Économie

Agriculture saharienne en Algérie : la délicate question de l’eau

En Algérie, les projets de développement de l’agriculture saharienne se multiplient.

Après les céréales et les fourrages, les pouvoirs publics tablent sur les cultures stratégiques : oléagineux et betterave à sucre.

Entre les besoins en eau de l’agriculture, de l’adduction en eau potable et de l’industrie, les nappes d’eau du Sud seront-elles en mesure de répondre à une demande croissante ?

Depuis le milieu des années 1980, l’agriculture saharienne s’est développée à partir de l’exploitation des eaux souterraines et a permis la production de céréales ou de fourrages à Adrar et Menia, de pommes de terre à El Oued et de maraîchage à Biskra. Les plantations de palmiers dattiers se sont multipliées…

Mise en valeur d’un million d’hectares

L’Office de développement de l’Agriculture Saharienne (ODAS) prévoit, à court terme, l’attribution d’un million d’hectares sous forme de concessions agricoles.

Au mois de mai, le ministère de l’Agriculture et du Développement rural a annoncé la future attribution d’une nouvelle tranche portant sur 200.000 hectares.

Auparavant, lors d’un forum relatif à la production de blé dur organisé par le Conseil pour le Renouveau Économique Algérien (CREA), le Premier ministre, Aïmene Benabderrahmane avait eu l’occasion d’aborder la question du financement de l’agriculture saharienne : « Toutes les banques sont concernées par le financement de l’investissement agricole.»

Dès 1983, la loi relative à l’accession à la propriété foncière agricole (AFPA) par la mise en valeur a attiré un large public : commerçants, membres de professions libérales, retraités, fonctionnaires et jeunes sans emploi.

Les titulaires des concessions bénéficient de subventions pour l’acquisition de semences, engrais, matériel et énergie. Quant à l’eau, elle est quasiment gratuite bien qu’un marché informel se développe dans le cas de la plasticulture autour des investisseurs disposant d’un forage.

Aux entrepreneurs algériens, sont venues s’ajouter quelques entreprises turques et italiennes.

Ce type d’agriculture basé sur l’emploi des eaux souterraines ou Ground Water Economy (GWE) s’est accompagné au Sud de l’Algérie de la création de dizaines de milliers d’emplois à travers la production agricole, mais aussi les activités d’amont et d’aval.

Cette activité ne concerne pas seulement les populations du Sud, mais également des milliers de jeunes venus de différentes wilayas plus au Nord de l’Algérie.

La GWE est développée au Moyen Orient et notamment en Arabie saoudite, Égypte et Soudan.

Elle a fait l’objet de nombreuses études et compte ses partisans et ses détracteurs.

Suite à l’épuisement des nappes d’eau, l’Arabie saoudite a mis un terme à ce type d’agriculture et a délocalisé ses productions au Soudan et en Argentine.

Avec l’aide de capitaux émiratis, l’Égypte développe plusieurs projets, dont une raffinerie d’une capacité de 72.000 tonnes de betteraves à sucre collectées sur plus de 76.000 hectares.

Algérie : au Sahara, une eau pas si fossile

Que ce soit à Biskra, Adrar ou Menia, l’eau utilisée provient de différentes nappes souterraines.

Les mesures réalisées par le satellite GRACE (Gravity Recovery and Climate Experiment) de la NASA, ont permis dès 2013 d’estimer, dans la partie septentrionale du Sahara, les quantités d’eau souterraine et leurs variations annuelles.

Il est apparu qu’il existe bien une recharge naturelle des eaux de l’Albien. Entre 2003 et 2010, celle-ci a été estimée à 1,4 km³ par an.

L’eau des nappes n’est donc pas essentiellement fossile. Cependant, le plus préoccupant est que cette recharge ne représentait, en 2013, que 40 % des prélèvements. Or, dix années plus tard, les prélèvements d’eau de cette nappe ont nettement augmenté.

L’eau des nappes n’est pas seulement utilisée en agriculture, mais concerne aussi l’adduction en eau potable.

C’est le cas de la ville de Tamanrasset alimentée en eau à partir d’In Salah par une canalisation de 750 km permettant un transfert de 50.000 m³ d’eau et devant être porté à 150.000 m³ en 2030.

Des projets identiques concernant l’alimentation en eau des villes des hauts plateaux sont à l’étude.

Rabattement des nappes d’eau

L’augmentation des quantités d’eau extraites au Sud de l’Algérie à partir des nappes du continental intercalaire et du complexe terminal est visible à partir des pivots observés depuis les airs lors de voyages en avion.

Pour l’opinion publique en Algérie, avec 50 milliards de m³ estimés, les réserves en eau du sous-sol saharien sont illimitées.

Au-delà des chiffres, des observations de terrain témoignent d’un changement réel. À Menia, des élus de la Chambre d’agriculture font état d’un rabattement de la nappe à plus de 30 mètres alors qu’elle affleurait auparavant en surface.

Le phénomène d’artésianisme, ce jaillissement naturel d’eau dès la réalisation d’un forage, a quasiment disparu.

Ce rabattement des nappes se traduit par des coûts de pompage de plus en plus élevés que connaissent bien les investisseurs.

Sur la Chaîne Web DZ News, l’ingénieur Allam Zakaria, producteur de blé à Menia conseille aux nouveaux investisseurs de se renseigner sur la profondeur à laquelle se situe la nappe avant tout projet d’installation.

Certes, les forages profonds permettent d’atteindre de nouvelles ressources. Mais il s’agit le plus souvent d’eau chaude qui, lorsqu’elle arrive à la surface, subit un phénomène de décompression.

Ce phénomène se traduit par la précipitation de sels minéraux à l’origine de l’entartrage des canalisations et la salinisation des sols.

Des pivots qui fonctionnent jour et nuit

Si l’agriculture a évolué vers des systèmes d’irrigation plus économes en eau telle la technique du goutte-à-goutte, les techniques d’aspersion par pivot restent dominantes et consomment de grandes quantités d’eau.

C’est le cas d’El Oued qui produit 40% de la production de pomme de terre en Algérie en utilisant l’aspersion alors que les chercheurs locaux ont montré la supériorité de l’irrigation localisée tant du point de vue des quantités d’eau utilisées que d’énergie.

Bon connaisseur du Sud algérien, le géographe Alain Dubost rappelle qu’au Sahara durant un cycle de culture, un hectare de blé demande 6.000 m³ d’eau et un palmier 18.000 m³.

La demande est accrue du fait que de juin à septembre, une culture de maïs succède au blé. Or, il s’agit des mois les plus chauds de l’année durant lesquels l’évaporation de l’eau et la transpiration des cultures sont maximales.

Actuellement, les quantités d’eau apportées ne font l’objet d’aucune mesure quant à l’état d’humidité du sol. Un membre de la Chambre d’agriculture de Biskra confie à TSA : « La plupart du temps, les pivots fonctionnent jour et nuit ».

Quant au goutte à goutte, des chercheurs mettent en garde contre l’illusion des économies d’eau globales qu’il procure.

Son adoption se traduit le plus par un doublement des surfaces irriguées par l’agriculteur. Ainsi, le secteur agricole consomme alors autant d’eau (70%) qu’auparavant, et cela, aux dépens des autres secteurs.

Une recharge naturelle des nappes

Les mesures réalisées par le satellite GRACE ont montré que les eaux de pluies et de ruissellement permettaient une recharge naturelle de la nappe pouvant atteindre jusqu’à 6,5 mm par an.

La question est de savoir s’il est possible de développer cette infiltration des eaux par une recharge artificielle à partir des crues phénoménales que peuvent connaître les oueds sahariens.

Ces crues se déversent le plus souvent dans des dépressions, les sebkhas qui font la joie des oiseaux migrateurs jusqu’au moment où elles s’assèchent.

Les ouvrages hydrauliques centenaires de la région du Mzab ainsi que l’expérience du Haut Commissariat au Développement de la Steppe montrent qu’une telle recharge est possible dans certaines configurations géologiques.

Dans le cas de la betterave sucrière, outre les besoins en eau, la récolte demande une logistique parfaite.

En effet, contrairement aux oléagineux, la récolte n’est pas constituée de graines, mais de racines charnues riches en eau.

Celles-ci doivent immédiatement être acheminées vers la raffinerie sous peine de voir, comme dans les années 1970-80 alors que l’Algérie cultivait de la betterave, leur taux de sucre chuter de façon drastique sous les effets conjugués de la chaleur et de la respiration des tissus.

Une situation qui avait entraîné des pénalités financières et contribué au désintérêt des agriculteurs pour cette culture.

Un contexte de réchauffement climatique

Comme le faisait remarquer dès août 2016 l’agro-économiste, Omar Bessaoud dans le quotidien El Watan : « C’est ce mythe d’une Algérie riche en ressources naturelles qui a fondé le pari fait sur l’agriculture saharienne ».

Le développement de l’agriculture saharienne a lieu dans un contexte de réchauffement climatique dont la spécialiste des zones arides, Fatoum Lakhdari s’est fait l’écho, lors d’un récent passage sur les ondes de la Chaîne III, à travers des témoignages d’agriculteurs.

Ceux-ci ont constaté des cas de retard plus fréquents affectant la floraison des palmiers dattiers.

Actuellement, des producteurs au Sud se plaisent de la réussite de plantations de plantes tropicales exigeantes en eau telles les mangues ou les bananiers à l’ombre de palmiers.

Les producteurs de maïs ensilage demandent la possibilité de pouvoir exporter leurs excédents vers les pays du Sahel.

Or, comme le rappelle l’agro-hydraulicien, Brahim Mouhouche de l’École Nationale Supérieure agronomique (ENSA) d’El Harrach, il s’agit de tenir compte de l’eau nécessaire à toute production agricole.

Et exporter des produits agricoles revient donc à exporter une « eau virtuelle ». Une eau qui, dans un contexte de rareté, devrait être réservée aux cultures stratégiques.

Les estimations de 50 milliards de m³ d’eau méritent d’être affinées. Quant aux mesures du satellite GRACE, elles datent de 2013.

Sa réactualisation sous l’égide de l’Observatoire du Sahara et du Sahel (OSS), dont se sont dotés les pays sahariens, permettrait de contribuer au développement d’une agriculture alliant sobriété et durabilité.

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