Quarante-deux ans et 21 ans sont passés sur ce que l’histoire a retenu respectivement comme « le printemps berbère » et « le printemps noir de Kabylie ».
L’analogie entre les deux événements ne s’arrête pas à la date, au lieu de leur déroulement et aux revendications soulevées. Ils procèdent aussi de la même réaction populaire spontanée au déni de justice et à l’arrogance de l’administration. Ils sont surtout reconnus comme des jalons importants sur le chemin des luttes démocratiques en Algérie.
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Tout au long des mois de mars et avril 1980, la Kabylie a vécu au rythme de manifestations et d’émeutes. A Tizi-Ouzou, Bejaïa et même Alger, étudiants et citoyens sont sortis dans la rue dans le cadre d’un mouvement homogène pour la première fois depuis l’indépendance.
L’histoire a retenu la date du 20 avril car c’est pendant cette journée que la répression a atteint son paroxysme avec l’assaut donné par la police contre une résidence universitaire de Tizi-Ouzou, surprenant les étudiants dans leur sommeil.
Tout était parti d’une décision zélée et irréfléchie de l’administration. Le 10 mars, le wali de Tizi-Ouzou a décidé d’interdire une conférence académique de l’écrivain Mouloud Mammeri, portant sur une thématique anodine, les poèmes kabyles anciens.
Le motif invoqué était paradoxalement le « risque de troubles à l’ordre public ». La contestation estudiantine a vite débordé sur les manifestations de rue et des revendications qui vont au-delà de la question identitaire.
La bourde du wali, qui n’est en fait que l’étincelle qui a embrasé la forêt des colères refoulées depuis l’indépendance, aura eu des conséquences lourdes.
Même si aucun acquis ne sera arraché dans les années qui suivront les évènements, acteurs de l’époque, analystes et historiens s’accordent à reconnaître au printemps berbère de Tizi-Ouzou le mérite d’avoir brisé le mur de la peur et l’unanimisme du parti unique pour baliser la voie à « la révolution » d’octobre 1988 qui apportera le multipartisme et même, pour quelques années, l’amorce d’une véritable démocratisation du pays.
Revendication centrale : démocratie véritable et Etat de droit
Les étapes clés de la marche du peuple algérien vers la démocratie se déclinent comme la trame du même feuilleton. En 2001, c’est la remise en cause des acquis d’octobre qui fera sortir de nouveau la Kabylie dans la rue.
Là aussi, il a suffi d’une étincelle, la bavure d’un gendarme doublée du mépris d’un ministre. Le 18 avril, Guermah Massinissa, un lycéen de 18 ans qui s’apprêtait à passer son Bac, est tué par balles dans une brigade de gendarmerie à Béni Douala.
A la télévision publique, le ministre de l’Intérieur, Yazid Zerhouni, prend la défense du coupable et qualifie la victime de « voyou ». C’est plus cette arrogance que la bavure elle-même qui a mis le feu aux poudres.
Pour encadrer la contestation, le mouvement des « Arouch » est né et se dote d’une plateforme en 14 points, joignant la revendication identitaire, la démocratisation du pays et l’instauration d’un état de droit véritable, outre la prise en charge des retombées des évènements.
Le mouvement durera plus de trois ans et permettra d’arracher quelques acquis, comme la constitutionnalisation en 2002 de la langue amazighe en tant que langue nationale, avant d’être promue langue officielle en 2016.
Mais c’était au prix d’un bilan humain très élevé. 128 jeunes ont trouvé la mort, des dizaines d’autres estropiés. Plus de vingt ans après, hormis le gendarme de Béni Douala, condamné à une légère peine de prison, aucun responsable n’est jugé pour ce carnage.
Abdelaziz Bouteflika, président de la République pendant les évènements, est mort en 2021 sans s’expliquer sur sa responsabilité, mais c’est un mouvement de la même essence qui aura mis fin à son règne en 2019.
Le 22 février, l’étincelle était le projet fou du président de briguer un cinquième mandat, mais comme en 1980 et en 2001, la même revendication centrale a vite pris le dessus : démocratie véritable et Etat de droit.