Il est 15h30, ce mercredi 9 août. Beaucoup de journalistes et d’employés de La Tribune n’ont toujours pas quitté la rédaction. Ce matin ils ont été officiellement mis en congé d’office. Deux actionnaires se sont déplacés à la rédaction pour annoncer la mauvaise nouvelle : leur journal ne paraîtra plus à partir de demain. Évoquant de grandes « difficultés administratives », les deux responsables ont également annoncé le lancement d’une procédure judiciaire pour déposer le bilan.
La rédaction de La Tribune est hébergée au deuxième étage d’un bâtiment de La Maison de la presse du 1er mai à Alger. Sur place, les journalistes et les employés se disent déterminés à faire paraître le journal demain. Tous s’appliquent à la tâche. Le directeur de la publication descend de la mezzanine où se trouve son bureau pour coordonner avec le rédacteur en chef, Moumen Belghoul. Ils échangent sur les sujets devant figurer sur la page internationale avant de passer à une autre.
« Bonjour, je suis directeur de rédaction et de publication au chômage ou disons futur ex-directeur de rédaction et de publication », s’amuse Hassan Gherab. Malgré la gravité de la situation, il arbore un large sourire. Le bouclage aura lieu comme d’habitude vers 20 heures. La salle de réunion est sobre. Sur les murs, le portrait de Hassan Bachir Cherif, ancien patron du journal, décédé le 4 juin dernier, et des « Unes » du journal.
Les imprimeries accepteront-elles d’imprimer le journal malgré la procédure entamée par les actionnaires ? « Je pense que tout le monde est au courant de l’affaire, y compris les imprimeries. Mais ça m’étonnerait qu’elles refusent d’imprimer le journal. On verra bien », répond Hassan Gherab qui devrait rencontrer demain un cadre du ministère de la Communication pour discuter de la situation du quotidien.
L’annonce de la nouvelle a rapidement fait le tour des rédactions. Un journaliste du Soir d’Algérie vient rendre visite à ses confrères pour les soutenir. Un autre journaliste du Jeune indépendant le rejoint. Entre l’écriture d’un article ou d’une chronique ou la correction d’un autre, les journalistes de La Tribune évoquent l’avenir de leur quotidien. « On savait que ça allait arriver un jour ou l’autre après le décès de Bachir Cherif mais pas comme ça », explique Karima, journaliste.
Les difficultés ont fait leur apparition il y a déjà quelques jours. Aucun employé n’a perçu son salaire du mois de juillet. Personne n’avait protesté. « Non, nous n’avons pas protesté. Depuis de nombreuses années, on recevait notre salaire sans aucun retard. Nous sommes encore sous le choc du décès de Hassan Bachir Cherif », lance Hasna Yakoub, encore émue. Elle fait partie des plus anciennes journalistes et sans doute des plus déterminés à sauver ce journal né il y a 22 ans en plein décennie noire.
Ce quotidien francophone qui a aujourd’hui disparu de certains kiosques même dans la capitale, à cause d’une forte baisse de son tirage, comptait, quelques années auparavant, parmi les plus importants médias du pays. Fondé en 1995, il était l’un des plus grands tirages de la presse francophone.