Que faudra-t-il donc pour que les Algériens cessent de sortir en masse dans les rues ? Sans doute plus que les fausses solutions que propose le pouvoir chaque mardi par la voix du chef de l’armée et bien plus que les menaces, intimidations et autres manœuvres auxquelles on assiste maintenant depuis près d’un mois et demi.
Ce 26 avril, ils ont encore marché par millions dans toutes les villes du pays, Alger en tête, pour le dixième vendredi de suite. Dans la capitale, la mobilisation a été au rendez-vous. Les rues et places du centre-ville, toujours les mêmes, étaient noires de monde et on a assisté à une autre manifestation imposante. Cela est d’autant plus significatif que la gendarmerie a tout fait à la périphérie de la ville et même sur les axes routiers dans certaines wilayas pour bloquer l’accès à la capitale pour de nombreux manifestants.
L’autre mérite du mouvement populaire est d’avoir déjoué les manœuvres tendant à lui tordre le cou par les menaces de répression et les tentatives de division. Dans les rues d’Alger et d’ailleurs, les manifestants ont signifié pour la énième fois que rien ne les arrêtera et surtout, rien ne viendra à bout de leur unité.
Après dix semaines de marches et autres actions, la mobilisation est donc intacte et le mouvement se porte plus que jamais bien. Le temps n’a pas fait son œuvre et ceux qui misaient sur la lassitude des citoyens n’ont pas vu juste. Tout comme se sont gourés ceux qui croyaient pouvoir contenter la rue par l’incarcération de certaines figures proches de l’ancien président. L’arrestation de Haddad et des Kouninef, la convocation d’Ouyahia ou le déterrement du dossier de Chakib Khelil ont été salués, sans plus.
Cela n’est pas sans rappeler les marches du 5 avril qui avaient vu les Algériens mettre la démission de Bouteflika dans la case du non-événement. L’opération « mains propres », qui pour la première fois ignore le menu fretin pour s’intéresser aux gros poissons, n’a pas fait perdre de vue aux Algériens l’objectif pour lequel ils battent le pavé depuis dix semaines, soit la mise en place d’une véritable transition qui débouchera sur des élections propres et un changement de système. Bref, une transition sans les deux B restants. Or, c’est précisément sur ce point que le pouvoir ne veut rien céder avant d’avoir tout essayé.
Cette semaine encore, celui qui s’est imposé comme l’interlocuteur du peuple depuis presque le début de la crise, le chef d’état-major de l’armée Ahmed Gaïd-Salah, a de nouveau soufflé le chaud et le froid sur la question. Mardi, il a réitéré la sacralité de sa solution constitutionnelle, menacé ceux qui empêchent les visites ministérielles et brandi le spectre d’une crise économique et de la dégradation du pouvoir d’achat. Le jour même, il s’est rétracté de manière spectaculaire, laissant ouverte la porte à d’autres propositions et d’autres solutions.
Cette inconstance dans le discours a logiquement valu au général plus de critiques que d’habitude sur les pancartes de ceux qui ont marché ce vendredi. Les manifestants lui ont de nouveau rappelé que son obstination à ne pas sortir du cadre constitutionnelle ne fait qu’enfoncer le pays dans l’impasse et ne pourra déboucher, au mieux, que sur des institutions illégitimes. L’armée nationale et son chef sont plus que jamais devant une responsabilité historique. Plus vite ils agiront, mieux ce sera.