Lors d’une conférence qu’il a donnée, hier mardi, à l’occasion de la présentation des chiffres sur les inscriptions universitaires pour la rentrée 2018-2019, Tahar Hadjar, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, a enchaîné les déclarations choquantes et invraisemblables qui permettent de supposer que le ministre a réellement une dent contre l’excellence.
M. Hadjar a fait comprendre à l’assistance qu’il ne voyait pas de différence entre les bacheliers « surdoués » et les autres. Pour lui, « le surdoué l’est, peu importe où il est », insinuant que les bacheliers ayant obtenu leur bac avec mention excellent n’ont besoin d’aucun traitement particulier.
Aucun traitement particulier pour les surdoués
Cette façon de voir qu’a le ministre de l’Enseignement supérieur de la gestion de l’excellence est à rebours de ce qui se fait ailleurs dans le monde où les lycées, écoles, universités et pôles d’excellence spécialisés sont au cœur des politiques des États qui investissent dans leurs beaux esprits, car ces établissements garantissent les conditions optimales de vie et de formation aux meilleurs lycéens et meilleurs bacheliers.
« Ce que je sais personnellement c’est que la plupart de ces personnes réussissent facilement dans leurs études », a déclaré le ministre à propos des bacheliers surdoués. Mais réussir ses études n’est que le smic pour un lycéen excellent ou surdoué. « Réussir ses études » veut communément dire obtenir un diplôme universitaire ou, si on veut être plus précis et plus exigent, faire un doctorat ou un professorat, ce qui n’est toujours pas suffisant pour un surdoué qui, dans un système adapté, a pour vocation de sauter des années, de raccourcir les cycles de formation universitaires pour aller plus loin, plus rapidement et ainsi faire progresser la recherche et l’innovation.
Ce n’est sans doute pas dans des universités surchargées où les étudiants sont mal formés, mal logés, mal nourris et mal protégés au sein même de leurs facultés et cités universitaires que les esprits brillants des étudiants excellents algériens pourront s’épanouir et contribuer à leur mesure au bien de l’Algérie.
Ces propos tenus par le ministre chargé des universités, des étudiants et de la recherche scientifique ont de quoi choquer, surtout s’ils sont entendus par les concernés pour qui cette déception n’est sans doute pas la première et ne sera probablement pas la dernière.
À quoi sert un prix Nobel ?
Lors de la même conférence de presse, le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique a montré au monde qu’il ignore la signification et l’utilité d’un prix Nobel ainsi que sa répercussion sur le prestige, l’économie et l’industrie d’un pays et de ses universités.
« En quoi ça m’avance moi, si on a un prix Nobel issu de l’Université d’Alger ? Quelle serait sa répercussion sur l’enseignement ? », a déclaré le ministre, sans sourciller !
Les prix Nobel de physique, de chimie, de physiologie ou de médecine récompensent les scientifiques qui ont réalisé des avancées majeures dans leurs domaines, souvent après des années, voire des décennies de recherche. Ce que semble ignorer M. Hadjar c’est que les lauréats des prix Nobel sont souvent des enseignants chercheurs qui, en plus de diriger des laboratoires de recherche, donnent des conférences dans les universités de leurs pays et ailleurs, encadrent des thèses, mènent des projets de collaboration avec les industries, les établissements de santé, les institutions de leurs Etats.
Les chercheurs nobélisés jouent, au profit de leurs universités, le rôle de diplomates scientifiques, de représentants à l’international, de vitrine, ils attirent les fonds, les esprits les plus brillants et les meilleurs enseignants. Ils créent un cercle vertueux grâce à leur aura. Les étudiants de ces universités sont fiers de leurs établissements, ils sont motivés et mieux formés puisque l’excellence est contagieuse au sein d’un même établissement.
Entasser des dizaines de milliers d’étudiants dans une université et leur donner à manger des pâtes à l’eau accompagnés de fromage en portion et de pain rassis (repas qu’ont enduré la plupart des étudiants algériens) après les avoir envoyés étudier dans des facultés sinistrées et dénuées des moyens les plus rudimentaires ne suffit pas à faire d’eux des intellectuels, des chercheurs productifs ni à former des travailleurs efficaces.
Les chiffres, seul indicateur qui compte pour Hadjar
Un prix Nobel dans un domaine scientifique ou technologique est souvent lié à des découvertes importantes qui ont permis le dépôt de brevets pour des concepts, des modes opératoires, des processus technologiques novateurs et utiles à l’industrie. Ces innovations servent d’abord les économies des pays dont elles sont originaires.
Chose que semble également ignorer le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique est que les prix Nobel sont des consécrations pour les universités qui ont l’immense honneur de voir leurs professeurs et chercheurs en être récompensés. Un prix Nobel est la récompense de l’excellence des chercheurs et de leurs universités dont les laboratoires réalisent des travaux de recherche qui font avancer l’humanité. Le nombre de prix Nobel algériens en dit long sur la qualité de notre enseignement supérieur et sur la contribution de nos universités au progrès universel.
Quant aux palmarès universitaires qui semblent relever, pour le ministre Hadjar, d’opérations de marketing, il est bon de signaler que les universités algériennes sont absentes de la plupart de ces classements et ne se retrouvent que dans le dernier quart de la quasi-totalité des classements qui ne les ignorent pas.
« Si nous voulions que l’Université d’Alger soit classée parmi les 100 premières (au monde) elle le sera puisqu’elle a déjà trois prix Nobel. Même si le prix Nobel a été obtenu en 1910, il est comptabilisé mais nous n’avons pas voulu qu’ils le soient car ils ont été obtenus pendant l’ère coloniale », a déclaré confiant Tahar Hajar.
Mais ces classements, contrairement à ce qu’affirme le ministre de l’Enseignement supérieur ne se basent pas uniquement sur le nombre de prix Nobel obtenus par les universités mais également sur d’autres critères comme le nombre d’articles publiés par elles, le nombre de publications qu’elles placent dans les grandes revues scientifiques, le nombre de citations contenues dans des articles scientifiques et renvoyant à des articles de ces universités ou encore, sur leur présence et leur réputation sur le web.
Gageons qu’avec ces méthodologies de classement, l’Université d’Alger n’améliorera pas de façon spectaculaire son classement mondial et restera toujours très loin des 100 premières universités mondiales dans tous les classements mondiaux réputés pour être fiables et ce, même si on prend en compte les « trois prix Nobel » obtenus par elle avant l’indépendance comme l’a suggéré le ministre Hadjar.