Les Algériens s’apprêtent à vivre un Ramadan 2022 sur fond de pénuries, de tensions et de hausse des prix des produits alimentaires de base.
Dans le quartier du Sacré-Cœur sur les hauteurs de la rue Didouche Mourad à Alger, une adresse fait l’unanimité auprès des consommateurs. Il s’agit d’un point de vente d’une entreprise publique (Ex-Sempac -Société nationale des semouleries, meuneries, pâtes alimentaires et couscous).
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Tous les matins, vers 7h30, une chaîne humaine commence à se former sur le trottoir. Une queue pour les hommes, une autre pour les femmes. Il faut avoir une sacrée dose de patience, une bonne santé et du temps à revendre, en attendant que le camion d’huile ou de semoule daigne montrer le bout de son nez.
Lors de notre passage, des femmes et des hommes de tous âges piétinaient sous la pluie depuis plusieurs heures pour certains. « Je suis arrivée avant 8h pour être sûre de repartir avec un bidon d’huile », nous confie une jeune femme. « Les prix sont corrects dans cette grande surface. Il faut juste être patient ».
D’autres citoyens ont pris l’habitude de se pointer devant l’entrée de ce commerce, chaque matin. « Les prix sont abordables », nous dit un sexagénaire. « A titre d’exemple, hier la banane s’est vendue ici à 230 DA le kilo au lieu du double ailleurs ».
Spéculation
Un camion chargé d’huile arrive enfin. La tension monte d’un cran. Petite bousculade dans la chaîne. Vu le monde qui se presse, il n’y en aura pas pour tout le monde. « Le problème, s’écrie une femme, c’est tous ces gens qui ressortent avec plusieurs bidons d’huiles et de sacs de semoule pour les revendre au marché noir. La pénurie existe mais certains l’aggravent en s’adonnant à la spéculation ».
Dans les autres commerces du centre d’Alger, la semoule et l’huile de table ont quasiment disparu des étals. On les croyait révolues. Revoilà les pénuries. En moins d’une semaine, les sacs et paquets de semoule qui inondaient supérettes et commerces ont complètement disparu des étals rejoignant un autre produit de base introuvable actuellement : l’huile de table.
Nous avons sillonné une bonne dizaine de commerces d’alimentation à Alger-centre à la recherche de ces deux produits de base. Partout la même réponse : “Makache ! (Il y en a pas !)”
A quelques jours du début du Ramadan, l’inquiétude des citoyens monte crescendo. Aux pénuries viennent s’ajouter les augmentations hallucinantes des prix des fruits, légumes et viandes constatées ces derniers jours dans les marchés.
« Comment préparer un repas correct avec le minimum d’ingrédients durant le mois sacré vu les prix pratiqués ? », c’est la question qui revient sur toutes les lèvres. Les Algériens, dont le pouvoir d’achat ne cesse de baisser, s’apprêtent à vivre un Ramadan sans précédent, sous le signe des privations, des restrictions et des pénuries.
La rumeur s’est propagée comme une traînée de poudre, il y a quelques jours déjà : tension mondiale sur le blé dur et tendre ! « En moins de 48 heures, mes étals ont été vidés », témoigne un commerçant.
Ni semoule fine, ni grosse, ni moyenne ! Il tente un début d’explication : « Le conflit entre la Russie et l’Ukraine, deux pays considérés comme des greniers à céréales, a provoqué une grande tension sur ces produits incontournables. Il y a aussi les pâtissiers et autres fabricants de zlabia et qalb Ellouze qui se préparent pour le Ramadan. En stockant les sacs de semoule et de farine chez eux, ils déstabilisent le marché ».
Tout comme la semoule, l’huile de table ressemble à une arlésienne. Tout le monde en parle mais personne ne l’a vue. Nous avons fait le tour des supérettes sans en trouver la moindre trace. Sauf dans l’un des commerces d’alimentation générale où un bidon de 4 litre de Fleurial avait miraculeusement échappé à la razzia de cette matinée. Seul problème, son prix : 1600 DA !
Le Ramadan le « plus misérable de notre vie »
Rue Rabah Noël, un vendeur de pain traditionnel ne cache pas son inquiétude : « La semoule et l’huile de table se vendent sous le manteau, ou alors il faut faire le pied de grue durant plusieurs heures devant les commerces en attendant une hypothétique livraison », dit-il. « J’ai réussi à me débrouiller quatre sacs de semoule mais je ne sais pas si je vais pouvoir continuer à vendre mon pain vu la situation ».
Au marché Ferhat Boussaad, pas de trace de semoule et d’huile également. Les citoyens affichent des mines soucieuses. Ils n’hésitent pas à nous faire part de leur consternation face aux prix affichés.
« Qui peut se permettre de remplir son couffin par les temps qui courent ? Pomme de terre : 120 DA, haricots verts : 380 DA, tomate : 130 DA, courgette : 150 DA, petits- pois : 150 DA, œufs : 16 DA »., s’exclame un père de famille. « Je n’ose même pas faire un tour au rayon des viandes et des légumes secs. C’est juste de la folie ! Je sens que nous allons passer le Ramadan le plus misérable de notre vie ».
Banane : 550 DA le kilo
En effet, les prix flanquent le vertige. La banane est vendue à 550 DA le kilo, la pomme Golden “de Batna” : 600 DA ; les fraises : 300 DA ; les artichauts : 140 DA, la laitue : 150 DA…
Les légumes secs, censés faire bouillir la marmite des foyers à faibles revenus, sont hors de portée aussi : lentilles (320 DA), haricots blancs (330 DA), pois-chiche (350 DA)… Le blé concassé (frik), indispensable à la préparation de la chorba durant le mois sacré, s’affiche, quant à lui , entre 400 et 600 DA.
Dégringolade du pouvoir d’achat, flambée des prix et pénuries tous azimuts, le premier trimestre de 2022 a été compliqué pour la plupart des citoyens. Le mois sacrée, qui est à nos portes, risque d’aggraver la situation vu les spéculations habituelles des commerçants durant cette période.