Abdelaziz Bouteflika, 82 ans, a dirigé l’Algérie pendant vingt ans. Il détient le record de longévité à la tête de l’État algérien. Il vient de démissionner de la Présidence dans des conditions humiliantes, après avoir été sommé de le faire par l’état-major de l’armée. Bouteflika part avec un bilan désastreux. Portrait.
Bouteflika a pris ses fonctions de président de la République le 27 avril 1999 après avoir vécu pendant longtemps à l’étranger, loin de l’Algérie et de ses complexités. Il n’a pas été perturbé par le retrait des six autres candidats à la présidentielle.
Hocine Ait Ahmed, Mouloud Hamrouche, Mokdad Sifi, Ahmed Taleb Ibrahimi, Abdallah Djaballah et Youcef Khatib s’étaient retirés le 14 avril 1999 pour dénoncer le non-respect par Liamine Zeroual, alors chef d’État, d’organiser « une élection libre et transparente ». « Nous décidons notre retrait collectif de l’élection présidentielle et la non-reconnaissance de la légitimité des résultats de ce scrutin », ont-ils écrit dans une déclaration.
Cela n’a pas empêché Abdelaziz Bouteflika, présenté alors comme « le candidat du consensus », de poursuivre la course pour être élu à 73,8% des voix exprimées, selon les résultats officiels.
« Je n’aime pas les 99 % »
Installé avec une aile cassée au palais d’El Mouradia, Abdelaziz Bouteflika a déclaré avoir « la légitimité populaire » malgré le boycott des autres candidats et les doutes de la population. « Que ce soit ici ou ailleurs, en France ou en Suède, 74 % des voix, c’est quand même respectable. Je n’aime pas les 99 % », a-t-il déclaré lors de sa première et unique conférence de presse, au siège de sa permanence électorale à Hydra, à Alger.
Il adopte dès le départ le « style » du colonel Houari Boumediène dans sa manière de s’adresser aux Algériens en haussant la voix et en tapant sur la table. Il ne se met pas en arrière du véhicule préférant se mettre à côté du conducteur comme le faisait l’ancien président dont il était ministre des Affaires étrangères. Il préfère mettre des habits sombres refusant les costumes de couleurs claires pour se donner une certaine image de dureté.
« Je suis venu pour la paix »
Dès les premiers jours de son règne, il montre son rejet de la presse. Il critique ouvertement tous les médias algériens, les méprise au point de n’accorder ses premières interviews qu’aux organes de presse étrangers. Invité de la chaîne France 3, lorsqu’il était au Forum de Crans Montana, en Suisse, en juin 1999, Bouteflika a lancé : « Moi, je suis venu pour la paix. Si le peuple Algérie soutient ma démarche dans le sens de la paix, c’est parfait (…) Si par contre le peuple algérien ne suivait pas, je le dis pour la cinquième fois, je rentrerai chez moi, je ne suis pas venu pour un fauteuil, je suis venu remplir une mission ».
Il est resté sur ce fauteuil pendant vingt ans. A-t-il rempli cette « mission » ? Au départ, il était question de faire admettre à l’opinion publique le projet de l’armée de « réconciliation ». En septembre 1999, Bouteflika en « peace maker » organise un référendum sur « La concorde civile ». Une manière de « reconquérir » la légitimité après avoir été mal élu lors de la présidentielle d’avril 1999.
Il en profite pour faire le tour du monde pour vendre cette image de « faiseur de paix », ses relais s’étaient chargé de faire circuler l’idée de présenter la candidature de Bouteflika au Nobel de la Paix. Idée relancée en 2005 lors que Bouteflika décide d’organiser un second référendum sur la Charte pour « la paix et la réconciliation ». Une Charte qui a consacré l’impunité totale autant pour les terroristes que pour les militaires. Aucun bilan n’a été fait de l’application de cette charte à ce jour.
Gestion opaque
À la Présidence, Bouteflika, qui dit avoir été dans « l’opposition » à l’époque de Chadli Bendjedid, installe les règles de l’opacité totale. Il garde pour lui et ses proches les rapports des commissions de réformes de l’École, de la Justice et des missions de l’État qu’il installe en 1999. Les recommandations de ces commissions seront mises au placard.
Il ne publie pas les rapports de la Cour des comptes qu’il déteste parce qu’elle avait osé ouvrir une enquête et rendre un arrêt contre lui en août 1983 pour « détournement » au niveau des représentations consulaires. Pendant vingt ans Bouteflika a gelé la Cour des comptes et bloqué tout mécanisme de contrôle sur les dépenses publiques.
Il a accepté à peine l’existence d’un Parlement. Il n’a jamais prononcé un discours devant les députés algériens, préférant s’adresser aux parlementaires tunisiens à l’époque de la dictature de Zine El Abidine Ben Ali. La Tunisie était, pour lui, un modèle de démocratie. Très sûr de lui et de sa personne, il n’aime pas être contredit, critiqué ou remis en cause, crie à la face de celui qui discute ses ordres à la Présidence, n’hésite à bousculer un enseignant universitaire lors d’une visite à Oran.
21 gouvernements en 20 ans !
Il écarte tous ceux qui osent lui faire de l’ombre ou critiquer ses décisions. Abdelaziz Rahabi et Ahmed Benbitour, puis Ali Benflis furent ses premières victimes. Même ses proches conseillers passent à la trappe pour avoir émis des doutes sur ses choix économiques ou politiques, souvent discutables, à l’image d’Abdelhamid Temmar, Abdelatif Benachenhou et Noureddine Zerhouni.
Ne se croyant pas obligé de rendre des comptes au Parlement, il change les gouvernements comme on change des chemises instaurant une déstabilisation durable au sein de l’État. À peine un ministre est installé à son poste qu’il est déjà désigné à autre poste sans possibilité pour lui d’engager un plan de travail. En tout, Bouteflika a consommé vingt un gouvernements en vingt ans, c’est-à-dire un gouvernement chaque année, ce qui est unique dans l’histoire politique contemporaine.
Cette gouvernance de l’à peu près a eu pour conséquences d’intensifier les flux de corruption, d’affaiblir le contrôle sur les projets de développement et de déstructurer les visions et les programmes dans tous les secteurs. La plupart des gouvernements sont partis sans présenter de bilan, l’argent public engagé a été perdu à tout jamais.
Esprit revanchard
Durant sa guerre ouverte avec Ali Benflis, son ex-directeur de cabinet à la Présidence de la République, en 2003/2004, Bouteflika montre toute l’étendue de son esprit revanchard en caporalisant le FLN dont il avait un mépris historique et en instrumentalisant la justice pour invalider les résultats.
À cette époque, il ordonne en juin 2004 l’emprisonnement du journaliste Mohamed Benchicou pour avoir écrit un pamphlet contre lui « Bouteflika, l’imposture algérienne ». Après son élection contestée en avril 2004, Bouteflika écarte sans aucune autre forme de procès tous les cadres de l’État soupçonné d’avoir des liens de près ou de loin avec Ali Benflis.
En 2008, il amende la Constitution sans consultation populaire pour supprimer la limitation des mandats présidentiels. Il fait en sorte que le secret complet soit instauré autour de sa maladie et de sa famille.
Ministre à 25 ans
Fils d’Ahmed Bouteflika et Mansouriah Ghezlaoui, Bouteflika grandit au Maroc avec ses frères et sœur Zhor, Abdelghani, Nacer (surnommé Abderrahim), Mustapha et Said avant de rejoindre à l’âge de 19 ans « l’armée des frontières » au sein de l’Armée de libération nationale (ALN) après un appel lancé aux étudiants par le FLN.
Il a obtenu un bac français en poursuivant des études au Lycée Abdelmoumen d’Oujda où il activait déjà au sein d’une cellule du parti marocain Al Istiqlal d’Allal Al Fassi. Deux ans plus tard, en 1958, il entre dans le cercle de Houari Boumediène pour devenir son secrétaire particulier. Boumediène fait l’ascension du poste de commandement de la wilaya V à celui de l’état-major de l’Ouest puis de chef de l’état-major. Envoyé en mission en 1960 à la frontière Sud du pays où il acquière le surnom de « Abdelkader El Mali ».
En 1962, il est nommé à l’âge de 25 ans ministre de la Jeunesse, des Sports et du Tourisme de l’Algérie indépendante dans le gouvernement d’Ahmed Ben Bella. Il siège à l’Assemblée constituante en tant que député de Tlemcen. Il devient ensuite ministre des Affaires étrangères. Il joue un rôle central dans le coup d’État militaire de 1965 contre Ahmed Ben Bella qui voit Houari Boumediene devenir chef de l’État sans aucune élection.
Membre du Conseil de la Révolution, Bouteflika occupe le poste de chef de la diplomatie pendant treize ans supplémentaires, jusqu’au décès de Boumediène en décembre 1978. Dans les années 1970, il était souvent critiqué pour ses séjours prolongés à l’étranger, notamment en Espagne et au Maroc, en négligeant sa mission au ministère des Affaires étrangères. Ces absences ont obligé Boumediène à gérer lui-même certains dossiers internationaux.
La traversée du désert
Pressenti pour devenir le nouveau président de l’Algérie, c’est finalement Chadli Bendjedid qui est désigné à la tête de l’État en 1979 parce qu’il était le militaire le plus âgé au grade le plus élevé. Bouteflika n’a jamais accepté sa mise à l’écart par le régime Chadli et par les militaires, car il se voyait comme « le digne » successeur de Boumediène.
Nommé ministre d’État par Chadli, Bouteflika est peu à peu écarté du pouvoir avant d’être poursuivi par la Cour des comptes accusé d’avoir détourné l’équivalent de 60 millions de francs français sur les trésoreries des différentes chancelleries algériennes à l’étranger. S’ensuit une traversée du désert et un exil de six ans.
Abdelaziz Bouteflika rentre en Algérie à la fin des années 1980. Il décline plusieurs propositions pour devenir ministre et refuse une première fois une proposition d’accéder aux fonctions de chef de l’État, ouvrant la voie à la désignation de Liamine Zeroual à la tête de l’État, en 1994. À la fin de l’année 1998, il se présente candidat aux présidentielles d’avril 1999 avec l’idée qu’il ne sera pas « un trois quarts de président ».
Annoncé partant aux élections présidentielles de 2004, il est réélu à son poste pour cinq années supplémentaires avec près de 85% des voix. Sa présidence est marquée par un contexte de forte hausse des cours du pétrole renflouant massivement les caisses de l’Algérie et permettant de lancer de nombreux projets. Alors que la Constitution ne l’autorise pas à se présenter que pour deux mandats successifs, le président Bouteflika fait sauter le verrou constitutionnel et est réélu en avril 2009 avec 90.24% des voix.
Le troisième mandat de Bouteflika est marqué par un accident cérébral (AVC) en 2013 qui le fait disparaitre de la scène publique, une année après avoir dit lors d’un discours à Sétif que sa génération a fait son temps (Tab jnani). Bouteflika est malgré tout présenté pour un quatrième mandat et est réélu en avril 2014 avec 81.53% des suffrages sans avoir mené sa campagne ni parlé aux algériens. Absent de la vie politique depuis six ans, ne s’exprimant à la nation que par messages lus en son nom, le président Bouteflika annonce le 11 février 2019 son intention de se porter candidat pour un cinquième mandat consécutif à la présidence de l’Algérie avant de se raviser un mois plus tard suite à des contestations de rue exigeant le départ du régime.
Contesté par le peuple qui manifeste, Bouteflika a fini par perdre son principal soutien, l’armée. Ce soir, il a annoncé son départ, sans même avoir réussi à protéger ses proches.