Société

À la découverte de Chréa : de la neige, du ski et du hockey algérien

Chréa, la station climatique de l’Atlas blidéen ne désemplit pas tout au long de l’année. Avant le débarquement de la pandémie du Covid-19, évidemment.

Elle accueille chaque jour des centaines de personnes, particulièrement les week-ends et les jours de fêtes nationales ou religieuses.

Un ancien ministre du Tourisme et de l’Artisanat, Hacène Mermouri, avançait, fin 2017, le chiffre de deux millions de visiteurs par an. Sa proximité de la capitale, Alger, y est pour quelque chose.

Lorsque, en hiver, la neige tombe en abondance, comme ces derniers jours, couvrant de son manteau immaculé l’Atlas Tellien, les skis et les luges — oui, oui, il y’en a aussi en Algérie — sortent des granges et des remises.

Les amateurs de sport prennent la route en lacets qui relie, sur environ 18 km, la ville de Blida et Chréa, un massif montagneux dont le point culminant trône à quelque 1 600 mètres d’altitude.

[Photo : DR]

En se faufilant à travers une flore comptant pas moins de 1 152 espèces, abritant sous leur feuillage une faune de 658 espèces, dont des singes magots.

Ces quadrumanes sont présents en force, également, dans le massif montagneux du Djurdjura, la forêt de Yakouren et Bejaïa.

La « tribu » évoluant dans les gorges de la Chiffa, sur la route reliant Blida et Médéa (vers le sud), avait suscité l’intérêt de l’Empereur Napoléon Bonaparte, lors de son deuxième voyage en Algérie en 1865.

Il avait déjeuné à l’auberge Ruisseau des singes, qui existe encore de nos jours, avant de poursuivre sa route vers Médéa et le Sud du pays.

Dès la chute des premiers flocons de neige, c’est la ruée vers cette station climatique. La route est encombrée de véhicules. Les amoureux de la nature, les passionnés de skis et de luges s’en donnent à cœur joie.

Surtout les enfants. Ils ne sont nullement découragés par le froid glacial qui fouette leurs visages et picote leurs mains, pour ceux qui ne sont pas équipés de gants. Les pistes sont littéralement prises d’assaut.

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Les chutes, nombreuses et parfois brutales, sont suivies de cris de douleurs, de pleurs et d’éclats de rire retentissants des bambins et des membres de leurs familles. Parce qu’on ne monte pas à Chréa en solitaire, mais avec toute la smala.

En été, l’ambiance est tout autre. Elle est grouillante, c’est vrai, mais moins bruyante. Les visiteurs y viennent pour se relaxer, prendre de la fraicheur, échapper l’espace d’une journée à la pollution, la chaleur suffocante de la plaine et des villes.

Chréa offre une vue splendide dans toutes les directions, notamment sur la riche plaine de la Mitidja et ses villes et villages, les hauteurs du Sahel, jusqu’au Tombeau royal de Maurétanie, le mont du Chenoua et la Méditerranée…

Jeu de « thakourth » à Ahouidh

Chréa c’est d’abord un village autochtone avant de prendre la forme d’une station d’estivage et d’hivernage. Le village existe toujours. Il occupe le sommet du site. Il avait été durement touché par le terrorisme des années 90, obligeant de nombreuses familles à se réfugier à Blida ou ailleurs.

Jusqu’au début du 20e siècle, les habitants de Chréa menaient une vie paisible, semblable à celle des petits hameaux environnants, éparpillés sur les monts de l’Atlas blidéen.

Leurs habitants ne se rencontraient qu’à l’occasion des cérémonies de mariages, des fêtes religieuses (El Aïd, le Mouloud) et des décès.

La seule fête qui réunit l’ensemble des habitants des monts de Chréa est celle qui se déroule au lieu-dit Ahouidh, une sorte de vallée.

Elle est organisée chaque année durant sept vendredis successifs au printemps. Une grande fête avec pique-nique, barbecue, gâteaux, musique folklorique, poésie et un jeu qu’on appelle thakourth (balle ou ballon), qui ressemble au hockey, avec une boule et une canne en bois de forme identique à celles utilisées ailleurs dans le monde.

[Photo : DR]

Mais, avec des règles de jeu différentes. La partie dure toute la journée. Sans enjeu. La fête regroupe les familles au grand complet : hommes, femmes et enfants. Son organisation avait été interrompue pendant la période du terrorisme.

L’idée d’en faire une station climatique était dans l’air dès le début du 20e siècle. La presse encourageait les autorités de l’époque à prendre des initiatives dans cette direction, en mettant en relief la splendeur du site.

« Il est impossible, écrivait L’Afrique du Nord illustré paraissant à Alger (1924), de trouver une vue plus étendue et plus belle, et il souffle là une brise délicieuse, embaumée par tous les parfums agrestes de la montagne ».

Le jugement de cet hebdomadaire est valable aujourd’hui. Il tient la route… numéro 37. Celle qui escalade, en lacets, sous les ombrages des cèdres, des chênes-lièges et les thuyas, vers Sidi Abdelkader, le plus haut col de Chréa, à 1 629 mètres d’altitude.

[Photo : DR]

Chréa drainait, dès la fin du 19siècle, un nombre important de visiteurs, promeneurs, skieurs, amateurs des sports de montagne et estivaux.

Le premier Ski-Club algérien a vu le jour en 1907 à l’initiative d’un Norvégien. Une personne originaire d’un pays de la neige par excellence. La pratique de ce sport se poursuit aujourd’hui. Mais elle ne dure que quelques jours, conséquence des changements climatiques dans le monde.

Qu’à cela ne tienne ! Dès l’apparition des premiers flocons, les pratiquants courent vers les remises et greniers pour récupérer leurs skis et les nettoyer. Une fois cette tâche accomplie, que certains oublient de faire l’hiver précédent, on grimpe dare-dare vers les pistes des cimes de Chréa.

Splendide station climatique

Après les skieurs, les premiers, des visiteurs, promeneurs et excursionnistes débarquaient en masse dès les toutes premières années du 20siècle.

C’est à partir de cette période que Chréa commençait à prendre les apparences d’une station climatique. D’abord par l’arrivée des premières tentes, suivies, peu avant la fin de la Première Guerre mondiale, par la construction des premiers chalets. Le gouverneur général de l’Algérie de l’époque, Charles Jonnart, a donné le coup de pouce qu’il fallait, selon L’Echo d’Alger.

Le résultat de son séjour à Chréa en été 1918 « ne tardera pas d’ailleurs à produire d’autres résultats. Pour marquer sa satisfaction, à cette jolie Coudiate, M. Jonnart a décidé de faire immédiatement achever la route carrossable qui reliera Chréa à Blida, et de faire exécuter les travaux d’adduction d’eau qui sont indispensables dans un centre appelé à un grand avenir. M. Jonnart favorise ainsi de la manière la plus efficace le tourisme algérien dont il s’est senti le protagoniste… », notait le quotidien dans son édition du 9 août 1918.

[Photo : DR]

Moins de trois mois plus tard, une entreprise algéroise, North Africa, saisit au vol cette aubaine. Elle demande, dans une correspondance datée du mois de novembre de la même année, une concession de terrain pour une période de 18 ans renouvelable en vue de construire des chalets et un hôtel, de créer une ligne de transport quotidien de voyageurs, de fonder une station d’estivage et de sports d’hiver, d’édifier une grande surface où le client trouvera des produits alimentaires (légumes, fruits, viandes, charcuterie, pain) pour un investissement de deux millions de francs. Les travaux devaient démarrer « après cessation des hostilités » de la Première Guerre mondiale.

Deux ans plus tard, le périodique Le Semeur algérien relevait une bonne évolution dans le projet. « La renommée de cette station estivale n’est plus à faire. Aussi le nombre de touristes qui se rendent à Chréa augmente-t-il tous les jours », écrivait-il dans son édition du 22 août 1920.

La presse de l’époque revenait chaque fois à la charge pour mettre en relief la beauté du site et les bénéfices qu’on pouvait en tirer, du point de vue santé et pécuniaire. Certains titres estimaient que le développement de cette station climatique allait permettre de retenir en Algérie une partie de l’argent dépensé par les colons dans des stations semblables, plus développées, en France et en Suisse.

Parc national, réserve de la biosphère

Les Françaises de France, les métropolitaines, avaient, elles aussi, ajouté leur grain de sel pour la réalisation de ce projet, à travers les colonnes de leur mensuel, Paris-Alger Magazine.

 L’article est illustré avec de belles photos, en noir et blanc, de skieuses en mouvement sur les monts de Chréa à l’appui. « On croirait que « tout Alger » se donne rendez-vous à Chréa ; on croise des figures connues, on retrouve des amis. La neige éblouissante à en faire mal aux yeux, le soleil, l’air limpide créent une ambiance de saine gaieté où il fait toujours bon se tromper », soulignait le périodique.

À partir de 1925, une petite portion de l’Atlas blidéen, qui englobe Chréa, change de statut. Elle est élevée au rang de Parc national de Chréa s’étendant sur une superficie de 1 351 hectares, dont Coudiate Sidi Abdelkader constitue le point culminant de l’Atlas blidéen. C’est la concrétisation d’une idée qui a commencé à germer en 1913, la veille de la Première Guerre mondiale.

[Photo : DR]

Un décret présidentiel du 23 juillet 1983 renouvelle son statut de Parc national et avec une superficie plus grande, s’étalant sur 26 587 hectares, dont 22 673 hectares boisés. Il est également classé réserve de biosphère mondiale.

Il est réputé pour deux espèces floristiques et faunistiques emblématiques : le cèdre de l’Atlas et le singe magot.

À Chréa, la présence de ces macaques est plutôt discrète. Ils se tiennent à distance des humains, lorsqu’ils ne se dissimulent pas, en s’enfonçant au plus profond de la forêt.

Une forêt immense, attrayante, qui subjugue et requinque le visiteur. La fête annuelle d’Ahouidh (fin mars ou début avril) constitue l’occasion indiquée pour renouer avec le légendaire site, pour les uns, le découvrir, pour les autres, ceux qui n’y ont jamais mis les pieds depuis la « décennie noire » (années 90), parfois même avant.

L’ascension vers Chréa est désormais facile et agréable depuis la mise en place de 138 télécabines (à l’arrêt depuis plusieurs mois). Chacune d’elle compte six places assises.

Un excellent moyen de transport qui vous fait découvrir, sur plus de sept kilomètres, des paysages féériques du versant nord du Parc national de Chréa, de Blida et de la Mitidja vus du ciel. Ces belles images ne se décrivent pas. Elles se vivent.

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[Photo : DR]

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