Le hirak populaire, qui a bouclé la semaine passée son sixième mois, en est à son vingt-huitième vendredi. C’est le dernier de la « permanence estivale », tel que les internautes et les activistes ont appelé le maintien de la mobilisation flamme durant le ramadhan et les mois de l’été.
Même si les marches sont loin d’égaler celles des premières semaines de la contestation en termes de mobilisation, il reste que le défi est relevé et le mouvement populaire s’est offert plus qu’une « permanence », puisque les Algériens ont manifesté en masse sans discontinuer en dépit du jeûne puis de la forte chaleur.
Beaucoup ont relevé la reprise progressive de la forte mobilisation depuis au moins deux semaines et s’attendent du coup à la reprise des manifestations record dès la rentrée avec le retour des vacanciers, la rentrée des étudiants et la fin des chaleurs caniculaires.
Le vrai test sera donc la grande journée de mobilisation du 6 septembre qui coïncidera avec le vingt-neuvième vendredi. En attendant, les animateurs du hirak peuvent tirer un premier bilan d’étape et se targuer déjà du maintien de la flamme et surtout du caractère pacifique de la contestation et de l’unité de toutes ses composantes, enjeux majeurs devant les tentatives répétées d’intimidation et de division.
Sur le plan politique, même si les acquis se limitent à l’empêchement du cinquième mandat et au déclenchement d’une vaste chasse judiciaire à la corruption et aux corrompus, le mouvement populaire a le mérite d’avoir empêché le pouvoir d’imposer sa feuille de route, donc sa solution qui n’offre aucune garantie contre le retour aux anciennes pratiques.
La plus notable des réalisations de la mobilisation citoyenne depuis la démission du président Bouteflika c’est sans doute le torpillage de la présidentielle que le pouvoir tenait à organiser le 4 juillet dernier dans la précipitation et avec le personnel et le dispositif réglementaire hérités de l’ancienne équipe dirigeante.
Le pouvoir s’était résigné à reporter le scrutin faute de caution de l’opposition qui, pour la première fois en trente ans de multipartisme, a unanimement refusé de s’inscrire dans une démarche du pouvoir.
Elle s’apprête même à lui infliger un autre camouflet, ou tout au moins à ne lui laisser que le coup de force comme alternative, en rejetant le plan en cours, celui d’aller vers une élection présidentielle dans des conditions que tout le monde sait aux antipodes d’un climat apaisé et propice à l’expression du libre choix du peuple.
Une ultime prouesse à réaliser
En début de semaine, toute l’opposition était représentée à la rencontre organisée par la société civile au Palais des expositions d’Alger et ce sont désormais toutes les formations politiques du pays –hormis les soutiens traditionnels du régime- qui parlent d’une seule voix, du moins concernant la nécessité d’apaiser la situation avant d’enclencher quoi que ce soit.
L’espoir d’une opposition unie pour le changement du système politique n’est plus une utopie et cela n’aurait pas été envisageable sans la pression du hirak.
Les images de certains hommes politiques malmenés par les manifestants et les slogans scandés chaque vendredi et mardi, mettant en garde contre toute velléité de compromission, sont pour beaucoup dans cet éveil de l’opposition politique algérienne.
Parfaite illustration de cette influence de la rue, le panel de Karim Younès a perdu l’un de ses plus illustres membre, Smaïl Lalmas, un économiste très estimé du hirak, très vite « raisonné » par les manifestants.
Sans le maintien de la contestation et la vigilance de ses animateurs, l’opposition, dont une partie est rodée aux compromissions et une autre sujette à des crises internes, aurait déjà cédé. Il reste maintenant au mouvement populaire une ultime et décisive prouesse à réaliser : faire pencher la balance au sein du pouvoir en faveur de l’option la plus souhaitable, celle de la concession, de l’apaisement et du changement radical d’un système devenu obsolète et impossible à réformer.