Il y avait quelque chose d’électrique dans l’air à l’Assemblée populaire nationale (APN), ce lundi 25 février, jour de présentation de la Déclaration de politique générale par le Premier ministre Ahmed Ouyahia. Les députés sont venus sur les nerfs et les ministres rasaient presque les murs.
Premier détail qui saute aux yeux : l’hémicycle Zighout Youcef, contrairement à l’habitude, est archicomble. Même les députés, connus par leur absentéisme légendaire, sont présents. Plus de 270 d’entre eux se sont inscrits pour intervenir dans les débats. À l’APN, la parole se libère aussi !
Ahmed Ouyahia lit sa Déclaration, un texte de huit pages, résumant l’action du gouvernement depuis septembre 2017. « Nous sommes en droit d’appréhender l’avenir avec l’enthousiasme et l’optimisme qu’autorisent les grandes capacités de notre pays et le génie créateur de son peuple. Dans le même temps, nous sommes en devoir d’aller de l’avant en toute conscience des défis de demain », dit-il.
« Une main tendue sincèrement par Bouteflika »
Le Premier ministre parle du projet de Bouteflika d’organiser « une conférence nationale de consensus » après la présidentielle d’avril prochain. « Cette conférence est aussi une main tendue sincèrement par le président Abdelaziz Bouteflika aux forces politiques, sociales et économiques du pays sans exclusion », ajoute Ouyahia.
Le passage relatif à la réaction aux marches contre le 5e mandat n’existe pas dans le texte original de l’intervention d’Ouyahia remis à la presse. Mais le Premier ministre en parle : « Un nombre important de citoyens sont sortis dans la rue dans plusieurs villes du pays, notamment vendredi dernier. Je rappelle que la Constitution garantit aux citoyens le droit du rassemblement pacifique dans le cadre de la loi. Dieu merci, toutes ces marches ont été pacifiques ».
Les députés du FFS se révoltent
À la fin de l’intervention du Premier ministre, dans le hall de l’APN, les députés FFS sont révoltés. Ils brandissent des pancartes rejetant la présidentielle. Devant les caméras Sadek Slimani, président du groupe parlementaire du FFS, lit un communiqué dans lequel le parti déplore « l’agression » par le pouvoir de l’instance législative en « la transformant en une tribune électorale en faveur du maintien du régime ».
Les parlementaires du FFS rejettent le contenu de la Déclaration de la politique générale. « Cette Déclaration plaide pour la continuité du régime actuel alors que seul un changement radical du système de gouvernance avec l’élection d’une assemblée constituante et l’instauration de la deuxième République peut sauver notre pays de la crise multidimensionnelle qui risque de devenir incontrôlable », est-il souligné.
Ouyahia est accusé d’avoir aligné « des chiffres gonflés » sur les réalisations de Bouteflika. Les députés du FFS appellent la Cour des comptes à s’intéresser aux dépenses relatives aux projets de ces vingt dernières années, dénoncent « un système finissant » qui veut « succéder à lui même » et déclarent soutenir « la dissidence citoyenne » exprimée par les marches anti-5e mandat.
Nekkaz invité à la réunion de l’opposition
Les députés de l’opposition sont pris d’assaut par les journalistes et les cameramen. Lakhdar Benkhelaf, député du parti El Adala, connu par son franc-parler et ses petites phrases, est très sollicité.
« Les marches (du 22 février) ont prouvé que la majorité des Algériens refusent le 5e mandat. Nous souhaitons que le président lui-même réponde à ceux qui lui demandent de se retirer comme il a répondu à ceux qui étaient à la Coupole (NDLR, en se portant candidat). Les Algériens sont fatigués par la gestion par procuration du pays. Nous refusons la continuité de la corruption et de l’échec », dit-il.
Lakhdar Benkhelaf annonce une réunion de l’opposition la semaine prochaine pour décider de la marche à suivre après les manifestations du 22 février. « Nous allons élargir la concertation à d’autres partis et à d’autres personnalités. Rachid Nekkaz sera parmi nous. Toutes les options seront étudiées y compris celle d’un retrait de tous les candidats », précise-t-il
Pour Nasser Hamdadouche, député MSP, les jeunes algériens ont montré un haut degré de conscience politique lors des marches du 22 février. « Des marches qui n’avaient aucun caractère partisan ou idéologique. Les forces vives du peuple ne veulent pas de la provocation et de l’humiliation du 5e mandat. Les marcheurs ont évalué la gestion du président Bouteflika. La Déclaration de politique général faite au Parlement rajoute à la provocation puisqu’elle revient sur une gestion de vingt ans alors que la Constitution impose cette déclaration pour une gestion annuelle », s’indigne-t-il.
Le MSP a toujours participé aux protestations populaires, rappelle le député. « Et nous allons sortir lors des prochaines marches tant qu’elles sont pacifiques et expriment des revendications claires. Nous ne nous mettons jamais à l’écart de la volonté populaire », appuie Nasser Hamdadouche.
Le peuple, le feu et l’eau
Slimane Saadaoui, le médiatique député du FLN, confie, de son côté, qu’il ne sera jamais partisan de l’arbitraire. « Soyez-en sûr. Je ne peux pas être contre la volonté populaire lorsque la vision sera claire. Il faut rassembler le peuple sur une base de conviction. Le peuple (lorsqu’il se révolte), c’est comme le feu ou l’eau, personne ne peut les arrêter. Le peuple qui n’aime pas le gouvernant, dira son mot. Et le gouvernant dit, « chassez-moi par les urnes ! ». Que chacun convoque ses partisans pour le vote. Les gens disent barakat. Ils ont le droit. Personne ne peut mettre des bâillons sur les bouches », dit-t-il.
Et d’ajouter : « Je ne suis pas avec les gouvernants, je suis avec la patrie. Il est permis de critiquer le gouvernant et le Parlement. Le peuple qui a élu les députés a le droit de s’attaquer aux bras cassés qui sont ici », s’emporte Slimane Sâadaoui.
Pour Mohamed Djemai, autre député du FLN, le président Bouteflika s’est porté candidat parce qu’il a été appelé « par de larges couches de la société ». « Elles ont estimé que le président peut toujours servir l’État alors que d’autres parties pensent le contraire. Elles ont le droit. Nous devons respecter toutes les opinions et permettre à la démocratie de s’enraciner. Le changement vient par les visions, les stratégies et les idées, pas par les personnes. Le premier qui a porté l’étendard du changement fut le président Bouteflika. L’Algérie vivait la peur. Aujourd’hui elle vit dans la sérénité », affirme-t-il.
Mohamed Djemai écarte toute idée de contre- marches organisées par le FLN. « Nous ne voulons pas d’affrontements entre les jeunes dans la rue. Nous appelons tout le monde à la sagesse. Nous voulons que la présidentielle se passe en toute démocratie et en toute liberté. Qu’on sollicite les voix du peuple ! », propose-t-il.
Lors du débat de la Déclaration de politique générale, les députés se montrent plus critiques. L’effet 22 février ? Possible.