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Affaire Abdou Semmar : qui est journaliste, qui ne l’est pas ?

Dès l’annonce de l’arrestation de trois journalistes de sites électroniques, Abdou Semmar, Merouane Boudiab et Adnane Mellah, le 22 octobre dernier, certaines voix se sont empressées de dénier aux personnes appréhendées la qualité de journaliste, les présentant simplement comme blogueurs ou activistes sur les réseaux sociaux. La question mérite en effet d’être posée : qui est journaliste et qui ne l’est pas ? Et surtout, qui a le droit d’attribuer cette qualité ?

La loi n’est pas muette là-dessus. Les articles 73 et 74 de la loi organique de janvier 2012 relative à l’information définissent sans ambiguïté le journaliste professionnel : « Est journaliste professionnel, au sens de la présente loi organique, toute personne qui se consacre à la recherche, la collecte, la sélection, le traitement et/ou la présentation de l’information, auprès ou pour le compte d’une publication périodique, ou d’une agence de presse, d’un service de communication audiovisuelle ou d’un moyen d’information électronique, et qui fait de cette activité sa profession régulière et sa principale source de revenus (…) Est également considéré comme journaliste professionnel tout correspondant permanent ayant une relation contractuelle avec un organe de presse conformément aux modalités prévues à l’article 80 ci-dessous. »

Au sens de cette loi, la seule d’ailleurs qui régit la presse et les médias en Algérie, les personnes interpelées le 22 octobre sont des journalistes « à part entière » puisqu’elles se consacrent à « recherche, la collecte, la sélection, le traitement et/ou la présentation de l’information », pour le compte d’un « moyen d’information électronique » qui se trouve être les site Algériepart et Dzaïrpress, et font de cette activité leur « profession régulière » et peut-être aussi leur « principale source de revenus ».

En outre, Abdou Semmar par exemple est connu dans les milieux de la presse pour avoir exercé par le passé dans de nombreux quotidiens écrits dont El Watan, de même que Adnane Mellah a fait des passages dans certaines chaînes de télévision privées.

Mais leur arrestation est survenue le jour même de la célébration de la journée nationale de la presse, le 22 octobre, un choix qui est peut-être une manière de signifier que les individus en question ne sont pas des journalistes. Est-ce à cause des charges retenues contre eux (on parle de chantage et d’extorsion de fond au moment où leurs avocats évoquent un délit de diffamation) ou parce qu’ils exerçaient pour des titres qui ne sont pas agréés ? Ou encore parce qu’ils ne sont pas détenteurs de la fameuse carte nationale du journaliste professionnel ?

S’agit-il là de critères recevables pour décider d’ « exclure » un individu de la corporation ? En fait, ce sont les autorités qui ont franchi le premier pas en excluant massivement des centaines, voire des milliers de journalistes, au mépris des dispositions de la loi citée plus haut.

L’article 76 de ce texte prévoit en effet un moyen légal d’attester cette qualité. « La qualité de journaliste professionnel est attestée par une carte nationale de journaliste professionnel délivrée par une commission dont la composition, l’organisation et le fonctionnement sont fixés par voie réglementaire. »

Cette commission a été instituée en 2016 et délivré près de 4 500 cartes aux journalistes de la presse écrite publique et privée et à ceux de la télévision et de la radio publiques, excluant inexplicablement ceux qui travaillent pour les chaînes de télévision privées ou pour les sites d’information en ligne.

On ne s’attardera pas sur les dérives enregistrées et dénoncées plus tard par le ministre de la Communication, Djamel Kaouane, qui a succédé à l’initiateur du projet, Hamid Grine. M. Kaouane a parlé en septembre dernier d’indus bénéficiaires de ladite carte et promis d’enquêter. L’unique critère arrêté par la commission, à savoir la déclaration à la CNAS par l’employeur, aurait permis à de nombreux employés de journaux, qui ne sont pas forcément des journalistes, de bénéficier de la carte, au moment où d’authentiques journalistes ayant cette activité comme principale source de revenus, en ont été privés car les autorités ont laissé les organes qui les emploient suspendus entre la légalité et l’informel.

Peut-on raisonnablement dénier cette qualité aux journalistes d’Ennahar TV ou d’Echourouk TV par exemple ? Sans doute que non, tout comme personne n’a le droit de la contester à ceux des sites électroniques, dont Abdou Semmar et les autres.

Quant à leur culpabilité ou leur innocence, il appartient à la justice de trancher sur la base de preuves irréfutables, qu’ils aient été poursuivis pour diffamation comme le dénoncent leurs avocats ou pour chantage comme l’assurent ceux-là même qui refusent de les considérer comme des journalistes.

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