Tribune. Son discours est sans ambiguïtés, et son raisonnement on ne peut plus clair. La tyrannie, c’est désagréable d’un côté seulement. Et un major de promotion, ça ne doit pas se tromper de rivage. Les sales besognes, les ponctions salariales, les insolences verbales, l’exclusivisme, l’éradication, l’anti-démocratie, la planche à billets, tout cela c’est la crème de l’élitisme. Et plus élitiste que lui, tu meurs. Les futures mémoires d’Ahmed Ouyahia, c’est déjà un best-seller !
Il incarne le prototype de ces compétences minablement gâchées par l’euphorie des épousailles avec une mal-gouvernance taillée ostentatoirement pour pervertir l’arrivisme. Ouyahia et ses semblables ne se réveillent lucidement que le jour où ils se rendent compte subitement que ce qui est terriblement réel dans le pouvoir, c’est l’après-pouvoir.
Fabrication du consentement supérieur
« Celui qui se croît dominateur à cause de sa gouvernance face à autrui est esclave sans le savoir ! » (Azur Pauchays Kelouomi).
Ouyahia ne peut tout simplement pas arrêter de soigner son image haïssable dans les bas étages, afin de continuer à séduire en haut lieu. « Affame ton chien, il te suivra ! » Ce proverbe arabe est ancien, mais personne, avant lui, ne l’a craché avec autant d’arrogance, et à si mauvais escient. Et ce n’est là qu’une insolence injurieuse parmi tant d’autres qu’il compte à son actif.
« Engraisse ton chien, il te dévorera ! » L’alerte que sonne ce deuxième volet du proverbe, a sans doute conforté la résolution d’Ouyahia à faire usage de la première partie, mais si le second passage n’est pas invoqué dans ses discours, c’est qu’il ne correspond pas du tout à son profil particulier, caractérisé par tant d’obligation et d’inféodation.
C’est bien connu, l’attribut chevaleresque d’un tyran c’est de gracier plutôt que de rendre justice. Et en se réservant toutes les actions gratifiantes, les caïds confient les sales besognes et les tâches punitives aux courroies de la servilité. L’auxiliaire de l’asservissement n’a pas besoin d’être doublement rétribué, il s’acquitte d’autant plus allègrement des devoirs de transmission qu’il se délecte de ses prédispositions de réception.
Les actifs légitimes et les gains honnêtes sont les seuls gages de l’honneur et instruments de la liberté. Les statuts immérités et les biens mal acquis, ainsi que ceux qu’on pourchasse indignement, ne sont que des chaines de l’asservissement. L’être humain est né pour vivre libre et digne ; et n’est esclave servile que celui qui se complaît abjectement dans la servitude.
En dépit de sa longévité et de son zèle, Ouyahia ne représente qu’un relais, et c’est donc aux maîtres des lieux qu’il faut s’adresser directement. Les maîtres, depuis belle lurette, ce sont les chefs militaires, c’est notre Armée nationale populaire, qui se veut jalousement la digne héritière de l’Armée de libération nationale. Mais la gloire et l’honneur peuvent-ils être légués comme de simples héritages ?
Le testament et la relève des baroudeurs de la libération
Qu’elle soit minutieusement naturelle ou chaotique, une succession ne peut jamais offrir des garanties, à priori, d’une relève digne. Elle doit faire ses preuves et gagner elle-même ses propres galons. Car, faut-il rappeler, le chemin du mérite est un chemin ardu qui n’est jamais déblayé, il se défait derrière celui qui le fraye.
L’histoire glorieuse d’une nation ne s’écrit pas seulement avec le sang des héros qui ont forcé une sortie victorieuse de la longue nuit coloniale. La relève doit, à son tour, soigner les chapitres suivants, non moins délicats, en bravant de longs et ténébreux tunnels de néo-colonisabilité. Et la tyrannie, alias super-patriotisme, est le nouveau visage de la néo-colonisabilité.
« Etre patriote aujourd’hui, c’est être démocrate ! » Tel est le témoin testamentaire des chouhada, fidèlement passé par Hocine Aït-Ahmed à la relève (1). Nul super-patriotisme ne peut justifier un tutorat sur un peuple qui a sacrifié des millions de martyrs pour sa liberté.
Les pulsions de domination trahissent un manque de confiance en soi, et en son peuple. C’est donc un déficit en patriotisme. Ceux qui sont dépourvus de confiance en leur peuple se disqualifient de tout leadership, tant ils sont incapables de tirer profit des capacités de la société et stimuler son potentiel. Une crise de confiance inhibe, fait douter, donne naissance à des obstacles imaginaires, et condamne un peuple à demeurer misérablement en deçà de lui-même. C’est en retrouvant la confiance en soi qu’on positive l’admiration qu’on a pour les succès d’autrui, et qu’on encourage la société au lieu de l’inhiber.
Le tutorat militaire, ce n’est bon ni pour la politique, ni pour l’armée, ni pour la société. C’est une condamnation à perpétuité au sous-développement, et au dictat des puissants. Etre patriote aujourd’hui, c’est être démocrate ! Ce n’est plus Aït-Ahmed seul qui le scande, c’est des millions d’algériens qui le reprennent désormais en chœur ! La gloire est aux portes de nos militaires. Entrer dans l’histoire de la démocratie de son pays vaut mieux que toute une vie de domination et d’usurpation immorale de rôles politiques réservés aux élus.
Lâcher du lest est toujours facile à entreprendre aujourd’hui plutôt que demain, tout comme il l’était davantage au lendemain de l’indépendance. L’obstacle majeur ce ne sont plus les connexions avec l’ancien colonisateur, mais l’ampleur des abus commis durant les années 90 et l’ère Bouteflika. Cet écueil, pas facile à admettre, semble hélas obliger beaucoup de responsables à chercher des prétextes fallacieux pour défendre, bec et ongles, le statu quo. Et un des épouvantails machiavéliquement entretenus, c’est celui d’une prétendue incompatibilité islamo-laïque.
Le syllogisme de Socrate et la cohabitation islamo-laïque
« Les gens doués de bon sens vivent en paix ! » Ce dicton du terroir nous rappelle que le bon sens est un prérequis de la sagesse et de la paix. Fort heureusement, cette grâce divine est innée, et qu’il faut surtout veiller à la préserver. Les rudiments de logique mathématique sont commodes et indiqués à cet effet.
Sortons de la boite de logique de Socrate, l’outil simple suivant : « A implique B ». Nous savons tous intuitivement, et de manière formelle dès le collège ou le lycée, que si A implique B, alors non-B implique non-A. Socrate est un être humain, donc le pauvre Socrate est mortel ! N’étant pas mortelle, la roche n’a donc rien d’humain !
Étrangement, la condition non-B piège beaucoup d’esprits tiers-mondistes, notamment ceux du monde arabo-musulman, dont le quotidien est inondé par les discours et pratiques de bois. Certains vont jusqu’à s’offrir à la bienséance du piège suivant : Si A implique B, alors, loin d’annuler A, non-B renforce A !
Sans tergiverser davantage, appliquons, sur notre terrain politique, ces implications logiques, en commençant par le test de patriotisme d’Aït-Ahmed.
« Prétendre être un bon patriote (A), signifie que l’on est forcément un bon démocrate (B) ! » Non-B impliquant non-A, et étant loin de renforcer A, cela signifie qu’être non démocrate, c’est en fait trahir sa patrie, et non s’auto-promouvoir au rang de super-patriote ! De grâce, ne laissons donc pas un Bengana se prendre pour un Ben Boulaïd !
Faisons de même avec le verset 5/105 du Coran : « Ô vous qui croyez ! Vous n’êtes responsables que de vous-mêmes ! L’égarement d’autrui ne saurait vous nuire si vous êtes dans le droit chemin ».
« Si je suis dans le droit chemin (A), alors l’égarement d’autrui ne me nuira pas (B) ». Et là aussi non-B ne conforte pas A, mais l’annule. Autrement dit, si je me sens indisposé par l’égarement d’autrui, cela ne veut pas dire du tout que je suis attaché à ma religion plus que les autres. Cela pose plutôt de sérieuses interrogations sur ma foi et sur mon chemin, et c’est ce qui devrait donc me préoccuper !
Dans une précédente contribution (2), j’ai tenu à rendre hommage à l’adversité de haute voltige, en saluant une initiative ayant réuni, prétendument contre nature, des personnalités considérées jusque-là incompatibles et inconciliables. Et en fait, tout hommage rendu à l’adversité politique de haut vol, est une exhortation plus qu’implicite à neutraliser l’imposture sévissant dans toutes les écuries. Mais c’est hélas plus facile à dire ou écrire !
L’intellectualité, elle aussi, n’est pas exempte d’implications et de tests de disqualification. Elle suppose et implique, par définition même, une prédisposition franche à effectuer des révisions courageuses. Ces attributs sont fièrement affichés par cette jeunesse enthousiaste qui encadre l’actuel sursaut populaire, contrairement à certains esprits irréductibles continuant de se complaire dans des postures peu révérencieuses envers le syllogisme de Socrate.
Sur Terre, l’ennemi de l’être humain et de sa pensée, c’est l’injustice et la tyrannie, et non une pensée différente. « Nulle contrainte en religion ! » est un verset coranique, mais c’est aussi le fondement de la liberté de conscience et de pensée, prôné par les pionniers de la laïcité, loin de se dresser contre la religion.
La nouvelle Algérie est désormais prête à donner une deuxième grande leçon à l’histoire. Une cohabitation démocratique islamo-laïque, sereine et féconde, est à portée de nos mains ! La base populaire et la jeunesse sont manifestement prêtes, les autres doivent suivre ou s’éclipser. Les élites et les classes dirigeantes, civiles et militaires, doivent impérativement s’affranchir de toutes les inspirations et pollutions extérieures, orientales ou occidentales.
Bien sûr que des différences importantes existent, et que des écueils peuvent surgir, mais chacun assumant sereinement ses convictions, la compréhension mutuelle et la tolérance réciproque sont d’autant plus profondes que la liberté et les autres socles communs sont valorisés à leur juste mesure, et que l’imposture et l’aberration sont tenues à distance.
La priorité fondamentale pour tout algérien, c’est la liberté et la justice pour tous ! Pour consolider l’argumentation de la primauté du politique sur le militaire, il faut démanteler cet épouvantail qui a tant servi de prétexte. Les algériens doivent défendre collectivement la primauté de la liberté pour tous, sans exclusivisme, sur les programmes et nuances politiques des uns ou des autres. Le défi de la primauté du politique sur le militaire est tributaire du consensus autour de la primauté du citoyen libre sur le politique.
Ce challenge est aussi tributaire de l’issue finale de la crise actuelle, qui demeure, en fin de compte, éminemment morale. Compromettre un maximum de hauts responsables, tel était le credo de Bouteflika, lui qui savait que les Janviéristes l’ont choisi surtout pour son passé singulièrement étoffé en indélicatesse. Et n’a-t-il pas réussi à compromettre et salir plusieurs responsables !
Que ces derniers choisissent de réagir en victimes ou en complices, aura certes un impact significatif sur la suite des évènements, mais la fin des cabales pareilles est toujours la même.
Peu importent les batailles remportées, les dommages causés, et les malversations butinées, la guerre contre les vertus est une guerre perdue sur tous les fronts. Outre la déchéance qu’inflige l’arrogance chronique, les effets directs et collatéraux finissent par s’associer pour former un terrible effet boomerang. Le trop-plein écœurant de chaque vice V finit par impliquer non-V. L’affligeant spectacle de l’injustice se met alors à prêcher le bien, le répugnant cirque de la bouffonnerie à raffiner la délicatesse, le consternant défilé de la trahison à inculquer la loyauté, et l’avilissant ballet de la servilité à forger l’honneur.
*Abdelhamid Charif est professeur en Génie Civil
Références :
(1) http://lequotidienalgerie.org/2018/01/13/lexamen-de-democratie-et-le-test-de-patriotisme/
(2) https://www.facebook.com/permalink.php?story_fbid=2209631102619854&id=100007189579086
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