger où les manifestations publiques sont interdites depuis juin 2001.
Les Algériens impressionnent par leur mobilisation et surtout par le pacifisme. Le pouvoir et ses soutiens, notamment les partis de l’Alliance, sont pris de court. Personne n’a rien vu venir. L’excès de zèle et la surenchère cèdent la place au silence et au profil bas. Le 24 février, le mouvement Mouwatana entretient la flamme en organisant un rassemblement au centre d’Alger. Le 26, les étudiants enflamment les campus et les rues à travers le pays.
Le mouvement prend de l’ampleur et se radicalise dans ses revendications, tout en restant pacifique. C’est le départ de tout le système qui est maintenant réclamé. Toujours le 26 février, le chef d’état-major de l’armée sort du silence et un petit cafouillage s’ensuit. Une vidéo dans laquelle Ahmed Gaid-Salah prend position clairement contre les manifestations est retirée par l’ENTV. Pendant ce temps, les appels, toujours anonymes, à une autre marche historique se multiplient.
Vendredi 1er mars, c’est sans surprise que des millions d’Algériens manifestent spontanément et toujours pacifiquement. A Alger, on parle de près d’un million de manifestants, selon des chiffres obtenus par TSA auprès de la police. Quasiment tous les dirigeants de l’opposition ont pris part à la marche ainsi que des personnalités emblématiques, comme l’investisseur Issad Rebrab qui a vu ses projets bloqués durant le quatrième mandat de Bouteflika, et l’icône de la guerre de Libération, Djamila Bouhired, qui n’a jamais caché son aversion pour le système. Des casseurs sortis de nulle part ont tenté de mettre le feu aux poudres, mais sans succès, même si on déplore des blessés et un décès.
Le maintien de Bouteflika au pouvoir ne tient qu’à un fil. D’autant plus qu’au moment où le peuple battait le pavé pour réclamer son départ, il était toujours hospitalisé en Suisse où il a été évacué le 24 février, officiellement pour des « contrôles périodiques » et pour une « courte durée ».
Au 2 mars, seuls trois dossiers sont réceptionnés par le Conseil constitutionnel, dont celui de Abdeaziz Belaïd. Makri et Louisa Hanoune annoncent leur retrait. Benflis et Ghediri préfèrent attendre la dernière minute. Le président n’était toujours pas rentré de Suisse et, coup de théâtre, il limoge son directeur de campagne, Abdelmalek Sellal et le remplace par le ministre des Travaux publics Abdelghani Zaâlane. C’est celui-ci qui devrait déposer le dossier de candidature de Bouteflika au Conseil constitutionnel dont le siège est quadrillé dès la matinée de ce 3 mars par d’importants renforts de police. Bouteflika est décidé à aller au bout de sa logique. La rue aussi. Cette journée du 3 mars s’annonce décisive.