Trente ans après sa reconnaissance officielle et vingt-huit ans après sa victoire aux législatives avortées de décembre 1991 que reste-t-il du FIS ? Entre les deux dates, il y a eu sa confrontation avec l’armée qui a dégénéré en violences généralisées et une fausse réconciliation qui a mis la vérité sous l’éteignoir.
Frappé de dissolution depuis 1992, le parti islamiste n’a pas participé aux élections organisées sous les présidences de Zeroual et de Bouteflika et nombre de ses partisans se sont placés sous d’autres chapelles.
Pour autant, la question de son poids reste prégnante dans le débat politique. Ni la libération de ses principaux dirigeants en 2003 ni les agitations ultérieures du fougueux Ali Belhadj n’ont pu servir de baromètre. La fermeture du champ politique et la surveillance policière accrue ont empêché la mesure de son audience.
La mort d’Abassi Madani en plein mouvement populaire et son enterrement hier en présence d’une foule nombreuse a offert cette possibilité. Le champ politique s’est déverrouillé, le mur de la peur a sauté et les médias ont fait leur tapage. Et cela se passe à Belcourt, surnommé Kandahar dans les années 90 avec sa mosquée Kaboul.
Combien étaient-ils ?
Toutes les conditions étaient réunies pour transformer les obsèques en immense rassemblement de ce qui reste du FIS. Et le pouvoir n’a rien fait pour empêcher cette possibilité. Tout en prenant la leçon du sondage il avait intérêt à exhiber la « bête » et à faire peur au mouvement populaire. A-t-il réussi ? Le débat fait rage sur les réseaux sociaux.
Entre les opposants apeurés d’entendre résonner encore « alayha nahya alayha namout » qui ont noté 2.000 personnes et les prosélytes exaltés qui en ont vu des centaines de milliers, il y a les observateurs neutres. Des policiers interrogés sur place parlent de 5.000 personnes. Des journalistes ont essayé de faire le calcul. La foule était concentrée sur un tronçon long de 500 mètres et large de 13 m (Google earth). À raison de 3 personnes au M2 on parvient à une estimation généreuse de 20.000 personnes. Encore qu’elles ne sont pas toutes acquises au FIS, puisqu’on y compte les curieux, les badauds et tous ceux qui sont attirés par le gain de « hassanate » en participant à un enterrement.
Par comparaison, la foule était nettement plus ample à l’enterrement de Hocine Ait Ahmed en décembre 2015, plus importante aux obsèques d’Amar Ezzahi fin novembre 2016 à la Casbah, selon des témoins présents aux deux évènements et interrogés par TSA. Bien plus encore à celui de Matoub Lounes en juin 1998 dans son village de Taourit Moussa. Que la mort d’artistes ait ému plus que celle d’Abassi Madani est déjà révélateur du changement opéré dans les mentalités.
« Danger islamiste »
Un ancien secrétaire national du FFS, parti qui a milité pour la réconciliation nationale dans les années 90, affirme ne pas croire au « danger islamiste ».
« Le courant « islamiste » ne peut plus avoir cette prétention hégémonique au sens gramscien du terme qu’il avait dans les années 90. Les Algériennes et les Algériens ont pris conscience que la bipolarité pouvoir/Fis voulue par les ultras des deux bords a causé tant de malheurs au pays et avait permis au système de perdurer. Les jeunes algériens ne sont plus disposés à prêter l’oreille à ceux qui leur vendent le paradis en les exhortent à sacrifier leurs libertés sur l’autel de promesses millénaristes (…) Les « démonstrations de force » à l’occasion des funérailles de l’ancien leader du FIS n’impressionnent pas. Les médias public et privés du pouvoir ont beau chercher à les amplifier, le « péril vert » ne fonctionne plus dans l’Algérie d’aujourd’hui », écrit Samir Bouakouir sur sa page Facebook.
« Je suis sûr que l’islamisme politique et guerrier a été enterré avec lui. Il ne faut pas s’inquiéter de cette visibilité spécifique à un enterrement’ (…) Le temps d’Abassi et de son parti est mort et bien mort », veut croire l’universitaire Saïd Benmerad dans un commentaire posté aussi sur Facebook.
« Je pense que le parti intégriste a été enterré avec son président », abonde une journaliste. Un autre surenchérit : « y en a qui s’obstinent à faire du FIS un épouvantail permanent et un fonds de commerce pourtant la marchandise est périmée et invendable ».
Ingénieur et consultant international en économie des transports, Akli Ourad, se déride en se prenant en photo avec un homme en calotte en longue barbe, drapé du drapeau national lors d’une manifestation à Alger. « Voici la preuve que les islamistes sont rentrés dans les rangs. Nous manifestons avec eux chaque vendredi. Silmya », écrit-il.
De nombreuses pages renvoient le fondateur du FIS à la « décennie noire ». Des internautes ne cachent pas leur jubilation et lui promettent l’enfer. La chaîne Magharibya, dont un des enfants est actionnaire, essaie de défendre sa mémoire. Des adeptes et des pages dédiées lui rendent hommage.
Mais ses partisans se sont privés de mesurer l’influence du FIS à l’aune de la foule venue à l’enterrement. C’est peut-être aussi un autre signe que le parti est bien mort à leurs yeux. En ce jour où Bouteflika devait clore son 4e mandat, l’Algérie aurait donc assisté à un double enterrement ?