La Casbah d’Alger tombe en ruines. Ses habitants vivent avec la peur au ventre. « Chaque fois qu’il pleut, nous tremblons à l’idée de voir nos maisons s’effondrer sur nos têtes ». C’est ce que nous ont confié les habitants qui occupent de vielles bâtisses à la Casbah.
Après l’effondrement, le mercredi 13 novembre, d’une habitation où vivaient plusieurs familles qui ont réussi à se sauver in extremis avant que la maison se transforme en une montagne de gravats, le traumatisme se lit sur tous les visages. Si certaines familles du quartier Aïn Bir Djebah, où s’est produit l’effondrement, ont été relogées, d’autres attendent toujours un geste des autorités concernées.
Le SOS des habitants de la Casbah
Lors de notre passage, ils transportaient les derniers cartons, les derniers meubles, les derniers ballots. Ils sont nés à la Casbah et n’ont eu de cesse d’alerter pendant de nombreuses années les autorités, sur la précarité de leur situation, en vain.
Des habitations vétustes qui s’effritaient au fil du temps. La nuit du 13 novembre dernier a failli leur être fatal. Après des pluies torrentielles, leur maison a commencé à bouger.
« J’habite au 10 rue Boudries ex- rue des Thèbes (Ain Bir Djebah) avec ma femme et mes enfants », raconte Abdelhamid Agoumamaz (66 ans). « Les murs ont commencé à craquer vers 2 heures du matin, cette nuit-là. Pressentant un drame, nous sommes tous sortis dans la rue. Vers 6h 10 les murs commençaient à s’écrouler. Les voisins, qui étaient encore à l’intérieur pour prendre leurs affaires, sont sortis juste à temps au moment où la bâtisse s’effondrait tel un château de cartes. Je suis fils de chahid. J’ai vécu 66 ans à cet endroit qui a failli devenir ma tombe. Il a fallu attendre cette catastrophe pour qu’on nous reloge enfin. Nous avons obtenu un appartement à Dergana. Nous sommes sur le départ là ».
Épée de Damoclès sur les habitants
Pendant que certaines familles de la rue Boudries acheminent leurs affaires vers des fourgons pour s’installer dans leur nouvel appartement et passer la nuit sous un toit sûr après de nombreuses années de précarité, d’autres fulminent. Eux n’ont pas encore bénéficié d’un logement.
Mourad Slimane (40 ans) nous invite à faire un tour dans la vielle bâtisse du n° 14 rue Boudries où il habite avec sa nombreuse fratrie et d’autres familles. La moisissure et les fissures ont grignoté les murs. Les façades suintent l’humidité, les plafonds menacent de s’écrouler.
Ourdia Ziani (72 ans) nous entraine à l’étage. « Venez, je vais vous monter la chambre qui a failli devenir ma tombe ». Des escaliers fragiles nous conduisent dans une pièce remplie de gravas. La septuagénaire poursuit avec des tremolos dans la voix : « Je regardais la télévision avec ma fille lorsque le plafond s’est effondré. Les dernières grandes pluies qui se sont abattues sur Alger ont fragilisé les murs et les plafonds. Les pompiers nous ont intimés l’ordre de quitter la maison mais nous n’avons pas où aller », se plaint-elle.
De son côté Mustapha Slimane, un autre habitant de cette maison nous montre le plancher branlant et les murs fissurés. « Cela fait de nombreuses années que nous déposons des dossiers dans l’espoir être relogés. Rien n’a été fait. Les dernières intempéries ont aggravé l’état de ces vielles bâtisses. Nos voisins ont tout juste eu le temps de sortir avant l’effondrement du toit sur leurs têtes. Dépêchés sur place, les pompiers et les équipes techniques nous ont sommés de quitter les lieux. Mais pour aller ou svp ? Nous sommes une fratrie nombreuse, tous fils de chahid et tous nés dans cette maison. La commune de la Casbah veut nous attribuer un seul logement alors que nous sommes plusieurs frères dont certains sont mariés avec des enfants » éructe-t-il.
Apocalypse now
Au n°12 de la rue Boudries, c’est l’apocalypse. D’énormes blocs de pierres entravent l’entrée de cette vielle bâtisse qui ne tient plus qu’à un poil. Il faut escalader un monticule de pierres et de blocs pour pénétrer dans la skifa. D’énormes cales soutiennent les murs et les plafonds.
« Ces travaux de consolidations ont été effectués par la commune de la Casbah il y a 7 ans. Et depuis tout est resté en l’état », nous dit Djamel Zerrouk (58 ans) le propriétaire.
À la Casbah, les maisons sont adossées les unes aux autres. « Celle qui s’est effondrée il y a quelques jours est mitoyenne à la mienne. Elle risque de s’affaisser au prochain orage » s’inquiète-t-il.
Djamel nous fait le tour du propriétaire : « Je loue des chambres à plusieurs familles. Nous attendons d’être relogés car cette baraque ne va pas tarder à s’effondrer ».
Djamel tient à nous montrer une des pièces à l’étage. Un amas de blocs et de gravats jonchent le sol. Souad, son épouse se joint à nous. Elle en a gros sur le cœur. « Dès qu’il se met à pleuvoir, on se tient le ventre. On a peur pour nos vies et celles de nos enfants. Pourquoi n’avons-nous pas droit à un logement décent ? La famille de mon mari a été décimée en 1993 ici même par les terroristes. Ils ont assassiné sa mère, sa sœur et ses deux frères dans cette maison qui risque de nous ensevelir tous ».
« Nous avons peur d’être enterrés vivants ! »
Nous quittons Bir Djebbah pour rejoindre la rue Sidi Abdellah. Au numéro 3, dans une impasse, se dresse une maison vétuste. Les piliers sont maintenus par des cales. Plusieurs familles y occupent des chambres.
Sihem Ferhat (32 ans) y vit avec son mari, ses enfants et sa mère. « La peur ne nous quitte jamais. Notre habitation a été classée ‘rouge 5’ par le CTC. Tous les murs sont fissurés. Dès qu’il pleut, l’eau s’infiltre partout mouillant planchers et matelas. On nous a promis de nous reloger mais sans suite. En attendant, on guette la météo chaque jour avec une peur panique quand des orages sont prévus. À la première averse, nous sortons dehors avec nos parapluies dans la nuit et le froid. Nous ne tenons pas à être enterrés vivants ».
En avril dernier, l’effondrement d’un immeuble à la basse Casbah, à proximité de la mosquée Ketchaoua a causé la mort de 5 personnes.
Les pluies automnales de novembre ont encore fragilisé les vielles bâtisses qui s’effondrent les unes après les autres. Faute de véritable programme de réhabilitation de la vielle Médina, le danger pèse comme une épée de Damoclès sur ses habitants. Il est urgent de prendre les mesures nécessaires afin de préserver ce patrimoine classé monument historique par l’Unesco et d’éviter d’autres drames.