Parti à Béjaïa en simple vacancier, il rentre chez lui à Oued Souf les pieds devant, mais en héros. Lui, c’est Zoubir Aïssa, le jeune homme tué sur une plage de Souk El Tenine pour avoir refusé de s’acquitter de la dîme imposée par la mafia des parkings et des plages.
Il laisse une famille éplorée mais sans doute fière de son courage, de son intransigeance sur les principes. Car c’est de cela qu’il s’agit. Aïssa n’est pas mort pour 100 ou 200 dinars. Il est mort pour défendre son droit de disposer librement d’un espace public, comme le lui garantissent la Constitution, les lois du pays, la morale et le bon sens.
Il laisse aussi derrière lui une société perplexe face à ses contradictions. Une société où les valeurs ont été depuis longtemps inversées, où l’exception est devenue la norme, la perversion presque une vertu.
A l’entrée des plages ou dans les rues des villes, il arrive quotidiennement au travailleur honnête, au bon père de famille de se retrouver devant un choix impossible : la lâcheté ou le passage à tabac. En somme, l’humiliation dans tous les cas. Se soumettre lâchement, sans rechigner, au racket imposé par les gardiens autoproclamés des parkings et des plages, c’est le choix que font beaucoup, la mort dans l’âme sans doute. D’autres résistent, défendent leurs droits, parfois au péril de leur vie.
Zoubir Aïssa était de ceux-là. Il n’est pas mort seulement à cause de son courage ou de la perversité de ses assassins. S’il a perdu la vie à la fleur de l’âge c’est surtout parce que ceux qui sont censés le protéger ont failli à leur devoir. Oui, les agents de l’État, à tous les niveaux, ont failli. Cela fait des années que le phénomène du squat des rues et des plages est banalisé. Des années que simples citoyens, société civile et médias tirent la sonnette alarme. Enfin des années que les autorités promettent d’y mettre un terme sans jamais agir.
Ces bandes de désœuvrés sont-elles plus puissantes qu’un État qui dispose de plusieurs corps de sécurité suréquipés et bien fournis en effectifs au point d’inventer le concept de « gestion démocratique des foules », c’est-à-dire l’empêchement de toute manifestation publique par la seule force des bras des agents de police ? Sans doute pas. Ou alors l’État a-t-il expressément instruit ses agents de laisser faire au nom de cette paix sociale qui a déjà tant coûté ?
Le citoyen est aussi en droit de se demander si ces balafrés armés de gourdins et de couteaux ne bénéficient pas de complicités, s’ils ne constituent pas une sorte de « baltaguia » à la solde de parties influentes. Plus grave, s’ils ne partagent pas le fruit de leur racket avec des protecteurs bien placés. Toutes les conjectures sont permises quand on sait que le racket des rues et des plages n’épargne aucune région du pays et se pratique surtout dans les artères des grandes villes où personne ne peut prétendre n’avoir rien vu.
En juin dernier, le ministre de l’Intérieur promettait pompeusement de garantir la gratuité de l’accès aux plages à l’occasion d’une rencontre avec les walis qu’il a instruits publiquement de mettre à exécution la décision. Deux mois après, on assiste à un drame parce que, justement, l’accès au parking d’une plage de Béjaïa était toujours payant. Que s’est-il passé ? Quelle partie a ignoré les ordres de l’homme en charge de la sécurité et de l’administration du pays ?
Noureddine Bedoui doit sans doute une explication à l’opinion publique et la famille de Zoubir Aïssa. Il doit surtout prendre des mesures fermes pour éradiquer définitivement le phénomène des parkings sauvages et du squat des plages. La loi l’y oblige et tous les outils sont à sa disposition. Pour que la mort du jeune soufi ne soit pas vaine.