Le vieux slogan de la révolution agraire chère à l’ancien président Houari Boumediene a trouvé hier à Paris un nouvel usage lors de la dernière manifestation du mouvement anti-système.
“La terre à celui qui la travaille”, proclamait en 1971 le slogan à l’appui d’une révolution qui a fonctionnarisé le paysan au lieu de le libérer. Sous l’inspiration d’une jeune chercheuse sétifienne, Salima Ammar, le slogan a quitté les campagnes pour reprendre vie à Paris où il veut promettre “l’Algérie à celui qui la travaille et non à celui qui la vole”.
Dans la capitale française, la “révolution du sourire” continue comme chaque dimanche de se déployer dans une ambiance de fête libératrice dont seuls les mouvements de contestation ont le secret. Pour ce premier rendez-vous après la démission de Bouteflika, la fête s’est encore révélée comme le creuset d’une nouvelle fraternité et d’une nouvelle cohésion. Peinture, dessin, poésie, chants et danses sont le vecteur de la contestation abritée par la Place de la République.
Pancarte en main, Salima Ammar a pris la parole dans un des multiples groupes qui se partagent l’un des hauts lieux d’expression de toutes les contestation à Paris. Avec son dernier acte, la “révolution du sourire” a montré ici le début d’une nouvelle étape. La chute du président Bouteflika est vécue comme une victoire permettant d’ouvrir des perspectives au lieu de continuer sur la seule ligne de la contestation. Le projet de “dégager” le système est toujours là. Mais le rassemblement est disloqué en provoque une joyeuse cacophonie où les discours politiques se disputent avec les chants. Comme Salima, des jeunes diplômés expriment leur désir de retrouver le pays et de le servir.
Même les “harragas” ont leur propre carré où ils chantent la nostalgie du pays qu’ils ont été forcés de quitter et qu’ils pensent enfin pouvoir retrouver. “Antouma sbab 3adhabna” (vous êtes la cause de notre malheur), chantent-ils à l’adresse des dirigeants dont ils ont fini par ne plus supporter les turpitudes avant de se jeter à la mer avec le risque de se laisser engloutir par ses flots.
“Al harraga twahchou lemwmia” (ont la nostalgie de la mère), la maman dont ils n’ignorent pas la douleur qui lui tord les entrailles. Par dizaines, les harragas se montrent désormais au grand jour. Ce n’est pas un défi à la police mais une amorce de retour vers ce pays qui enchante le monde. Il est en phase de devenir à leur yeux un objet de fantasme comme l’était l’Europe avant leur expédition.
Féministes, mouvements de gauche, islamistes, MAK, Mouvement culturel amazigh des Aurès se partagent l’espace déserté par les anciens zélateurs de Bouteflika. Dans le respect, chacun essaie de dessiner l’Algérie de ses rêves. De décrire cette “deuxième République” qui cessera d’exclure les citoyens. Mais ils semblent avoir oublié que la chute de Bouteflika n’a pas sonné la fin du système.