Diversement appréciée, l’action diplomatique de l’Algérie, dans un environnement agité et troublé, n’est pas aussi inaudible que peuvent le penser certains.
Face à une espèce d’accélération de l’histoire, particulièrement ces dernières années, avec les multiples crises qui secouent nombre de pays et qui l’impactent directement, la diplomatie algérienne, mise en veilleuse durant plusieurs années sous l’ère du Président défunt, Abdelaziz Bouteflika, se devait donc naturellement de s’adapter.
Encore plus aujourd’hui en devenant de plus en plus culturelle et économique. C’est, en substance, l’avis tranché d’Abdelaziz Rahabi, diplomate et ancien ministre, ex-ambassadeur d’Algérie à Madrid.
« On nous fait des procès, mais la diplomatie est audible avec ses moyens propres », soutient-il.
Invité d’une émission du média Alternatv, Abdelaziz Rahabi s’est refusé à porter un jugement sur l’action diplomatique de l’Algérie de ces dernières années, jugeant l’appréciation difficile sur un temps court, de « trois, quatre ans ».
«Il est difficile de porter un jugement sur la diplomatie dans un temps court de trois, quatre années. Nous avons eu la plus grande durée, 20 ans de Bouteflika et qui était ministre des Affaires étrangères pendant 13 ans, ce qui a fait de lui le diplomate qui était resté le plus longtemps dans cette fonction. Le pays change, l’environnement change, le monde change, il faut nécessairement des adaptations », soutient-il.
« Nous avons eu ces dernières années, des moments difficiles. Il y a eu une sorte d’accélération de l’histoire. Seule la situation géographique n’a pas changé, mais tout a changé (Sahel, Libye, Tunisie, Ukraine…). Toutes ces crises ont des répercussions sur notre diplomatie. Il y a aussi la diplomatie qui devient de plus culturelle, économique et forcément, il y a des défis », explique-t-il.
Ces changements commandent à ses yeux des adaptations et les vieilles recettes ne sont plus opérantes. « Je ne pense pas que la diplomatie d’il y a 30 ans, 40 ans ressemble à celle d’aujourd’hui. Nous ne pouvons pas demander à l’Algérie des non-alignés, des mouvements de libération de ressembler à celle d’aujourd’hui même si les grands thèmes de libération des peuples et de non-alignement restent dans la doctrine de la diplomatie algérienne. Je pense que le monde change, nous avons besoin de nous adapter à ces changements », développe-t-il.
Pour Abdelaziz Rahabi, le talent d’Achille de la diplomatie algérienne est l’absence d’un système médiatique performant à l’international qui peut améliorer l’image du pays. « Nous avons un système d’information à l’international chaotique, nous n’avons rien fait pour améliorer notre image », juge Rahabi.
« Non surpris » par la lettre de Macron au Roi Mohamed VI
Comme certains observateurs avertis, Abdelaziz Rahabi n’a pas été surpris par la décision du président français Emmanuel Macron d’aligner sur la position de la France sur celle du Maroc concernant le conflit au Sahara occidental.
Le 30 juillet, à l’occasion de la fête du Trone au Maroc, le président Maroc a adressé une lettre à Mohammed VI pour lui faire de la décision de la France de soutenir le plan d’autonomie marocain comme « seule base » pour la résolution du conflit au Sahara occidental. Un soutien qui a suscité la colère de l’Algérie qui a retiré, le même jour, son ambassadeur à Paris.
« Ce n’est pas un revirement, c’est la France qui a conçu le plan d’autonomie, elle l’a toujours soutenu, elle a été un allié du Maroc, ce n’est pas nouveau ! », soutient-il. « La lettre de Macron ne m’a pas surpris. Elle est en droite ligne de la position traditionnelle française sur le Sahara occidental », ajoute-t-il encore.
Considérant que la première véritable crise diplomatique entre l’Algérie et la France a été le fait de Macron après ses « graves déclarations » de 2021 sur le « déni de la Nation algérienne » en accusant les résistants de « rentiers de l’histoire », rendant du coup difficile de mettre en place des mesures de confiance, Abdelaziz Rahabi plaide toutefois pour mettre à l’abri les relations humaines des contingences politiques.
« Je reste cependant persuadé que quel que soit la qualité des relations politiques et diplomatiques, les relations humaines doivent être maintenues dans un cadre indépendant du climat général qui existe entre les deux pays », estime-t-il.
Reprenant à son compte que les relations entre Alger et Paris « peuvent être bonnes ou mauvaises, mais jamais banales », le diplomate juge même que l’Algérie ne doit pas « dire non » à la France si d’aventure, elle venait à demander la révision de l’accord de 1968, comme le réclament certains courants politiques en France.
« L’accord de 1968 est un accord de main d’œuvre, il nuit à notre image sans nous apporter quelque chose de fondamental. Aujourd’hui, nous n’envoyons plus des ouvriers, mais une élite, des compétences. Je suis de ceux qui pensent que nous ne devons pas dire non si jamais la France venait à demander la révision de cet accord ».
« Je n’ai pas compris le fait qu’on ait avancé les élections »
Au chapitre de la politique intérieure, Abdelaziz Rahabi qui déplore qu’on ait raté l’opportunité de la « transition » après le Hirak, dit ignorer les raisons ayant présidé à l’anticipation des élections présidentielles.
Peut-être en raison de la tenue de la réunion des BRICS à l’automne auxquels l’Algérie aspire à adhérer ? « Je n’ai jamais considéré que les BRICS est une opportunité pour sortir du sous-développement. La seule opportunité pour sortir du sous-développement, c’est la bonne gouvernance, avoir une ambition collective. Malheureusement, je constate qu’en Algérie, c’est une somme d’ambitions individuelles, bassement matérielles. Nos ainés avaient une ambition pour l’Algérie. Le salut de l’Algérie viendra de l’intérieur, pas de l’extérieur », décrète-t-il.
Toutefois, il juge important la tenue de la présidentielle. « Pour le principe, il faut organiser des élections, c’est une échéance extrêmement importante dans la vie de la nation. L’Etat a besoin d’un chef. Chacun peut avoir un avis sur les conditions de leur déroulement, mais il faut qu’elles se tiennent ».
Refusant de préjuger des conditions dans lesquelles vont se tenir les élections présidentielles du 7 septembre, Abdelaziz Rahabi constate avec dépit la dégradation des espaces privés, individuels, de liberté d’expression. Autant pour les individus que pour les partis et les syndicats.
« C’est un pays né autour d’une idée de liberté. Avec un système médiatique public fermé, on a externalisé l’opposition. Nous avons des oppositions off-shore, une sorte de facebookisation de l’opposition », déplore Abdelaziz Rahabi. « L’Algérie a un problème de gouvernance qui ne peut être résolue que par une justice indépendante, une presse indépendante et des pactes politiques », estime-t-il par ailleurs.