Société

À Bejaia, comment une station balnéaire est devenue une « zone de non droit »

Les habitants de Boulimat ont accueilli avec un soulagement prudent ce lundi 8 mars l’intervention d’une ampleur sans précédent de la gendarmerie qui a mis sous scellés la quinzaine de cabarets et discothèques clandestins de cette belle et célèbre station balnéaire de la côte ouest de Bejaia.

Cette opération coup de poing survient après une mobilisation des riverains pour la fermeture de ces lieux de débauche et de délinquance. A cause des mauvaises fréquentations, l’endroit est devenu une « zone de non droit » si bien que les habitants sont même menacés dans leur vie.

Dans cet entretien, le vice-président de l’ « association Imezdagh N’djerba Boulimat – AIDB”, Massinissa Lakehal revient sur ce fléau et l’aboutissement de leur mobilisation pour la fermeture des bars et cabarets clandestins.

Quand et comment tout cela a-t-il commencé ?

Massinissa Lakehal : Tout a commencé en 1995 avec l’ouverture du premier bar-cabaret. A partir de 2009, plusieurs cabarets ont ouvert sur les rochers relevant du domaine maritime. Depuis, plusieurs autres ont commencé à pousser comme des champignons !

Les propriétaires ont construit sur les rochers – le lieu est communément appelé  Baxter – sans documents administratifs et sans autorisation. Personne n’avait cherché après eux. L’installation de ces cabarets se suivait : à peine le premier ouvre qu’un second le suit après. On en compte aujourd’hui 14 dont quatre ouverts depuis seulement 2019. Tout ça dans un petit village d’un (01) km!

Face à cette situation, comment les habitants ont-ils réagi ?

Puisque eux (les propriétaires des cabarets, ndlr) ont investi le côté ouest de Boulimat et nous, habitants, vivons sur le côté est, nous avons érigé un mur de séparation qui barre la route qui communique entre le côté ouest et est du village.

Cela s’explique par les va-et-vient incessants des visiteurs, durant les week-ends mais aussi lors du Réveillon. Redoutant les excès de vitesse, nous avons donc érigé ce mur. La situation était devenue catastrophique : les ordures et une véritable gabegie régnait sur les lieux. Nous vivons dans une totale insécurité. Des assassinats ont eu lieu et des tirs à balles réelles se font entendre très souvent.

Il y a une quinzaine de jours, les gendarmes ont saisi des armes. L’insécurité est notre quotidien depuis des années. A titre personnel, je vis avec ma mère et chaque jour que je me rends au travail, j’ai la boule au ventre en me disant qu’un malheur peut lui arriver.

Toutes les maisons avoisinantes sont équipées de caméras de surveillance. Moi-même j’ai installé huit caméras en plus de mon chien. C’est devenu une zone de non droit où on peut se faire tuer même sans avoir rien fait. N’ayant trouvé personne pour écouter notre détresse, nous avons installé un barrage dans notre quartier, pour faire face à un éventuel danger.

Un jour, j’étais de « permanence ». Il était 4h du matin quand des individus à bord d’une voiture avec à son bord des passagers complètement ivres. Une fois immobilisés, nous leur avons signifié que la route était sans issue à cause du mur que nous avions érigé entre les deux « rives ».

Si ce n’était pas la vigilance d’un ami, je me serais fait planter un cran d’arrêt dans le dos. Vous imaginez, je serais mort pour rien, comme si de rien n’était.

On imagine bien que face à cette situation d’insécurité totale, vous avez saisi les autorités. Quelle a été leur réaction ?

Il y a eu une centaine de pétitions que nous avons adressées aux autorités. Les autorités locales n’ont jamais donné suite. Les services de sécurité ne venaient que le jour de l’an, voire les jeudis et vendredis lorsqu’on annonce la venue d’une vedette de la chanson et donc de fortes chances qu’il y ait une grande foule.

Mais ils ne restaient pas longtemps. Il n’y a que le soir du nouvel an que les services de sécurité restent sur place jusqu’à 5h du matin.

Souvent avant que les véhicules des gendarmes ne démarrent de la caserne de Naceria (Bejaia ville), l’information est connue aussitôt. Cela veut dire qu’il y a des informateurs.

Comment avez-vous accueilli le coup de poing de ce lundi 8 mars, avec la venue des gendarmes ?

C’est une opération comme nous n’en avons jamais vue auparavant, au vu des effectifs sans précédent des gendarmes déployés. Ces derniers ont été très professionnels dans leur intervention, cela il faut le mentionner. Ils ont même permis à un de nos cameramen de filmer tout en live sur Facebook.

Quelle sera la suite à présent ?

Certains réclament la démolition de ces cabarets, ils ont raison et tout porte à croire que l’on se dirigera vers cette option. Au niveau de notre association, nous avons demandé la mise sous scellés de ces lieux et tout saisir, histoire de remettre les compteurs à zéro.

C’est d’ailleurs ce qui a été fait ce matin par les gendarmes. L’opération prendra du temps quand on sait qu’il y a aussi des maisons closes dont il va falloir expulser les occupants, mais aussi les lieux de vente des boissons alcoolisées.

Après le passage des gendarmes, allez-vous rouvrir la route à la circulation ?

La RN24 est déjà ouverte à la circulation, nous avons tenu notre promesse. Nous travaillerons en collaboration avec la gendarmerie pour éventuellement démolir tous ces lieux de débauche à Boulimat. Mais nous restons vigilants…

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