Les Algériens ont marché partout en Algérie pour dire, dans un douzième vendredi consécutif, leur volonté de changement réel de pouvoir et et leur rejet définitif de la feuille de route que propose celui-ci qui veut, coûte que coûte imposer les élections présidentielles du 4 juillet comme seule issue à la crise.
Ni la chaleur ni la soif ou la faim de ce cinquième jour et premier vendredi de Ramadan n’ont découragé les manifestants à sortir s’exprimer par la rue de façon pacifique.
La mobilisation intacte
Beaucoup attendaient, certains, sûrement, espéraient même que la mobilisation baisse drastiquement ou disparaisse totalement dès les premiers jours de Ramadan. Mais la détermination de millions d’Algériens sortis braver les durs conditions de ce Ramadan estival ont démenti tous leurs pronostics.
À l’est, à l’ouest, au sud ou au nord du pays, des dizaines de milliers de manifestants, des centaines de milliers dans certaines grandes villes, ont marché ce vendredi 5 mai. Certaines villes ont même vu la mobilisation progresser par rapport aux semaines précédentes. C’est notamment le cas de Bordj Bou Arréridj qui est, décidément, la capitale du « hirak ».
À Alger, où certains voyaient, depuis quelques semaines déjà, des signes annonciateurs de l’arrêt des actions de rue à cause de l’essoufflement et de la démobilisation, le nombre de manifestants lors de ce premier vendredi de Ramadan a été certes moins important que lors des vendredis précédents mais il a été, au vu des conditions climatiques, du jeûne et des dispositifs sécuritaires déployés, plus qu’impressionnant. Au plus fort de la manifestation, les rues Didouche Mourad et Hassiba Ben Bouali, le boulevard Amirouche, la place Maurice Audin et l’esplanade de la Grande Poste étaient noirs de monde.
Après avoir désamorcé les conflits et les divisions qui, au final, n’existent pratiquement que sur les réseaux sociaux et certains médias, après avoir résisté à la tentation de la violence, après avoir maintenu la mobilisation à son plus haut malgré les manœuvres politiques du pouvoir et même de certains courants politiques dits de l’opposition, après avoir déchiffré et contré avec succès les fausses solutions qui lui ont été proposées par le pouvoir et d’autres cercles, le mouvement populaire a réussi, ce vendredi, une énième épreuve.
Et quelle réussite ! Ni violences, ni désordres n’ont été signalés dans aucune ville du pays, aucun acte de vandalisme ni d’altercation entre manifestants ou entre manifestants et forces de police n’ont été signalés dans la trentaine de villes où ont eu lieu des manifestations. Reproduire une telle prouesse de non-violence et de civisme pour la douzième fois, dans des conditions difficiles de ce Ramadan est un exploit du peuple algérien que l’histoire retiendra.
Les Algériens savent ce qu’ils veulent
Alors que la mobilisation reste intacte, malgré ce changement brusque et négatif des conditions dans lesquelles les Algériens manifestent, le mouvement populaire semble avoir pris un virage politique important. Alors qu’à ses débuts le rejet du cinquième mandat de Bouteflika faisait l’unanimité parmi les manifestants de tout le pays, le consensus commençait à s’estomper avec la multitude de solutions proposées après l’annonce du départ de Bouteflika. Des divisions étaient perceptibles au sein de l’opinion, notamment depuis l’irruption le début des poursuites judiciaires contre des oligarques et personnalités politiques.
Ce vendredi, même si des divergences sur les détails ont été enregistrées, un nouveau consensus semble se dessiner autour du rejet par les manifestants à travers tout le pays des élections du 4 juillet et de la revendication du départ de Bensalah, Bedoui, du gouvernement, de Fenniche et de toutes les figures du système.
« Makach intikhabate mâa lâaissabate! » (Pas d’élections avec les bandes!), « pas d’élections sous Bedoui le fraudeur! », « oulach lvote oulach! » (pas de vote!), ont scandé les manifestants à travers tout le pays, répondant au gouvernement et au chef de l’État qui poursuivent les préparatifs des élections du 4 juillet et au chef d’état-major de l’ANP qui tient lui aussi à rester « dans le cadre constitutionnel » et à la tenue de ce scrutin « dans les plus brefs délais ».
Alors que le rejet des élections, de Bensalah, de Bedoui et du gouvernement est désormais unanime au sein de la société algérienne, la figure et les positions du chef de l’état-major continuent de diviser l’opinion.
Partout à travers le pays, des slogans hostiles et d’autres favorables à Gaid Salah ont été scandés, même si les premiers ont été, ce vendredi, plus nombreux que lors du vendredi précédent. Les mots d’ordre concernant le chef de l’armée vont des appels à « agir plus et à parler moins », aux « Gaid dégage ! ».
La position du général concernant les élections est derrière ce revirement et cette fracture dans l’opinion. Ce vendredi matin, à Alger-centre, alors qu’à la Grande Poste les manifestants étaient résolument hostiles à la feuille de route du chef de l’état-major, sur la place Maurice Audin, un autre groupe de manifestants brandissait des banderoles et des pancartes sur lesquelles étaient inscrits des slogans pro-armée, pro-Gaid et scandaient « djeich chaâb khawa khawa! ». « Il n’y a que ton ennemi qui puisse s’attaquer à l’armée de ton pays », ‘il n’y a que les traîtres qui dénigrent le chef de l’état-major », ont également inscrit quelques marcheurs sur des pancartes.
Quelle que soit leur opinion concernant le chef de l’armée, les Algériens semblent regarder plus loin et avoir sur la situation politique du pays une vision plus globale. En insistant sur le départ des deux B restants, en insistant sur une transition en dehors du système, en rejetant la tenue des élections sous l’égide de l’actuel chef de l’État et organisé par l’actuel gouvernement, les Algériens prouvent qu’ils ne perdent pas le nord après plus de deux mois de mobilisation nationale et de nombreux retournements de situations et de développements spectaculaires.
Jusqu’à jeudi soir, le pouvoir s’entêtait à imposer sa feuille de route et ses élections du 4 juillet, ce vendredi, les Algériens ont répondu ont montrant à leur tour, leur entêtement à réclamer un véritable changement. Le bras de fer est parti pour durer.