Le Real Madrid de Zinedine Zidane dispute, ce samedi 26 mai à Kiev, sa troisième finale consécutive de Ligue des champions. À quelques jours du match Real Madrid- Liverpool, TSA s’est rendu à Aguemoun, le village natal des parents de Zidane. Reportage.
Pour se rendre au village d’Aguemoun, à partir de la route nationale RN 9 qui longe la côte est de Béjaïa, il faut aller jusqu’à la station balnéaire de Tichy et entamer la montée à partir du quartier de Bacarau. Ou alors prendre un raccourci au niveau du lieu-dit « Numéro 10 » situé sur la route nationale. « C’est ainsi qu’on appelle l’endroit depuis toujours. Je pense que c’est en raison de la distance qui le sépare de Béjaïa, soit dix kilomètres », explique un habitant.
Aucun lien donc avec la belle carrière de Zizou, considéré comme l’un des meilleurs « numéro 10 » de l’histoire du football. Une coïncidence ou alors un heureux présage… Aguemoun est à une vingtaine de kilomètres de là.
C’est de cette bourgade perdue au milieu d’innombrables collines presque uniformes qu’est parti Smaïl Zidane, dans les années 50, avec une ambition aux limites pathétiques : trouver du travail de l’autre côté de la Méditerranée et assurer la subsistance des siens. La suite de l’histoire, tout le monde la connaît. Le jeune homme s’installera à Marseille, en France, fondera une famille et aura plusieurs enfants dont un, Zinedine, repoussera les limites des petites ambitions paternelles jusqu’à la gloire, l’universalité.
À la France, il rendra bien plus que le poste de vigile dans un supermarché qu’elle a donné à son père : des liesses nationales à chaque fois qu’il mène les Bleus vers une grande victoire. Entraîneur du Real Madrid depuis 2016 seulement, le fils d’immigrés algériens est déjà dans le panthéon du club auquel il s’apprête à offrir une troisième victoire consécutive en Ligue des champions d’Europe. Il était écrit quelque part que le succès le suivra comme une ombre, que la liesse se déclenchera partout où il passera.
Une grandeur qui contraste avec la simplicité d’Aguemoun, où tout a commencé.
Sur quelques kilomètres, la route est parfaitement goudronnée, mais la pente est abrupte. Du sommet, on peut admirer la beauté de la côte bougiotte, les marinas blanches de Tichy et d’Aokas, la méditerranée rayonnante de beauté sous le soleil de mai. Après la montée, la descente. Des deux côtés de la route, maintenant défoncée et étroite, aucune habitation ni plaque de signalisation.
« Il nous manque un… terrain de foot »
Au bout d’un long slalom entre les collines, apparaît enfin le village de Taguemount, chef-lieu de la commune de Boukhelifa, dont dépend administrativement Aguemoun. On est un samedi, jour de week-end, et la rue principale est presque déserte. Tout comme les rares bâtisses de la place, le siège de la mairie ne paie pas de mine avec ses deux niveaux à la façade sommairement ravalée.
Sur le mur d’en face, les affiches de la dernière campagne électorale, même malmenées par les graffitis moqueurs, sont toujours visibles. Un fourgon de transport en partance pour Bacarau attend patiemment les passagers qui arrivent au compte-goutte. « Avec ses 82 villages, Boukhelifa est l’une des plus grandes communes de la wilaya de Béjaïa. Nous avons toutes les commodités, l’électricité, l’eau et bientôt le gaz de ville, mais le transport reste un véritable casse-tête pour les habitants. Il y a des bus de ramassage scolaire pour les élèves, mais il n’y a ni bus ni taxis qui font la navette entre les villages et le chef-lieu de la commune. Aussi, il nous manque un stade. Vous imaginez, le village de l’un des plus grands joueurs de l’histoire n’a pas de terrain de foot», se plaint Djamel, la trentaine, rencontré dans le principal café du village, le Café Berbère.
À l’image de la localité, l’établissement est simple. Un comptoir, un frigo et quelques tables où se jouent d’interminables parties de dominos. Seul « excès », un poster géant de Zidane terrassant Matterazzi d’un coup de tête lors de la finale de la Coupe du monde 2006. C’est justement à cette année-là que remonte la dernière visite de Zizou au village et Samir, le gérant du café, se souvient : « Son cortège est passé juste devant le café mais il ne s’est pas arrêté, il y avait une foule immense, des gendarmes, des officiels. Les gens étaient venus de partout pour le voir. Zidane est la fierté de toute la Kabylie, de toute l’Algérie, pas seulement de notre village ».
Un souvenir impérissable
À Aguemoun, à deux kilomètres du chef-lieu communal, on garde aussi le même souvenir impérissable du « retour » de Yazid, comme on l’appelle ici. On parle de retour, car l’enfant Zizou venait régulièrement passer les vacances d’été au village en compagnie de ses parents. « Son dernier séjour avec ses parents remonte aux années 1982-1983. Ses frères Djamel et Nouredine ont continué à venir régulièrement ainsi que leur père Da Smaïl qui séjourne ici une ou deux fois par an», assure Madjid, un sexagénaire.
A partir de ses dix ans donc, Zizou est pris par sa carrière. D’abord les centres de formation, puis les exigences du haut niveau. 24 ans après, il revient en Algérie à l’invitation du président Bouteflika et il fait un détour par la terre de ses origines. C’était en décembre 2006. À Aguemoun, il était accompagné du chanteur Idir, le préféré de Da Smaïl. « Je suis là pour voir la Kabylie, le village de mes parents, je retrouve enfin la sensation que j’avais quand j’étais petit. L’Algérie est le pays de mes parents. J’avais envie d’y retourner depuis 20 ans mais ma carrière ne me l’a pas permis », avait déclaré Zidane à la presse.
Mais au village, il n’était resté qu’une journée. « Je suis sûr qu’il aurait souhaité rester plus longtemps, mais il ne pouvait pas se reposer avec l’affluence qu’il y avait. Ses fans étaient venus de toute l’Algérie. La route était noire de monde, les gens étaient perchés sur les arbres, les toits, les poteaux d’électricité. Sa maison était littéralement assiégée », témoigne encore Madjid.
Si les habitants d’Aguemoun comprennent l’attitude de Zidane, cela ne les empêche pas d’espérer de le revoir un jour. Ils savent qu’il est attaché tout autant que son père à la terre de ses ancêtres. La preuve, toutes ces actions qu’il mène en faveur de la région. Ils assurent que c’est lui, à travers la fondation qui porte son nom, qui a financé la réalisation de la spacieuse mosquée flambant neuf qui domine le village, le bitumage de la route principale, la réalisation d’un réseau d’eau potable et bien d’autres projets pour les localités environnantes, comme l’achat d’ambulances ou de bus pour le transport scolaire. Des rumeurs l’annoncent de retour cet été, mais rien n’est confirmé.
Les orangers de Zizou
Comme tous les villages Kabyles, Aguemoun est perché sur une colline. On y accède à partir de Boukhelifa à travers une route étroite à la pente raide et parsemée de virages en épingle à cheveux. Au loin, vers le sud, se dressent les pics d’un massif que les habitants appellent « la montagne de Zouvay ».
La route qui longe la colline mène jusqu’à Bouandas, dans la wilaya de Sétif, mais elle est peu fréquentée. Très peu de familles résident encore au village. « Une dizaine tout au plus. Ceux qui n’ont pas émigré en France sont partis habiter en ville, à Béjaïa », assure Haddad Abdelmadjid, employé de la mairie.
Témoins de cet exode massif, ces nombreuses maisonnettes de pierre tombées en ruine et qui contrastent avec une belle bâtisse blanche recouverte de tuiles rouges. « C’est le domicile des Zidane », nous dit-on. Une maison blanche, comme celle de Madrid que Zizou mène de succès en succès depuis deux ans et demi. Une autre coïncidence, un autre présage ?
Telle une citadelle, la bâtisse est érigée presque au sommet de la colline et domine toute la vallée, offrant une vue imprenable sur le chef-lieu communal et les villages environnants. Dans un coin de la vaste cour, trône encore la petite maison ancestrale, celle-là même qui a vu naître Da Smaïl qui, selon ses voisins, ne veut pas entendre parler de sa démolition.
Quand le patriarche n’est pas là, c’est son neveu Rabah, donc le cousin germain de Zinedine, qui occupe l’habitation. Rabah est agriculteur. Près de la rivière de Taghzouyth, au fond de la vallée, il prend soin d’un petit verger familial. Une petite parcelle d’un demi-hectare tout au plus, plantée d’orangers. En Espagne, Zizou savoure régulièrement les belles oranges du village que lui envoie son cousin, assurent des riverains. Dommage, Rabah n’est pas là pour le confirmer. Pas plus qu’il ne se trouve au café du village, où il a ses habitudes.
« Zidane ou pas Zidane, je préfère le Barça »
Sur place, au café Kasmi, des jeunes ont déjà entamé une partie de dominos. Ceux qui ne jouent pas, parlent football. Comme partout dans le monde, les mêmes clivages : Cristiano-Messi, Real-Barça. Même au village de Zidane, Barcelone a aussi des admirateurs. La preuve, les banderoles des deux clubs accrochées en haut du mur derrière le comptoir, à côté d’une autre aux couleurs du MO Béjaïa, l’un des deux grands clubs de la wilaya.
« Ici, la majorité supporte le Real, surtout depuis sa prise en main par Zidane, mais les irréductibles du Barça ne veulent pas changer », affirme le gérant, Abdelmadjid, la cinquantaine. Zahir compte parmi les mordus de Messi et jure que même lors de la prochaine finale de la Ligue des Champions, il ne supportera pas le Real.
« Moi supporter le Real ? Impossible. J’aime beaucoup Zidane, il est notre fierté, mais mon amour pour le Barça et Messi est plus fort. Je regrette beaucoup qu’il ait accepté d’entraîner le Real. Tant pis, c’est un club que je ne pourrai pas supporter. Le 26 mai, je serai à fond derrière Liverpool. Vive Mohamed Salah », lance-t-il.
« Je suis sûr que tu dis ça juste pour nous taquiner. Au fond de toi, tu souhaites une autre victoire de Zizou qui fera de lui l’un des meilleurs entraîneurs au monde après avoir été un joueur mythique. Il est de chez nous après tout», lui rétorque-t-on.
Le jeune homme ne veut rien entendre et la discussion devient orageuse. Les renforts ne tarderont pas à arriver côté Madrid avec Athmane et Nabil, mais l’irréductible « catalan » n’en démord pas. « C’est souvent comme ça ici. Les jours de match, le café est bondé. C’est ici que les gens suivent les matchs de Ligue des champions, les différents championnats européens et même les compétitions nationales. Chaque équipe à ses fans. On se chamaille, on se taquine, mais on reste bons amis et bons voisins. Le club le plus représenté c’est le Real, à cause de Zidane sans doute, mais parfois, comme à l’occasion d’un Classico, les fans du Barça se font entendre bruyamment », explique encore Abdelmadjid.
La JSK met tout le monde d’accord
Quand les deux clubs espagnols ne jouent pas, l’autre clivage qui déchaîne les passions au village de Zidane c’est la rivalité entre les deux clubs de Béjaïa, le MOB et la JSMB. Zahir, le « Barcelonais », est justement un Crabe, un fan du MOB. Et là, ses adversaires du Real se mettent de son côté, sans transition. « Nous sommes avec le MOB, la JSMB n’a pas droit de cité ici », assure-t-il. Madjid, le sexagénaire, intervient pour montrer la preuve que l’autre club de Béjaïa compte aussi des admirateurs dans cette bourgade. La preuve n’est pas sur le mur, mais sur son mollet droit : une cicatrice que 45 longues années n’ont pas effacée. Le bonhomme assure qu’il a été blessé lors d’un match décisif pour l’accession en première division entre la JSMB et l’équipe d’El Eulma, en 1972.
La JSK met tout le monde d’accord sauf lorsqu’elle affronte l’un des deux clubs. « Les anciens sont restés fidèles à la JSK, mais les jeunes sont plutôt MOB ou JSMB », affirme le gérant du café.
Le patelin de Benzema n’est pas loin !
Non loin du patelin de Zidane, se trouve le village d’origine d’un autre gros personnage du Real Madrid. Karim Benzema descend en effet, du côté de son père, de la commune de Bendjelil, daïra Amizour, précisément d’un petit village appelé Tighzert, à la topographie presque identique à celle d’Aguemoun.
À vol d’oiseau, le village de Zidane et celui de Benzema ne sont pas trop éloignés. A peine quelques kilomètres. C’est le grand-père de Karim, Lakehel, qui a émigré en France avant l’indépendance. Le bonhomme est toujours resté attaché au pays et venait régulièrement passer des vacances à Tighzert où la famille possède une maison et des terrains, mais depuis environ cinq ans, la maladie l’empêche de le faire, selon un habitant du village. Hafid, le père du joueur, est né à Béjaïa et est parti en France à l’âge de 3 ans. Lui aussi il avait l’habitude d’effectuer des séjours au pays, mais sa dernière visite remonte à 18 ans. Quant à Karim, il n’a jamais mis les pieds au village, assure-t-on. Sa mère, elle, est originaire de la région d’Oran.
À Tighzert, qu’on appelle aussi Ouzema (la version kabyle de Benzema), on attend toujours la visite promise par le joueur du Real il y a quelques mois. «Je n’ai pas encore la chance d’y aller. Dans pas longtemps, je vais y aller. Ce sera une belle surprise pour le peuple, car je sais que je suis aimé là-bas », déclarait-il en novembre 2017 dans une émission de Canal+. Autre souhait des gens de Tighzert, voire Karim soulever une autre Ligue des champions. Le 26 mai, ils seront derrière le Real. Pas tous, car là aussi, les irréductibles du Barça ne veulent rien entendre…