Ils sont partout. Autour des bennes à ordures des marchés, allongés sur des cartons à même les trottoirs, dans l’embrasure des portes d’immeuble. Ces naufragés de la vie tentent de survivre dans une jungle austère, hostile et souvent déshumanisée.
D’autres crèchent avec femme et enfants dans les grottes insalubres de la capitale. C’est le cas de Mustapha qui partage son quotidien avec de gros rats dans un souterrain situé entre le Boulevard Mohamed V et la Rue Didouche Mourad.
Le retour de l’homme des cavernes
Il s’appelle Berkani Mustapha Hafid. Agé de 42 ans, ce quadragénaire vit presque comme l’homme des cavernes. Et cela dure depuis six longues années.
Mustapha nous invite à rentrer chez lui. On est sous les escaliers qui relient le boulevard Mohamed V et la rue Didouche Mourad. Difficile d’en croire nos yeux. Tant de misère semble irréelle, surtout qu’à deux jets de pierre de là règne l’opulence : vitrines luxueuses, cafétérias chics et immeubles cossues bordent l’artère principale de la capitale. Un drap, jeté sur des fils à étendre le linge, tente de soustraire cette vie de dénuement total, aux regards curieux des passants. Difficile de croire que quatre êtres dont deux jeunes enfants vivent dans cette grotte.
« Suite à un grave désaccord familial survenu il y a six ans, je me suis retrouvé à la rue » raconte Mustapha. « Ma seule planche de salut fut d’investir ce souterrain où je vis actuellement avec mon épouse et mes deux fillettes, âgées respectivement de 5 et 8 ans ».
Mustapha travaille comme agent de sécurité dans l’hôtel mitoyen. Il aide également les automobilistes de la rue Mouloud Mekidèche à garer leur véhicule contre quelques pièces. Le quadragénaire nous entraîne dans le boyau souterrain qui lui sert d’abri.« Ma femme est au bled avec les enfants pour quelques jours », nous dit-il.
Les rats en guise d’animaux de compagnie
Sous une sorte de voûte dont les murs suintent d’eaux usées, deux banquettes ont été installées en enfilade « Ma femme en occupe une avec la plus jeune de mes filles. Je dors sur la deuxième avec mon aînée ».
Un téléviseur, un petit réfrigérateur, une chaise, une mini-table rongée par la rouille, une bonbonne de gaz, un bidon d’eau de javel, quelques assiettes, un amas de linge jeté dans des bassines en plastique et c’est tout. Un regard éclaté laisse couler des eaux souterraines.
« c’est là où nous faisons nos besoins et lavons la vaisselle explique Mustapha. Nous partageons notre vie avec des bataillons de rats et des escadrilles de moustiques. Je ne compte plus le nombre de fois où nous nous sommes réveillés terrorisés en pleine nuit. Ces rongeurs se baladaient carrément sur nos corps. Nous avons tous goûté à leurs morsures. Le service des urgences de l’hôpital El Kettar est habitué à nous voir débouler ! », lâche-t-il avec amertume.
Humidité, moisissure, absence de salubrité, froid glacial durant l’hiver, attaque de rongeurs, Mustapha Berkani égrène la liste des maux qui accompagnent son quotidien et celui de sa petite famille.
« Les services de relogements nous ont rendu visite à maintes reprises. Ils ont toujours la même phrase à la bouche : “A’ssebrou” (Patientez). À quand la fin de ce calvaire ? Seul Dieu le sait », commente-t-il sur un ton de résignation.
Nouvelle forme de mendicité
Le visage de la mendicité s’exprime à travers toutes les rues de la capitale. Il y a ceux qui fouillent dans les bennes à ordures à la recherche de leur pitance[l1], ceux qui tendent la main et ceux qui ont baissé les bras depuis longtemps.
Ces derniers gisent sur des cartons déployés sur le bitume en attendant des jours meilleurs. Signe des temps : une nouvelle forme de mendicité est observée çà et là. Les agents de nettoyage des services Netcom font discrètement la manche.
Armés de leur balai, ils interpellent discrètement les passants pour demander quelques pièces. D’autres font de la mendicité un commerce. C’est notamment le cas de nombreuses femmes qui louent des nourrissons qu’elles utilisent comme hameçons pour attendrir les passants. Mais cela est loin d’être une généralité. Qu’elle soit discrète ou visible, la détresse humaine est un lourd fardeau difficile à porter par les laissés-pour comptes de la société.