Dans l’atelier des Frères Daoud, une vingtaine d’ouvriers mettent au four de grands plateaux de barazek, ces petits biscuits saupoudrés d’éclats de pistache et de graines de sésame: à Damas, le métier de pâtissier reprend des couleurs après des années de disette.
Les exportations de pâtisseries orientales vers le Golfe et l’Europe faisaient la fierté des Syriens, et les touristes d’avant-guerre se devaient de repartir avec une boîte de douceurs de Damas, d’Alep ou de Hama.
Mais le conflit qui ravage la Syrie depuis 2011 a mis le métier presque à l’arrêt: les combats avaient coupé les routes d’approvisionnement en matières premières, entravé les voies d’exportation, tandis que l’inflation avait fait chuter la consommation locale.
Aujourd’hui, alors que le régime de Bachar al-Assad a repris de nombreux territoires aux rebelles et jihadistes, les routes entre les provinces ont été rouvertes et l’activité du secteur redécolle doucement.
Les chiffres officiels ne sont pas disponibles mais de nombreux commerçants affirment renouer avec les affaires.
« Avec la guerre, les exportations étaient quasiment interrompues », confirme à l’AFP Radwane Daoud, responsable export chez les Frères Daoud, une des plus anciennes pâtisseries de Syrie.
« Il n’y avait pas de demande, et de toute façon on ne pouvait même pas livrer la marchandise car les ateliers se trouvaient » dans des zones autrefois sous contrôle rebelle près de Damas, affirme-t-il.
« Y parvenir était difficile et dangereux et les routes étaient souvent coupées », ajoute-t-il, assis derrière son bureau où il note les commandes.
– Filiales à l’étranger –
Plusieurs villes et localités près de Damas sont restées longtemps sous le contrôle des rebelles mais au cours des deux dernières années, le régime a progressivement reconquis une partie de ces territoires.
D’après M. Daoud, les exportations de l’entreprise familiale ont repris il y a quelques mois, grâce à l’amélioration de la situation sécuritaire. « Les matières premières et les produits arrivent aux marchés facilement et rapidement », dit-il.
Dans le quartier de Midane, une odeur alléchante s’échappe de son atelier et les vendeurs invitent les passants à déguster des douceurs présentées sur des plateaux.
« Nous avons retrouvé 15% de notre activité (…), nous pouvons à nouveau assurer des commandes à l’étranger », se félicite le quadragénaire qui exportait avant la guerre jusqu’à 40 tonnes par mois de pâtisseries, notamment vers le Canada, les Etats-Unis, l’Europe et le Golfe.
Les exportations se font principalement par le biais des ports méditerranéens de Tartous et de Lattaquié (ouest) ou via le Liban voisin, d’où la marchandise part de l’aéroport de Beyrouth. La majorité des postes-frontières, eux, restent fermés, notamment celui de Nassib avec la Jordanie.
Ces deux dernières années, Abou Arab Haydar a ouvert quatre filiales en Allemagne, et une cinquième en Jordanie.
« Les Syriens sont partout à l’étranger, surtout en Allemagne », justifie Abou Moataz. Le pays européen a accueilli des dizaines de milliers de réfugiés.
La guerre a fait plus de 330.000 morts et des millions de déplacés et réfugiés.
-‘Comme une gamine’-
Dans une autre pâtisserie célèbre de Damas, Abou Moataz, 45 ans, découpe avec délicatesse un large plateau de baklavas, ces petits gâteaux en fine pâte feuilletée fourrés de pistaches.
« On s’est arrêté pendant longtemps mais l’heure est venue de se remettre au travail », se réjouit le maître pâtissier chez Abou Arab Haydar.
Des clients irakiens entrent dans sa boutique. Ils repartiront avec plus de 50 kilos de douceurs, pour la coquette somme d’environ 300 dollars.
« Chaque ingrédient vient d’une ville différente. Les pistaches, de Hama (centre), la samna (beurre clarifié), des provinces de Deir Ezzor (est) et de Raqa (nord), la farine de Hourane (sud) », énumère Abou Moataz.
Sur le marché local, le prix reste un rien rédhibitoire, en raison de la dévaluation de la livre syrienne.
Admirant les douceurs exposées en vitrine, Leïla goûte à un petit gâteau que lui tend un vendeur.
« Acheter aujourd’hui un kilo de pâtisseries haut de gamme, c’est l’équivalent du quart du salaire de mon mari », s’émeut la quadragénaire, employée dans une crèche.
Elle finit par céder et achète trois mabroumas, des petits gâteaux de vermicelles dorées et de pistaches. « Je pensais que la guerre nous avait vieillis mais je me sens comme une gamine avec ces gâteaux », plaisante-t-elle.
« Il n’y a plus que les pâtisseries pour nous apporter de la joie. »