Le Dr Lyes Merabet, président du Syndicat national des praticiens de santé publique (SNPSP), dénonce un « retour en arrière » en matière de formation des médecins en Algérie.
Il dénonce aussi des « inégalités incroyables » dans l’accès aux soins en Algérie et explique les raisons de ce déséquilibre.
Dans un communiqué daté du 23 septembre, le ministère de l’Enseignement supérieur a annoncé qu’il n’y aura pas de changement dans le cursus de formation de médecins, maintenu à sept années. Cette annonce met fin à une rumeur selon laquelle le cursus allait être porté à neuf ans. Pourtant, vous avez été très critique vis-à-vis du ministère. Pourquoi ?
Il met fin à une démarche qui a été officiellement décidée par l’ancien ministre de l’Enseignement supérieur et le comité pédagogique chargé du cursus des médecins-dentistes et pharmaciens, et notamment la médecine générale.
Il était question de considérer la formation de médecine générale comme une formation spécialisée, comme un DEMS (examen du diplôme d’études médicales spécialisées) à compter de l’année 2017/2018.
À travers un communiqué, le ministère de l’Enseignement supérieur informe les médecins généralistes mais aussi les étudiants en médecine qu’il n’y aura pas de changement, en remettant en cause du coup les décisions qui ont été prises et en choisissant le statu quo.
On ne peut que dénoncer cette décision. Nous défendons ce dossier depuis des années. Nous représentons largement la médecine générale et le médecin généraliste du secteur public.
Dans le secteur privé, nos collègues de la SAMG (Société algérienne de médecine générale), une société savante dédiée à la formation et au perfectionnement des médecins généralistes, ainsi que le SNML (Syndicat national des médecins libéraux) représentant les médecins généralistes installés à titre privé, sont eux aussi concernés par ce dossier.
En quoi consistait l’ancienne démarche aujourd’hui remise en cause ?
Les étudiants en médecine avaient le choix de terminer leur cursus de médecin généraliste mais en tant que spécialité. Des ateliers avaient été organisés et nous médecins généralistes, avons participé à des démarches qui ont été entérinées officiellement.
Un travail avait été lancé. Il consistait à aller vers un cursus de neuf ans (huit ans en plus d’une année de stage) au lieu de sept ans comme c’est aujourd’hui le cas.
Un cursus revalorisé à travers un programme et des modules qui ne sont pas enseignés actuellement, comme c’est le cas partout dans le monde. Je précise qu’on a calqué ce travail à ce qui se fait depuis des années dans beaucoup de pays, et depuis quelques années en Tunisie et au Maroc.
Malheureusement, nous assistons à un retour en arrière imposé par certains lobbys des spécialités qui ne veulent pas que la situation évolue dans notre pays.
Ces lobbys sont en train de bloquer, en dehors du DEMS pour accéder aux différentes spécialités, le fait que cette médecine générale soit installée en tant que spécialité à part entière dans notre pays, comme c’est le cas depuis des années dans beaucoup de pays en Europe, aux États-Unis, en Scandinavie, y compris aussi dans certains pays arabes voire en Palestine.
Concernant le Maghreb, la pratique a commencé en Tunisie, le Maroc a ensuite pris le relais. Il était question de la commencer chez nous…
Que revêt pour vous médecins généralistes la spécialisation de la médecine générale ?
Premièrement sur le plan de l’organisation de l’offre de soins et de la performance du système de santé. Dans tous les pays que j’ai cités, si la décision a été prise de revoir la formation de la médecine générale et de lui donner plus de considération en la hissant au rang de spécialité, tout simplement c’est parce que dans tous ces pays les responsables ont compris l’impact du médecin référent ou ce qu’on appelle la médecine générale spécialisée (on l’appelle aussi médecine de famille).
Ce qui est ressorti de l’expérience dans tous ces pays, c’est l’importance capitale que revêtent l’organisation, la stabilisation, la rationalisation et l’orientation des malades par rapport à la distribution de l’offre de soins.
Malheureusement chez nous, on continue à aller dans le sens inverse. Encore une fois, on priorise à travers les lobbys qui se sont imposés pour les différentes spécialités et qui sont installés confortablement dans le secteur public. Ils sont dans les facultés de médecine où ils gèrent les cursus de formation et imposent leurs décisions à tout le monde.
Le second aspect est d’ordre personnel. Actuellement, les étudiants en médecine ne sont pas intéressés par une formation de médecine générale dans sa forme actuelle.
Tout simplement parce que c’est un profil de carrière qui n’est pas attrayant. Nous trouvons beaucoup de difficultés à trouver des médecins généralistes qui se présentent aux concours de recrutement du fait que la majorité des étudiants en médecine préfèrent poursuivre leurs études pour accéder aux spécialités. C’est plus intéressant pour eux sur le plan social et surtout du point de vue des salaires.
À ce rythme, n’y a-t-il donc pas un risque de se retrouver sans médecins généralistes dans le secteur public ?
Mais on y est déjà ! Dans beaucoup de régions du pays on est dans cette situation. Il y a un déséquilibre dans la répartition du corps médical, toutes spécialités confondues.
Concernant la médecine générale, nous avons commencé depuis plusieurs années déjà à attirer l’attention des responsables au ministère de la Santé.
Nos appels n’ont pas été pris en considération. En tant que secteur employeur, il appartenait au ministère de la Santé de faire un travail de sensibilisation envers les responsables de l’Enseignement supérieur et notamment la Faculté de médecine, pour veiller à ce que cette problématique soit à l’ordre du jour.
Aujourd’hui on constate que dans beaucoup de wilayas, les établissements de santé (CHU, EPSP) expriment des besoins en médecins. Des postes budgétaires sont ouverts mais lorsqu’on fait l’annonce pour le recrutement, eh bien il n’y a pas assez ou pas du tout de médecins généralistes qui se présentent comme candidats. Nous vivons cette situation qui risque de se compliquer davantage.
« Il y a des inégalités incroyables en matière d’accès aux soins »
Aujourd’hui, les étudiants en médecine ont deux options : partir à l’étranger ou bien se spécialiser et exercer dans le secteur libéral. Quelle est l’option dominante ?
C’est plus la première option. Mais en ce qui concerne les étudiants qui ont opté pour la spécialité, leur choix est légitime du fait que le profil de carrière qui est proposé dans le secteur public n’est pas du tout attrayant et pas intéressant tant sur le plan financier que de l’évolution de carrière.
Mais également sur le plan scientifique et de la recherche. Sur le volet financier, par comparaison, les salaires que peut toucher un médecin spécialiste installé dans le privé n’ont rien à voir avec ceux du secteur public.
Malheureusement et nous l’avons dit depuis des années, c’est une politique de l’État qui a fait en sorte de privatiser en quelque sorte du moins faciliter la privatisation d’un segment important de l’activité du secteur de la santé, en poussant indirectement les professionnels à s’installer dans le privé.
De sorte que l’activité médicale est déplacée plus vers le secteur libéral que dans le secteur public. Cela permet de « faire des économies d’épicier » avec comme corollaire une désorganisation du secteur qui n’est pas en faveur du citoyen et sûrement pas des professionnels que nous sommes.
Par conséquent, c’est l’accès équitable aux soins pour les Algériens qui est remis en cause avec les conséquences financières sur le citoyen. Celui-ci n’a donc d’autre choix que de payer pour se soigner ?
Aujourd’hui il faut avoir les moyens pour pouvoir se soigner. Malheureusement même si on est assuré social, on est obligé de payer lorsqu’on se présente devant une structure privée ou un médecin libéral.
Déjà que l’activité de l’exploration (radiologie, biologique, l’Anapath, etc.) est aujourd’hui assurée à 80 % sinon plus par le privé. Idem pour d’autres consultations comme l’ophtalmologie, les consultations ORL, la dermatologie et d’autres spécialités. Ces soins ne sont pas remboursés. Clairement, il y a des inégalités incroyables en matière d’accès aux soins en Algérie.
L’amélioration du pouvoir d’achat des travailleurs est au cœur de vos revendications au sein de la Confédération des syndicats algériens (CSA) dont vous êtes membre. Quel est l’état des lieux et quelles sont vos suggestions ?
Aujourd’hui tout le monde parle de dégradation du pouvoir d’achat, y compris l’Exécutif. Je passe sur les nombreuses protestations dans les différentes wilayas en relation avec ce problème.
Le pouvoir d’achat pour nous n’est pas uniquement une question de salaires, mais c’est aussi une maîtrise des coûts de production et du taux d’inflation. C’est également une régulation du marché et de la politique des prix quand on sait qu’on ne maîtrise même pas les prix des produits subventionnés.
Que dire alors de tous les produits de large consommation qui sont proposés aux Algériens à des prix dépassant l’entendement. Il est question de réguler, de contrôler et d’accompagner les fluctuations en majorant la valeur du point indiciaire.
Dans la fonction publique, la grille des salaires est dépassée par les évènements. Nous réclamons une nouvelle grille et un doublement de la valeur du point indiciaire, aujourd’hui à 45 DA, de sorte à élever les salaires au niveau d’il y a une dizaine d’années. Faut-il rappeler que les salaires n’ont depuis pas été augmentés. Les salaires ont stagné mais ils ont perdu la moitié de leur valeur.
Lors de la réunion de jeudi 23 septembre, les membres du SNPSP ont discuté de l’état d’avancement de leur principale revendication, à savoir la révision du statut particulier et du régime indemnitaire. Quel est l’état d’avancement concernant ces deux revendications ?
Un comité ad hoc a été installé au ministère de la Santé pour recevoir les propositions des syndicats de la santé. Un programme a été tracé pour les différents partenaires.
Nous avons été reçus par le ministre du secteur le 24 août dernier, et depuis, aucune avancée que ce soit pour le statut particulier ou le régime indemnitaire. Nous devrions avoir une audience auprès du ministre au courant de la semaine. Nous espérons avoir des réponses à toutes ces questions.