Tribune. « Il n’y a pas pire aliéné qu’un cerveau colonisé ». On ne le dira jamais assez, la France n’est pas venue en Algérie pour la « civiliser » mais pour la « militariser ». Elle a échoué par « l’épée », elle a réussi par « l’esprit ». Dans les régimes démocratiques, le postulat de base c’est la primauté du pouvoir civil sur les militaires où l’armée s’abstient de s’immiscer dans la politique. Dans les régimes autoritaires, la question ne se pose pas, l’ordre militaire prend le pas sur l’ordre politique.
En Algérie, la question de la primauté du militaire sur le politique a été tranchée dans le sang avant, durant et après la lutte de libération. Au sein de l’Etat et ses démembrements, la prééminence du militaire sur le civil est perceptible dans la désignation et le suivi des carrières des fonctionnaires et des dirigeants d’entreprises. L’envoi des militaires ou para militaires dans le civil vise la constitution d’une sorte de club de managers sur lequel le pouvoir prend appui notamment dans les entreprises publiques et dans les administrations.
Le développement du pays par la rente pétrolière et gazière dans le cadre d’un secteur public prépondérant est une volonté de l’armée. Disposant d’un double monopole politique (violence légitime de l’armée) et économique (rente pétrolière et gazière), l’élite dirigeante issue du mouvement de libération nationale va s’installer au pouvoir jusqu’à ce que mort s’en suive. Le résultat de cette stratégie savamment orchestrée, a été de livrer l’économie algérienne « pieds et poings liés » au marché mondial.
Cette intégration suicidaire à l’économie mondiale sans analyse préalable et sans objectif clairement défini a poussé l’ensemble de l’économie nationale à l’importation et l’agriculture en particulier à être incapable de reproduire la force de travail de l’homme en Algérie. Cette dépendance de l’économie aux hydrocarbures répond à une stratégie de conservation de pouvoir mûrement réfléchie et patiemment mise en œuvre dont le but de se perpétuer au pouvoir afin de profiter des richesses du pays sans tenir compte ni des besoins essentiels de la population ni de la survie des générations futures.
L’intervention de l’armée dans le champ politique remet sans cesse à plus tard le processus démocratique. L’exercice du pouvoir par les militaires (ou les méthodes militaristes) s’est traduit le plus souvent par une concentration des pouvoirs et des ressources, une irresponsabilité dans la gestion de l’économie et de la société, une violation des droits de l’homme, une restriction des libertés publiques et une incapacité à sortir le pays du sous-développement économique et social dans lequel il baigne depuis cinquante ans. Un Etat omniprésent, omnipotent, monopolisant les activités, concentrant les ressources et décidant de leurs destinations ayant fait la preuve de son incapacité de créer des emplois productifs durables condamnant la société à une mort certaine.
L’Algérie s’est engagée résolument dans un processus accéléré de déperdition des valeurs à l’issue duquel les besoins de base de la population (se nourrir, se soigner, se vêtir, s’instruire) ne seront plus satisfaits par des services encadrés par la loi mais livrés à des réseaux mafieux. Avec la baisse drastique du prix du baril de pétrole et l’épuisement des gisements, le seul palliatif de l’Etat, c’est un endettement interne sans contrepartie productive. A défaut de créer des richesses hors hydrocarbures, il imprime des billets de banque. Il créée l’illusion. C’est un prestidigitateur né.
La spécificité de la société algérienne, c’est qu’elle ne permet pas aux forces de s’auto-transformer, de s’autoréguler, de s’accroître. Pour des jeunes frustrés et désespérés, humiliés et brimés par des parents narcissiques, déçus par la politique, écœurés par le sport, n’ont pour toute activité que la recherche d’un emploi qui leur procure une certaine dignité. Ils ont conscience que le monde qui les entoure est une jungle, il y a des lions et des renards.
Parler de droits de l’homme et de démocratie dans une société où la dignité d’un peuple ne coûte que le prix d’une baguette de pain est une fumisterie. Parler d’un Etat de droit dans un pays où la quasi-totalité des dépenses de l’Etat sont couvertes par la fiscalité pétrolière et gazière est un signe d’immaturité. On pourra discourir sur la démocratie et les droits de l’homme le jour où le citoyen « lambda » pourra payer de son propre argent « gagné à la sueur de son front » le policier, le soldat, le juge, l’enseignant, l’hôpital, l’école, les soins médicaux etc.
Il n’y a pas de démocratie sans développement et non plus pas de développement durable sans une démocratie réelle. Les deux vont de pair. On marche avec ses deux pieds, un pied droit et un pied gauche sous l’impulsion d’un cerveau unique. Le jour ne se lève qu’après une longue de nuit de sommeil. Le soleil de la démocratie ne brille pas d’un seul coup, il monte progressivement. L’Etat de droit n’est pas du « prêt à importer » ou un « météorite » tombé du ciel. « Dieu nous donne des mains mais ne construit pas des ponts ». C’est une œuvre de longue haleine. Cela demande de la maturation. L’Etat de droit est une affaire d’adultes et non un jeu d’’enfants. Etre adultes, c’est pouvoir choisir, devoir renoncer, assumer ses responsabilité, se libérer de la tutelle de ses parents pour devenir soi-même parents à son tour.
Pour la jeunesse, l’armée symbolise le père. Elle s’oppose à lui pour devenir adulte. L’armée refuse pour ne pas perdre l’ascendance sur le peuple. Elle veut le maintenir indéfiniment dans l’enfance. Cela n’est plus de la politique mais relève de la psychiatrie.
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