Abdellah Zekri est le président du Collectif des mozabites d’Europe. Cette figure de l’islam de France où il est aussi le président de l’Observatoire de l’islamophobie a joué un rôle de médiateur dans la crise qui a secoué la ville de Ghardaïa il y a quelques années. Ce presque octogénaire n’est pas un va-t-en-guerre. Mais il ne cache pas sa colère. Il a alerté il y a plusieurs jours déjà sur la situation du détenu Kamel Eddine Fekhar, redoutant cette issue fatale qui s’est produite aujourd’hui. Sa mort est “un crime”, clame-t-il dans cet entretien.
Vous avez sonné l’alerte il y a quelques jours sur le sort de Fekhar. Vous n’avez pas été entendu. Quel est votre sentiment maintenant que sa mort est annoncée ?
J’ai un sentiment de colère et de dégoût à l’égard de ceux qui sont responsables de la mort de Kamel Eddine Fekhar. Son épouse a alerté les autorités de la wilaya de Ghardaïa sur son état de santé. Elle leur a bien dit qu’il n’était plus en mesure de parler, que ses réflexes étaient anéantis, qu’il ne réagissait pas quand elle lui parlait. Ses plaintes n’ont pas été prises au sérieux malheureusement.
Qui est responsable de la mort de ce militant des Droits de l’Homme qui n’était pas à sa première détention ?
Ce sont les autorités. Déjà, il a été humilié lors de son arrestation avec le professeur Hadj Brahim Aouf qui, lui aussi, se trouve à la prison de Ghardaïa dans un état dramatique et inquiétant. J’espère que les autorités vont prendre conscience de son cas et ne vont le laisser mourir aussi.
Les musulmans ont pour habitude d’attribuer au mektoub ces fins dramatiques. Je ne suis pas d’accord. Je dis que la mort de Kamel Eddine Fekhar est un crime. Il ne peut pas s’agir d’autre chose quand on laisse un homme mourir après lui avoir infligé des humiliations.
En détention, les détenus mozabites ont été dépouillés de leurs signes identitaires, pantalon et chéchia, en leur disant « vous êtes des arabes ». On les a même privés de papier hygiénique.
Qui est responsable de ces conditions de détention ?
Je vise le Procureur de la République Mohamed Bensalem, plusieurs fois relevé de ses fonctions et nommé à Ghardaïa par Tayeb Louh. Ce magistrat ne s’est jamais privé de revendiquer publiquement et ostensiblement la protection de ce ministre même quand des millions d’Algériens ont commencé en février à manifester contre le favoritisme et la hogra. Un militant qui a eu l’audace de le dénoncer sur les réseaux sociaux a été arrêté et jeté en prison. À Ghardaïa, on a créé un climat de terreur. On en a fait une partie de l’Algérie singulière où les autorités locales font régner leur ordre particulier. J’ai essayé d’alerter les autorités nationales sur cette situation. Malheureusement, on ne m’a pas écoute ou alors on a laissé faire.
Quand le mouvement populaire a commencé le 22 février, le wali a joué la carte du chaos, en essayant de dresser les communautés les unes contre les autres. Aux mozabites, il disait « si vous manifestez vous allez vous faire tuer ». Et aux malékites, il disait « si vous manifestez les ibadites vont vous tuer ».
Finalement, ils l’on démenti. Ils sont sortis main dans la main et ont défilé dans la fraternité. Ils ont dénoncé le wali et procureur général. Je ne vais pas me taire. En tant que responsable du Conseil français du culte musulman, je reçois en permanence des insultes et des lettres de menaces. Comment pourrais-je me taire face aux agissements des autorités locales de Ghardaïa ? Comment ne pas dénoncer ces soi-disant responsables nommés par l’État mais qui sèment la haine et la division et laissent les militants mourir ?
Quel est le sentiment du Collectif des mozabites d’Europe ?
Je n’ai pas arrêté de recevoir des appels ces deniers jours. Aujourd’hui, ils se sont bien sûr amplifiés avec l’annonce de cette tragédie. La communauté exprime sa colère et son indignation et demande à ceux qui sont en charge de la sécurité du pays de prendre leurs responsabilités.
Le Conseil adresse ses condoléances à la famille et aux proches de Fekhar, en leur disant que ce crime ne restera pas impuni. Je lance un cri d’alarme pour que le cas de Hadj Brahim Aouf soit pris en charge afin qu’il ne connaisse pas le même sort tragique. Nous demandons aussi la libération de tous les détenus politiques afin qu’ils puissent regagner leur domicile en cette période de fête de l’Aïd.
Depuis que Mohamed Bensalem a pris ses fonctions à Ghardaïa, il a lancé plusieurs mandats d’arrêt contre des mozabites que rien ne justifie. Ils sont d’ailleurs nombreux à avoir fui la région de peur de se faire arrêter et jetés en prison. Il y a des mozabites emprisonnés depuis trois ans sans jugement. Ce sont des personnes qui ont refusé de se laisser spolier de leurs terres.
Que compte faire immédiatement votre Collectif ?
Nous avons convoqué une réunion pour ce soir. Elle sera suivie d’un communiqué où l’on s’exprimera davantage.