L’affaire de l’homme noir tabassé par la police à Paris ne pouvait pas plus mal -ou mieux- tomber, c’est selon, pour une France qui découvre chaque jour davantage la complexité de ses contradictions.
Ironie de l’histoire, l’incident qui a choqué le pays jusqu’au président Emmanuel Macron, est survenu au moment où le débat interne portait sur l’opportunité ou non d’interdire de filmer les policiers pendant l’exercice de leurs fonctions.
La clause est contenue dans la loi dite de « sécurité globale », en cours d’adoption et objet de nombreuses critiques pour les risques qu’elle fait peser sur les libertés et le respect des droits de l’Homme.
En début de semaine déjà, les forces de l’ordre ne s’étaient pas admirablement comportées lors du démantèlement d’un camp de migrants en pleine capitale.
Mais la scène qui risque de tout changer a été diffusée jeudi 26 novembre par le site Loopsider. Elle montre des policiers en train de s’en prendre à un homme noir, Michel Zecler, un producteur de musique qui rentrait dans son studio dans le 17 e arrondissement. Ils l’ont roué de coups de poing et de matraque et inondé d’insultes racistes pendant 15 minutes. Les faits se sont déroulés samedi 21 novembre.
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Ils n’ont pas été filmés par un journaliste ou un internaute, mais simplement captés par une caméra de surveillance. Le témoignage de la victime, le visage ensanglanté, la lèvre et les pommettes ouvertes, a laissé sans arguments même les plus fervents défenseurs du discours de « fermeté » et de « l’autorité de l’État ».
Sans la vidéo, les rôles se seraient tragiquement inversés et c’est ce qui a bien failli se produire. Les policiers ont déclaré que l’homme en question a tenté de leur subtiliser leurs armes et la justice, n’ayant pas de raison de douter de la parole d’agents « assermentés », a ouvert une enquête pour « violences sur personne dépositaire de l’autorité publique » et « rébellion ».
Les images ne laissant pas de place au doute, le dossier est alors classé et une nouvelle enquête est ouverte, cette fois pour « violences par dépositaire de l’autorité publique » et « faux en écriture publique ». Les policiers, au nombre de quatre, ont été placés en garde à vue dans les locaux de la police des polices et devraient sans doute répondre de leur acte devant un tribunal.
Des crises qui n’en finissent pas
C’est justement ce que redoutaient des détracteurs de l’article 24 du projet de loi sur la sécurité globale : que le huis clos que le gouvernement veut instaurer puisse assurer l’impunité aux auteurs des violences policières qui, par conséquent, pourraient se banaliser. De quoi rappeler à la France républicaine pourquoi la liberté de la presse est la mère des libertés, puisqu’elle permet de vérifier l’existence ou non de toutes les autres.
Pour le président Macron, il s’agit d’une « agression inacceptable », dénonçant des « images qui nous font honte », et appelant à « lutter plus efficacement contre toutes les discriminations ». « La France ne doit jamais laisser prospérer la haine ou le racisme », a-t-il réagi sur les réseaux sociaux.
Si Macron n’a pas soufflé mot sur l’avenir du texte controversé, d’autres responsables s’en sont démarqués. « Il faut filmer », tranche Eric Dupont-Moretti, ministre de la Justice, qui s’est dit « scandalisé » par les images.
Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a, lui, reconnu que ces policiers « avaient sali l’uniforme de la République » et annoncé que l’article controversé sera réécrit, provoquant la colère de certains parlementaires qui y voient un camouflet et un manque d’égard, sachant que le projet de loi a été adopté en première lecture par la chambre basse.
Emmanuel Macron aurait volontiers fait l’économie de cette énième crise qui ternit davantage son mandat. Dans sa réaction à cette affaire « Zecler », il a appelé à « l’apaisement » et c’est peut-être ce qui a manqué le plus pendant ses trois années de présidence.
Gilets jaunes, affaire Benalla, gestion controversée de la crise du Covid, caricatures, terrorisme et maintenant un remake français de l’affaire Georges Floyd. Cela fait beaucoup pour à peine plus de la moitié d’un quinquennat.