La polémique enfle autour du livre Houris, de Kamel Daoud, prix Goncourt 2024. Maître Fatma-Zohra Benbraham, l’avocate de Saada Arbane, la femme qui accuse l’écrivain franco-algérien d’avoir raconté l’histoire de sa cliente sans le consentement de cette dernière, a tenu une conférence de presse ce jeudi 21 novembre à Alger.
Me Benbraham a proféré de graves accusations à l’encontre de Kamel Daoud, contre lequel deux plaintes ont été déposées à Oran.
Il s’agit de deux affaires distinctes, a expliqué l’avocate. La première c’est l’affaire de Mme Saada qui affirme être le personnage principal, Aube, dans le roman Houris”. Elle “concerne la personne physique qui a été occultée tout au long du livre de Daoud”, a-t-elle dit.
La seconde affaire est engagée par les victimes du terrorisme via leur association présidée par Mme Flici.
Saada Arbane est une rescapée de la décennie de terrorisme en Algérie, dans les années 1990. Lors d’une attaque terroriste contre son village de la région de Tiaret, à l’ouest du pays, elle a échappé à une tentative d’égorgement par un groupe terroriste. Elle en garde encore de graves séquelles physiques et psychiques.
Dans une émission diffusée le 15 novembre par la chaîne One TV, la dame a affirmé que l’histoire racontée dans Houris est en fait la sienne. C’est Mme Daoud, la psychiatre qui la suivait, qui en a pris connaissance et l’a partagée avec son mari, selon elle. Malgré l’insistance du couple, la femme a assuré avoir toujours refusé que le drame qu’elle a vécu soit mis en roman.
“L’éthique veut qu’on ne peut construire sa gloire sur le malheur des faibles. Kamel Daoud a construit sa gloire sur le malheur de Saada. Il a étranglé une deuxième fois la voix dans la gorge de ma cliente”, accuse l’avocate Benbraham, ajoutant que “ce livre est une supercherie” qui a “trompé l’Algérie, les Français et la maison d’édition”.
L’éditeur Gallimard, qui a édité Houris, n’est pas épargné par l’avocate de Saada Arbane. “Il considère qu’elle (l’héroïne du roman) n’existe pas, et ça c’est très grave. Aujourd’hui, vous l’avez vue en chair et en os”, dit-elle.
“Si Houris est inspiré de faits tragiques survenus en Algérie durant la guerre civile des années 1990, son intrigue, ses personnages et son héroïne sont purement fictionnels”, a défendu Antoine Gallimard dans un communiqué diffusé lundi dernier.
Pour l’avocate, l’éditeur a agi ainsi parce qu’il a été “interdit en Algérie”. Selon elle, son interdiction au Salon du livre d’Alger (Sila) lui a causé “de très très grosses pertes” et c’est donc “un problème purement financier et matériel”.
Ensuite, ajoute-t-elle, c’est lui qui a présenté ce livre et “il l’a fait sous la pression de la personne la plus importante” en France. “Nous avons la preuve de ce que nous disons”, assure-t-elle encore.
Benbrahem : Kamel Daoud « n’a pas mérité » le prix Goncourt
Pour Me Benbraham, le livre de Daoud ne méritait pas d’être distingué du Goncourt. Elle s’explique. “Il dit que c’est une histoire fantasmagorique, de son esprit.
C’est la condition sine qua non du prix Goncourt. Les histoires ne doivent pas être réelles et ne pas toucher l’honneur et la dignité des personnes, qu’elles soient vivantes ou mortes. Dès lors qu’il touche à une personne qu’on peut identifier, comme c’est le cas de ma cliente, il n’est pas éligible », développe-t-elle.
Elle s’attend à ce que, dans les jours à venir, “les choses vont changer” et “ce livre risque d’avoir des retentissements très importants dans le futur”, révélant que des avocats français lui ont exprimé leur disposition à l’aider.
La deuxième affaire contre Kamel Daoud et son livre “concerne toutes les victimes du terrorisme et toutes les familles des disparus” qui déposent plainte pour “violation manifeste” et “lecture erronée” de l’article 46 de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale promulguée en 2005.
L’avocate a accusé l’écrivain franco-algérien de tromper l’opinion en soutenant qu’il est interdit, sur la base de cet article, d’écrire sur la décennie noire. “Ce qui n’est pas vrai, il y a eu beaucoup de livres, de films et l’État algérien n’a absolument rien dit”, rappelle-t-elle.
“Pour 10 euros”, la valeur du prix Goncourt, Kamel Daoud a vendu “sa patrie et sa conscience” et a “volé la vie des gens”, accuse Fatma-Zohra Benbrahem, ajoutant qu’il est allé “détruire toutes les valeurs nobles de notre peuple”.
Elle le soupçonne même d’avoir des desseins politiques et de vouloir “faire oublier la guerre coloniale de 132 ans et nous laisser confinés dans une décennie noire de 10 ans”. “Cette affaire n’est pas banale”, assure-t-elle.
Tout au long de sa conférence, l’avocate de Saada Arbane ne s’est pas empêchée de lancer des attaques ad hominem contre l’écrivain. Selon elle, Kamel Daoud a été condamné par la justice algérienne pour avoir agressé sa femme “à l’arme blanche”.
“C’est un garçon qui sait surfer sur toutes les plateformes” et sa nationalité française, il ne l’a pas obtenue, elle lui a été ”octroyée” par le président Emmanuel Macron. Enfin, elle s’est demandé ce que veut cacher l’écrivain lorsqu’il a dédié son roman à sa mère et “occulté son père”.