Après les partis politiques, les institutions. Dans le sillage du FLN, du RND et de TAJ, le président du Conseil de la Nation, Abdelkader Bensalah, a appelé ce lundi 2 juillet le président de la République à briguer un cinquième mandat à la tête de l’État.
Pour un personnage constant dans son soutien aux initiatives du pouvoir, il n’y a rien de plus normal que de marcher sur les pas des deux partis de la majorité en appelant le chef de l’État à « poursuivre son œuvre ».
Sauf que, à y voir de plus près, il ne s’agit pas tout à fait de cela. « Les membres du Conseil de la Nation demandent au président Abdelaziz Bouteflika de poursuivre son parcours », a-t-il déclaré dans son discours à l’occasion de la clôture de la session d’automne de la chambre haute du Parlement.
La formulation ne souffre aucune ambiguïté : Bensalah a adossé son appel à l’institution qu’il préside, donc à tous ses membres. Ce qui, juridiquement et politiquement, constitue sans doute une entorse.
D’abord, le Sénat est une institution de la République censée se limiter à sa seule mission constitutionnelle qui est de faire une dernière lecture des lois. Nul n’a donc le droit de l’impliquer dans une joute politique, y compris son président.
Pas plus qu’il n’est autorisé à parler au nom des membres censés avoir des sensibilités politiques différentes. Si le problème ne risque pas de se poser pour les 48 sénateurs du tiers présidentiel et ceux des deux partis majoritaires (43 pour le FLN et 40 pour le RND), on ne peut pas dire autant pour les 13 élus restants, indépendants ou issus du FFS et d’autres partis.
Ceux du parti cher à feu Hocine Aït Ahmed ont déjà fait part de leur désapprobation, estimant que « ceux qui utilisent les instances législatives et exploitent la majorité numérique favorable au système doivent respecter les limites de la moralité politique et respecter les institutions législatives et arrêter d’utiliser des institutions souveraines plurielles comme comités de soutien au pouvoir ». Aussi, d’autres démarcations publiques de la démarche de Bensalah ne sont pas à exclure dans les prochains jours.
Au-delà de ces entorses, il s’agit aussi d’une énième maladresse qui ne fera qu’ajouter du discrédit au prochain scrutin autour duquel le scepticisme grandit chaque jour un peu plus.
Cela dit, avec cette sortie de Bansalah, peut-on dire que l’option du cinquième mandat est définitivement retenue ? À ne s’en tenir qu’à l’aspect formel, la réponse est oui.
À dix mois du scrutin présidentiel de 2019, les habituels soutiens du pouvoir, tous poids confondus, se sont positionnés solennellement et rien ne permet de déceler dans leurs déclarations qu’ils ont d’autres plans que celui de la continuité.
Le premier à le faire fut le secrétaire général du FLN, il y a près de trois mois, suivi, même avec un certain retard diversement interprété, par Ahmed Ouyahia, chef du RND, deuxième force politique du pays en termes de présence dans les assemblées élues, puis par l’autre soutien inconditionnel du président, le parti Taj de Amar Ghoul.
Peut-être maladroitement, mais Bensalah vient de placer une autre pièce dans le puzzle. Les ralliements à venir du président de l’APN Saïd Bouhadja, qui l’a insinué en déclarant que « les choix du président ont atteint leurs objectifs », et de Amara Benyounès, chef du MPA, ne feront que conforter l’idée que la grande question est tranchée à l’unanimité et que les composantes du système n’ont par conséquent aucune bonne raison de s’entredéchirer.
Des indices qui ne trompent pas ?
Mais au vu des péripéties de ces derniers mois et semaines, il est difficile de croire que c’est réellement le cas, d’autant plus que, dans le fonctionnement du système politique algérien, le cadre officiel n’est souvent que la vitrine par laquelle on montre ce qu’on veut bien montrer.
D’abord, un élément central manque à l’équation, à savoir la position du premier concerné. Le président Bouteflika ne s’est toujours pas prononcé sur ses intentions, du moins publiquement, et les sorties des chefs de partis ou d’institutions ne sont en fait que des « sollicitations » et non un soutien franc à une candidature déclarée.
Ould Abbes, Ouyahia et tous les autres ont précisé dans leurs appels respectifs que la décision finale revenait au chef de l’État. Comprendre, Bouteflika n’a pas encore tranché.
Aussi, on ne peut occulter les attaques, frontales ou sournoises, subies pendant de longs mois par Ahmed Ouyahia de la part de Djamel Ould Abbes. Le doute est également permis quand on se rappelle que le même Premier ministre a été plus d’une fois recadré et désavoué publiquement par le président de la République sur des questions économiques et sociales.
Il y a eu aussi le grand ménage auquel s’est adonné le SG du FLN qui a mis à la porte presque la totalité des membres du Bureau politique sans passer par l’instance compétente dans ce cas d’espèce, à savoir le Comité central dont les assises sont inexplicablement reportées à plusieurs reprises.
La décision est entre les mains du président
Et comme pour brouiller davantage la visibilité éclate cette scabreuse affaire de la cocaïne. Même si elle est loin d’être banale au vu de l’important trafic de drogues dures sur lequel elle porte, l’affaire Chikhi n’aurait jamais, dans des circonstances normales, débordé du cadre judiciaire.
L’instruction aurait suivi son cours dans le secret et la sérénité des bureaux des juges et procureurs, sans fuites, organisées ou pas, ni interprétations, fondées ou farfelues, si la situation politique n’est pas ce qu’elle est à moins d’une année d’une échéance politique déterminante ; c’est-à-dire vaporeuse et sans certitudes.
Surtout si l’histoire récente du pays n’était pas pavée d’épisodes similaires à chaque fois que se profilait à l’horizon une joute de succession à la tête de l’État. On pense notamment à tout le linge sale du pouvoir étalé sur la place publique lors du dernier été de la présidence de Liamine Zeroual, en 1998, sous forme de scandales judiciaires et d’affaires de mœurs impliquant des acteurs clés de l’échiquier politique de l’époque ou leurs proches.
Certes, tout cela peut relever de la supputation et il est prématuré de parler de succession tant que le président Bouteflika n’aura pas fait part de ses intentions. Une certitude tout de même, la décision est entre ses mains, qu’il choisisse de continuer ou de passer le relais.
Même dans ce dernier cas de figure, il aura sans doute son mot à dire dans le choix de son successeur. Les prétendants, eux, semblent se préparer à toutes les éventualités, d’où peut-être les tiraillements auxquels on assiste mais aussi ces positionnements prématurés.