C’est un cri d’alarme que lance un investisseur de Blida venu s’installer au sud de Tiaret. En quelques années, il a planté plusieurs centaines de pêchers et de poiriers. Aujourd’hui, encore non connecté au réseau électrique, il n’a plus les moyens d’acheter le carburant nécessaire pour irriguer son exploitation.
La chaîne TV Kanatcom a décidé de faire connaître le drame qui se joue dans la commune de Sidi Abderrahmane en donnant la parole à l’investisseur et à ses associés. Sidi Abderrahmane, une commune située à l’extrême sud de la wilaya de Tiaret.
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Des investisseurs installés dans la steppe
Dans cette commune, finies les riches terres céréalières du Nord de la wilaya telles celles de Rahouia. On se situe dans la steppe, le pays du mouton. Des moutons trop nombreux, à tel point qu’aujourd’hui, il ne reste plus une seule touffe d’alfa ou de chih. De vastes étendues que les habitants dénomment « Sahra » et qui en dit long sur l’état de dégradation des parcours.
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C’est pourtant sur ces terres désolées que cet investisseur s’est installé. La loi de 1983 sur l’accession à la propriété foncière agricole a accéléré les mutations dans la steppe en Algérie.
Les terrains communautaires de parcours connaissent une privatisation qui attire les investisseurs. Des investisseurs qui ont les moyens de procéder à des forages profonds pour accéder aux nappes d’eau souterraines.
Un verger tel une oasis dans la steppe
Tout autour du verger, le sol nu est de couleur brique. Un sol sablonneux qui file entre les doigts lorsqu’on en prend une poignée dans la main. Le vent a depuis longtemps emporté le limon qui faisait la richesse du sol.
Pour délimiter le verger, un simple muret de pierres sèches auquel s’adosse une haie d’arbres jouant le rôle de brise-vent. Passée cette limite, le contraste est saisissant : le vert des arbres fruitiers l’emporte sur l’ocre du sol.
Près d’une bâtisse, un abri sous lequel un moteur actionne la pompe qui envoie l’eau du forage vers le réseau d’irrigation qui court au pied des arbres. Deux des associés de l’investisseur principal détaillent le fonctionnement de l’installation qui constitue le centre névralgique de l’exploitation.
Des allers-retours quotidiens vers la station Naftal
Le moteur est arrêté le temps de l’échange. Habituellement, il fonctionne toute la journée. Contre un mur, un autre moteur à l’arrêt car irréparable. Usé d’avoir trop longtemps fonctionné.
Pour alimenter l’engin en carburant, près de 10 000 DA sont déboursés chaque jour. Une citerne trône à proximité, elle sert de stock de sécurité. Une autre cuve en plastique montée sur palette, est remplie chaque jour grâce aux allers-retours quotidiens vers la station Naftal la plus proche.
Transpirant à grosses gouttes, un des associés confie : « On est dans une situation que vous ne pouvez imaginer : les pannes, le vent, la chaleur et pas d’électricité. On ramène depuis la Mitidja des fonds qu’on investit dans ce projet. Chaque année, on se dit, cette année va être la bonne ».
Dans 2 mois, vous serez raccordé au réseau
L’exploitation n’est pas rattachée au réseau électrique. « À la Sonelgaz, on nous a dit d’acheter un transformateur et promis qu’en deux mois nous serions reliés au réseau. On a acheté le transformateur qu’on a payé 1,1 millions de dinars. Cela fait maintenant deux ans, mais nous ne sommes toujours pas raccordés au réseau. Pourtant il y a une ligne qui passe à moins de 2 km ».
Il poursuit : « Quand on va voir la Sonelgaz, ils nous disent d’aller voir les services agricoles. Et quand on va les voir, ils nous disent d’aller voir la Sonelgaz ». Son collègue ajoute : « Si on avait su, on n’aurait pas acheté le transformateur tout de suite, on aurait mis l’argent dans d’autres dépenses ».
Ici, pas besoin de « traitements chimiques »
Devant des poiriers aux branches chargées de fruits jaunes qui se teintent progressivement de rouge, le maître d’œuvre du projet s’exclame : « Regardez, cet arbre, c’est de la Santa-Maria. À cause du feu bactérien “el lefha”, cette variété ne pousse plus en Mitidja. Mais ici, pas besoin de traitements chimiques. C’est une culture naturelle, c’est bio. Le climat de la région fait qu’il n’y a pas besoin de “dwawates” (pesticides) elle pousse admirablement. Mais, avec plus d’eau, les fruits auraient une plus belle taille ».
Le feu bactérien, une maladie terrible apparue en 2010 qui a ravagé les poiriers et pommiers en Mitidja. Lorsqu’un arbre est atteint, la seule solution est de le bruler afin d’essayer de sauver le reste du verger.
Des arbres croulants sous les nectarines
Devant des arbres aux branches chargées de nectarines, l’investisseur explique qu’ils produisent déjà alors qu’ils ont à peine deux ans.
Les fruits ont déjà une belle couleur : « Ils devraient grossir et dans un mois être prêt à être récoltés ». Très fier, il ajoute : « Je suis le seul à pouvoir proposer des nectarines dès septembre, les autres nectarines que vous apercevez sur les marchés proviennent des chambres froides ».
Les jeunes arbres croulent déjà sous les fruits. Il confie à la chaîne Kanatcom TV son désarroi : « Ces arbres m’ont coûté cher. Je les ai plantés il y a 2 ans. Je me suis endetté. Je n’ai plus de voiture, je l’ai vendu. J’investi tout ce que je possède dans le verger. Des sommes que j’enlève de la bouche de mes enfants ».
Il ajoute : « Quand j’ai de quoi acheter du mazout, il n’y a plus d’eau. Mais, actuellement, je n’ai même plus les moyens pour acheter de quoi faire alimenter la motopompe ». Un spectacle désolant à un mois d’une récolte prometteuse.
La Madeleine, une pêche à la chair blanche
Dans une autre parcelle de pêches, l’investisseur confie : « C’est la variété Madeleine, une variété dont la chair est blanche ». La peau des fruits est légèrement recouverte d’un sale de couleur ocre. Certainement un reste de la dernière tempête de sable, celles-ci sont souvent fréquentes dans la région. Si les brise-vents qui entourent le verger protègent les arbres des rafales de vent, ils ne bloquent pas cette poussière qui s’insinue partout.
Au pied des arbres, les tuyaux du système d’irrigation par goutte à goutte. Un système plus moderne avec goutte à goutte enterré pourrait permettre d’économiser plus d’eau.
À l’adresse du wali, « je ne demande pas d’argent »
Nectarines, pêches, poires. Manifestement l’investisseur est un fin connaisseur des vergers. « Mon père était fellah, et mon grand-père aussi. Moi j’aime l’agriculture, ce n’est pas une question d’argent. Si je n’aimais pas l’agriculture, croyez-vous que je serais venu de Blida et subir ces vents de sable ? ».
L’investisseur s’adresse au wali : « Je demande aux autorités qu’elles m’aident pour le raccordement au réseau électrique et pour une autorisation de forage. Je ne demande pas d’argent ».