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Aïd-el-Kebir 2024 : ces Algériens qui boudent le mouton

Aïd-el-Kebir 2024 : ces Algériens qui boudent le mouton

Les prix élevés des moutons dissuadent les Algériens à l’acheter pour l’Aïd-el-Kebir qui sera célébré cette année dimanche 16 juin.

Source : Facebook EPE Alviar SPA

Une situation qui pourrait entraîner une baisse des prix selon des commerçants, mais également s’accompagner de pertes pour certains d’entre eux.

Des prix qui commencent à partir de 60.000 dinars pour un petit mouton, soit trois fois le Smig qui est de 20.000 dinars, la plupart du temps, tirés à la hausse dans une filière marquée par d’importantes disparités entre éleveurs et la « spéculation », selon des analystes.

La baisse du pouvoir d’achat et la cherté des moutons dissuadent de nombreux Algériens à accomplir le rituel du sacrifice, d’autant qu’il n’est pas obligatoire du point de vue religieux.

« Je ne vais pas acheter de mouton cette année, c’est trop cher », tranche Farid, la cinquantaine. « Le mouton est excessivement cher et cela génère beaucoup de dépenses. C’est au-dessus de mes moyens. Mes enfants aimeraient bien avoir un mouton, mais mes finances ne le permettent pas. J’achèterai de la viande cette fois », ajoute Mayssa, retraitée de l’éducation nationale.

« La première et la dernière fois que j’ai fait le sacrifice du mouton, c’était en 2010. Depuis, je n’y arrive pas, avec ma retraite de 20.000 dinars par mois », explique Said, fonctionnaire dans le secteur de la santé.

Cette situation risque de provoquer d’importantes pertes pour les éleveurs, mais surtout pour ces intermédiaires qui achètent les bêtes pour les revendre au prix fort à quelques jours de l’Aïd-el-Kébir dans des marchés improvisés autour des grandes villes.

Points de vente d’Alviar

Face aux prix élevés, samedi, l’Algérienne des viandes rouges (Alviar) a mis à la vente des moutons pour l’Aïd el-Adha au niveau d’un point de vente à Birtouta (Alger) à des prix oscillant entre 59.000 DA et 90.000 DA. Face à l’importante affluence des acheteurs samedi 8 juin, premier jour de l’ouverture de son marché, l’entreprise a décidé d’ouvrir deux points de vente supplémentaires, dans la région d’Alger.

« Au regard de la forte affluence de citoyens venus acheter un mouton au niveau du point de vente de Birtouta, et afin de se rapprocher davantage du citoyen, l’entreprise annonce l’ouverture de deux points de vente supplémentaires à partir de lundi 10 juin » à travers un communiqué cité par l’agence APS.

Un premier point de vente devrait se situer au niveau de l’Office national interprofessionnel des légumes et des viandes (Onilev) sur la route de Chéraga-Aïn Benian et le second au niveau de l’Institut technique des élevages Itelv à Baba Ali.

Ces trois points de vente devraient être ouverts jusqu’à la veille de l’Aïd El-Adha entre 09 h 00 et 19 h 00. Afin de rassurer les très nombreux acheteurs qui se pressaient dès l’annonce du premier point de vente, Alviar indique dans son communiqué une « disponibilité suffisante en moutons ».

Filière viande rouge : 5 milliards de dollars

Selon Hadj Tahar Boulenouar, président de l’Association nationale des commerçants et artisans algériens, le marché algérien a besoin de 3 millions de têtes de bétail pour l’Aïd-el-Kébir, or les capacités de production d’Alviar représentent seulement 20.000 têtes de moutons.

C’est le secteur privé qui assure la plus grande partie de l’offre pour une activité dont le chiffre d’affaires est considérable et qui se répartit entre différentes catégories d’éleveurs. « La taille des troupeaux qui est très variable reflète une disparité entre les éleveurs (d’une dizaine à plus de 1.500 têtes, voire 10.000 têtes chez quelques grands éleveurs entrepreneurs) », faisaient remarquer en 2007 plusieurs chercheurs dans une étude sur le pastoralisme en Algérie.

Dans son dernier rapport, la Cour des Comptes a réalisé un audit d’Alviar. À cette occasion, elle a noté que « la filière des viandes rouges (bovin, ovin, caprin et camelin) est classée la première en termes de chiffre d’affaires réalisé par rapport aux autres filières du secteur agricole. En 2021, elle a réalisé un chiffre d’affaires de près de 700 milliards de dinars (à raison de 1.300 DA/KG), ce qui équivaut à près de 5 milliards de dollars ».

Un chiffre qui correspond à une production de 537.000 tonnes (63 % de viande ovine, 27 % bovine, 7 % caprine et 3 % cameline).

Le rapport annuel de la Cour des Comptes notait également à propos d’Alviar que si les capacités d’élevage annuelles de cette entreprise chargée de la production de viandes, de l’abattage et de la distribution sont de 300.000 têtes d’ovins, l’effectif du cheptel détenu tout au long des années 2010 à 2021, n’a pas dépassé 20.000 têtes ovines par an.

Cette mauvaise performance s’inscrit dans un contexte de concurrence déloyale de l’entreprise par les éleveurs détenteurs de la carte de fellah qui ne s’acquittent d’aucun impôt ou cotisation sociale, ce qui n’est pas le cas d’Alviar. Cette situation a pour conséquence une majoration de l’ordre de « 10 à 16 % »  de l’offre d’Alviar, note le rapport.

Une majoration qu’explique le rapport par le fait que « contrairement aux éleveurs détenteurs de la carte de fellah (éleveur) qui ne s’acquittent d’aucun impôt ou cotisation sociale, ceux ayant la qualité de commerçant (SPA, SARL, EURL) sont soumis aux déclarations parafiscale et fiscale. »

En plus du règlement des cotisations sociales (CNAS), ils paient la TAP (1 % du chiffre d’affaires), la taxe sur la valeur ajoutée dus sur la vente de bêtes sur pieds (9 %), l’impôt sur le bénéfice des sociétés (IBS) et l’impôt sur le revenu global (IRG). Ainsi, cette situation crée une distorsion sur le marché au désavantage d’Alviar ayant un statut de SPA avec comme conséquence une majoration, le cas échéant, de son offre financière de 10 à 16 points / cent indique la même source.

Pour l’analyste financier Chabane Assad, fondateur de Finabi, « l’engineering fiscal actuel encourage les fellahs non structurés et décourage les investissements structurés dont des personnes morales ». L’analyste énumère les conséquences macroéconomiques qu’il juge significatives.

D’abord des pertes fiscales : « Sur les 700 milliards de dinars, le coût fiscal est marginal. Le préjudice financier subi par le Trésor public est estimé à 100 milliards de dinars ».

Vient ensuite la précarité de l’emploi dans la filière : « Les salariés (les bergers) du secteur ne sont pas assurés. Ce qui génère une précarité de l’emploi ».

«  Les 700 milliards de dinars de cash alimentent la sphère informelle. Plus de 9 % de la monnaie est en circulation », pointe l’expert.

Enfin, Chabane Assad conclut sur la spéculation : « Aucune traçabilité du coût de revient de la tête (absence de comptabilité analytique), car ces fellahs ne sont pas soumis à une comptabilité. La conséquence directe est une spéculation sur les prix, car il n’y a aucun référentiel de contrôle et l’offre est limitée. »

« Les éleveurs sans terres sont voués à disparaître »

Outre les fortes disparités en termes d’effectifs et de revenus entre les différentes catégories d’éleveurs, l’étude de 2007 sur le pastoralisme citait les difficultés de la filière ovine en Algérie : « Les ressources pastorales ont connu une diminution en raison de l’extension des mises en culture, des échecs des politiques agricoles et des changements climatiques (sécheresses). Cela a rendu l’élevage pastoral beaucoup plus fragile et vulnérable ».

Une situation qui a amené à une modification des façons de faire de la part des éleveurs. « Dans ce contexte, les éleveurs ont adopté un ensemble de stratégies (complémentation en concentré, mobilité, irrigation…). Les éleveurs avec terre semblent mieux résister à la décapitalisation. Par contre, les éleveurs sans terre sont voués à disparaître », conclut l’étude.

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