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Aïd el-Kebir 2024 en Algérie : ces moutons sont-ils « nourris aux kiwis ? »

À l’approche de la fête de l’Aïd el-Kébir en Algérie, la préoccupation de nombreux chefs de famille est d’acheter un mouton à un prix raisonnable.

Pas facile en ces temps marqués par la sécheresse et l’envolée du prix des moutons qui s’ensuit. Pour les petites bourses, il s’agit donc de trouver « un mouton à 5 pattes ».

Le premier défi est de trouver une bête à sacrifier qui soit un mouton. Il arrive que des familles se rabattent parfois sur de la volaille et en particulier de la dinde.

En dehors de ces rares cas, pour le père de famille, il s’agit donc de trouver un mouton qui ait fière allure ; qui plaira aux enfants de la famille et qui fera bonne figure devant les voisins. L’idéal est un mouton qui présente des cornes, qui possède une belle taille et une toison blanche.

Des moutons hors de prix pour les bourses moyennes

Mais pour de tels critères, les prix risquent d’être inabordables pour les chefs de famille aux revenus modestes et même moyens. Et les éleveurs de moutons l’ont bien compris, aussi pour la fête de l’Aïd el-Kebir, ils élèvent leurs plus belles bêtes.

De façon étrange, comme le faisait remarquer en 2015 une étude d’universitaires réalisée dans la région de Djelfa, « le poids de l’animal n’est pas le seul critère recherché par les éleveurs ».

Il est surtout tenu compte de la présence de cornes, de la couleur de la toison, de la conformation de l’animal et de sa hauteur au garrot.

Les animaux ne présentant pas ces caractères sont dirigés vers la boucherie durant le mois de ramadan.

Et les éleveurs ne se trompent pas en proposant des bêtes d’exception. C’est parfois à qui aura le plus beau bélier du quartier. Et certains n’hésitent pas à les exhiber, quitte parfois à le laisser s’affronter avec un autre bélier dans de courts combats improvisés. Mais de tels animaux coûtent cher : 100.000 DA et plus.

« C’est à se demander si les animaux n’ont pas été nourris de kiwis », ironise un jeune père de famille à Echourouk News TV sur le marché d’El Eulma. « Ce n’est pas possible, ce mouton doit manger une nourriture importée, il est trop cher » poursuit-il. Sur le marché, les prix du mouton donnent le tournis.

Un acheteur est particulièrement désabusé : « Je suis venu avec l’intention d’acheter, mais les prix sont élevés. Il n’y a pas de moutons à 40.000 ou 50.000 DA. Il faut compter à partir de 100.000 DA et plus ». D’un air décidé, il confie : « Je ne pense pas en acheter cette année».

Aïd el-Kébir : Faut-il renoncer au sacrifice du mouton ?

Selon l’Office national des statistiques, le salaire moyen en Algérie était de 42.800 DA en 2021. Il faut donc bien plus qu’un salaire mensuel pour acheter un mouton et fêter l’Aïd el-Kebir comme il se doit.

Sur le marché, les acheteurs et les éleveurs se côtoient. Des éleveurs de toutes sortes, comme les éleveurs naisseurs, les éleveurs naisseurs-engraisseurs ou les éleveurs engraisseurs dont certains sont spécialisés dans l’engraissement pour les fêtes et le mois de ramadan.

Particulièrement énervé, un éleveur vêtu d’une épaisse veste et lunettes remontées sur le haut de la tête répond aux acheteurs qui se plaignent des prix.

D’entrée, il assène : « Le prix des moutons n’est pas élevé ». Il argumente : « C’est le prix de l’alimentation qui est élevé : l’orge, la paille, le foin, le gardiennage, la main d’œuvre, l’eau. Pour tout cela, il faut de l’argent, tout se paye ».

Puis à l’adresse de l’ acheteur : « Son salaire doit être faible, c’est pour cela qu’il dit que les moutons sont chers, mais pour celui qui en a les moyens, ce n’est pas cher ».

Engoncé dans sa kachabia, un jeune éleveur reste stoïque et indique les prix quand on les lui demande : « Pour ces deux bêtes 159.000 DA et pour ces deux autres 170.000 DA ». Questionné, il répond : « Non pour le moment, je n’ai rien vendu, mais on espère bien conclure des ventes ».

Pourquoi les prix du mouton sont élevés ?

À l’étonnement et la déception des acheteurs, des éleveurs rétorquent en rappelant le coût des aliments donnés aux moutons.

Un éleveur, la tête entourée d’un turban à carreaux s’emporte : « On nous dit que les animaux sont chers, mais le quintal de son est à 450 DA, la botte de foin à 140 DA et celle de paille que vous voyez là-bas est à 100 DA ». Il conclut : « Bien sûr que ces animaux ne sont pas chers ».

Manifestement, un monde sépare les acheteurs, pour la plupart des urbains, des éleveurs qui sont confrontés une bonne partie de l’année à la sécheresse qui a frappé l’Algérie en 2023.

Les enquêtes de terrain montrent que c’est le poste alimentation qui renchérit le prix des moutons ainsi que les nombreux intermédiaires. Aussi, à Djelfa, les universitaires conseillaient dès 2015 « le recours à des fourrages cultivés afin d’augmenter la part des fourrages grossiers dans l’alimentation des agneaux à l’engraissement ».

De manière originale, ils conseillaient également de « classifier les différents types d’agneaux et reconnaître les différentes qualités de viande d’agneaux engraissés » afin de mieux valoriser ces produits d’exception à l’image de l’agneau de Sisteron en France.

La région de Djelfa est réputée pour ses animaux élevés sur des pâturages ou « Ardh Mriya » aux plantes naturellement aromatisées qui fournissent une nourriture bien meilleure que d’éventuels kiwis. Reste à éviter le surpâturage.

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