Yennayer 2019 (2969), en plus des célébrations officielles en Algérie sans précédent, restera comme une étape majeure de l’histoire de la chanson kabyle. Ses trois plus grandes figures du moment se sont unies pour offrir un spectacle unique dans la grande salle de Paris-Bercy.
De divers coins de la France, d’Algérie et d’autres pays d’Europe, leurs fans ont afflué par milliers. Parfois par familles entières et toutes générations confondues.
Enfants, parents et grands-parents ont joint leur bonne humeur pour un moment de bonheur exceptionnel. Ce sera difficile de revoir ensemble Idir, Lounis et Allaoua dans une même ambiance. D’une même voix, ils ont présenté le cadeau du jour : assa dh-yennayer, une nouvelle chanson écrite par Ait Menguellet sur une composition musicale de son fils Djafar.
Idir, le roi de la mélodie, de la parole épurée et des légendes revisitées, a puisé dans son vieux répertoire pour emporter la salle dans les années 70, moment de l’affirmation de l’identité berbère contre sa négation voulue par le parti unique : azwaw, zwits-rwits, chfigh.
Un temps que chaque Kabyle connaît, quels que soient ses ans. Vecteur de l’universalité de la chanson kabyle qui lui a ouvert les portes de la collaboration avec des chanteurs internationaux, il a réaffirmé cette particularité de sa carrière avec “Tizi-Ouzou élève des enfants fous de rêve”, adaptation de “San Francisco” et sa “maison bleue” de l’interprète français Maxime Le Forestier.
Qui mieux qu’Ait Menguellet a chanté l’amour déchiré et l’exil imposé qui a happé des hommes en pleine forme, avant qu’ils reviennent s’échouer en épave dans les bras de l’épouse vieillie, qui n’a plus comme ressource que les larmes de l’enterrement.
La France des Trente glorieuses où l’on chante et l’on danse après l’abdication de l’Allemagne s’est révélée un mirage dans lequel s’est dissoute la santé de nombreux villageois qui ont rêvé de fortune.
La honte d’un retour sans le pactole rêvé use l’âme jusqu’à ne plus l’envisager. La fiancée promise est impossible à honorer. La santé s’est affaissée, le visage est ravagé. L’exil est dès lors définitif. “Vas-y ami, moi je reste. L’âme est usée et à l’exil je me suis accoutumé, bon vent je ne viendrai pas”. Mais “ramène-moi dans tes yeux ce que je ne pourrai plus jamais voir”. Il ne restera du village que les balades dans les champs, fusil sur l’épaule et la frustration de ne pas assister aux réjouissances.
Autre génération, autre style. Allaoua qui enrobe les histoires d’amour contrarié dans un son rythmé confirme son statut de star du moment. C’est l’embrasement quand il se saisit du micro. Et dans le public on frise la transe. Son allure de fils de bonne famille en font un artiste adulé de toutes les catégories et de toutes les générations. Y compris au sein du public non berbérophone.
Mais Allaoua ce n’est pas que la fête. C’est aussi un engagement sans ambiguïté qui s’est traduit par l’adaptation de la chanson de feu Slimane Azem , kifech nkounou sousta, (comment rester zen ?) qui lui a valu des ennuis avec les pouvoirs publics et d’être boycotté par la télévision publique. Il ne s’en porte pas mal. “Cela m’a fermé les canaux officiels mais a élargi mon public”, dit-il en imputant ses déboires à un “ami qui a tourné casaque quand il est devenu ministre.
En tout cas, Yennayer 2019 restera l’accomplissement d’un rêve pour le jeune Algérois dont les idoles s’appellent Idir et Ait Menguellet.