Autoritarisme, propagande, répression, sourde-oreille, mal gouvernance, amateurisme…la gestion de la crise d’Al Hoceima a révélé les tares abyssales du système politique marocain et de ses acteurs qui n’ont pas retenu les erreurs du passé. Une situation qui souligne la profonde crise de confiance entre l’Etat et les citoyens échaudés par tant de promesses non tenues depuis la fièvre de 2011.
De la longue indifférence aux revendications du mouvement du Hirak du Rif aux arrestations de ces derniers jours, la marche suivie par les pouvoirs publics illustre des défaillances sur l’essentiel : la gestion de crise et l’incapacité à dépasser les vieux réflexes d’autoritarisme, la communication et la gouvernance. Passage en revue de quelques faits marquants de ces dernières semaines.
Après des mois de manifestations à Al Hoceima, mais également à Imzouren, Beni Boufrah, El Aroui et Nador, l’Etat a démontré au travers du sermon distribué aux imams le vendredi 26 mai que les anciens réflexes autoritaires étaient toujours d‘actualité.
Autoritarisme. L’autoritarisme et la maladresse du pouvoir se sont clairement manifestés dimanche 14 mai. A l’issue d’une réunion des représentants des six partis politiques de la coalition gouvernementale avec le nouveau ministre de l’intérieur Abdelouafi Laftit un communiqué évoquait des menaces à l’ordre public et d’éventuels liens avec des pouvoirs extérieurs.
Pour les militants du Hirak rifain qui manifestaient depuis des mois pour que la lumière soit faite sur la mort du pêcheur Mohsine Fikri le 28 octobre 2016 et pour que la région commence à bénéficier à de projets de développements annoncés en octobre 2015, ce communiqué était le signe que Rabat tout en continuant de faire la sourde oreille à leurs revendications, les menaçait également de représailles. Pour un Etat qui parle de régionalisation depuis un ancien discours de Hassan II sur les landers allemands et qui s’enorgueillit d’être un ilot de stabilité dans une région marquée par les turbulences, quelques centaines de manifestants dans la rue auront réussi à lui faire reprendre ses vieux réflexes.
18 mai. C’est ainsi que dès le 15 mai, les militants du Hirak basés à Al Hoceima ont rapidement dénoncé le communiqué gouvernemental et les déclarations de certains ministres aux chaînes de télévision publiques. Ils ont appelé à une grande manifestation pour le jeudi 18 mai suivant. Le succès fut au rendez-vous. Dans la foulée les comités européens de soutien au Hirak ont également dénoncé la réponse du gouvernement et dès le 20 mai à Madrid ils se sont réunis pour fonder une coordination continentale. Depuis, les capitales européennes, de la Puerta del Sol à Madrid à la place de la République à Paris, et dans d’autres villes comme Rotterdam ou Barcelone, ont vu se succéder rassemblements et manifestations et questions posées au parlement de Strasbourg et au congrès espagnol. Cette semaine, ce fut au tour d’Amnesty International et de Reporters sans frontières de se saisir du dossier du Rif. Car entretemps, des journalistes ont été arrêtés ou empêchés de faire leur travail, des dizaines de militants et de manifestants ont été arrêtés, des domiciles violés et des cas de torture signalés.
Après la manifestation du 18 mai et l’échec politique qu’elle représente pour le gouvernement et le ministère de l’intérieur, c’est au tour d’un autre ministère de souveraineté, celui des Habous et des affaires religieuses de commettre une grosse bévue. Pourtant dirigé par un intellectuel et un homme d’expérience, les Habous distribuent le vendredi 26 mai un sermon dans lequel les manifestants du Hirak sont assimilés à des instigateurs de fitna. Derrière l’erreur politique, transparaît la volonté d’intimider et d’humilier à nouveau.
Avant cela et dès le lundi 15 mai au matin, les moyens sécuritaires seront renforcés autour d’Al Hoceima et des villages voisins. « Reste-t-il un soldat ou un policier en poste ailleurs au Maroc ? » feint de s’interroger un chauffeur de taxi dans des propos rapportés par le journaliste Imad Stitou. Des campements de plusieurs dizaines de tentes surgissent à la périphérie d’Al Hoceima. Au lendemain de la manifestation du 18 mai, dans la matinée, des hélicoptères survoleront la ville. Le décor était planté pour une escalade à venir et l’affirmation d’une réaction strictement autoritaire aux revendications de la population d’une région aux blessures historiques et sociales profondes.
Vraie-fausse médiation. La gestion de la crise de confiance, se voulant rusée, est illustrée par la publication jeudi 18 mai quelques heures avant la fameuse grande manifestation à l’appel du Hirak d’une offre de médiation par le CRDH, le bras régional du CNDH que dirige Driss El Yazami. Pourquoi cette offre de médiation a-t-elle « échoué » ? Faite dans un premier temps pour décourager la mobilisation à la manifestation du jeudi 18 mai à 18 heures, son échec fut patent. Deux jours plus tôt, à l’occasion de son passage sur Al Ouala, l’éventualité d’une médiation par le CNDH fut évoquée. Dans ce contexte on peut s’interroger sur ce que pourront accomplir les missions de médiation de Salah El Ouadie, Ahmed Assid et du Dr. Nesh Nash.
La manifestation du 18 mai à Al Hoceima sera l’une des plus importantes de l’histoire de la région. Mais l’offre restera, si l’on peut dire, maintenue pendant quelques heures encore. Jusqu’à la prise de parole de Nasser Zafzafi face aux manifestants sur la place principale d’Al Hoceima pour dire oui à la médiation mais que les rassemblements et les manifestations continueraient jusqu’à la satisfaction des revendications économiques et sociales du Hirak. Le CNDH de Driss El Yazami qui avait servi de « médiateur » avec le Hirak reniera deux jours plus tard qu’une quelconque offre de médiation ait été faite. Pourtant un document a été publié. Explication d’El Yazami : « il s’agit d’une initiative prise sans concertation avec le siège central ». Qui restera tout de même accessible en ligne pendant plusieurs jours.
On répète les mêmes erreurs. Les observateurs démocrates de la scène politique marocaine avaient été passablement surpris par la convocation le 18 septembre dernier, quelques jours avant la tenue des élections législatives du 7 octobre, d’une manifestation « contre l’islamisation » de la société. Transportés « dans des autocars 5 étoiles » comme le dénoncera le journaliste Mohamed Tijjini dans l’une de ses vidéos, les manifestants étaient encadrés par des fonctionnaires de l’administration. La ficelle était tellement grosse. A quelques semaines des législatives, des stratèges de l’intérieur voulaient déstabiliser le PJD et Abdelilah Benkirane.
« Communication ». On passera sur les sites d’information, pages Facebook et autres baltajis vêtus de tenues de marines américains pour s’arrêter sur le plus récent : Assabah. Le quotidien du groupe Eco-Médias qui publie la « bible » des décideurs économiques marocains affiche à la une que les militants d’Al Hoceima ont reçu des fonds du Polisario. Eco-Médias n’est pas dirigé par quelques obscurs personnages. Ils s’appellent Abdelmounaim Dilami, Khalid Belyazid et Nadia Salah. Un universitaire, des journalistes chevronnés. Ils ont des actionnaires de référence. Le Maroc en est là en 2017. Et ça ne va aider ce pays ni à résoudre la crise du Rif ni celle du Sahara, ni à convaincre qu’il traite ses citoyens avec intelligence, ni qu’il cherche véritablement à résoudre une profonde crise économique et sociale dans le Rif, devenue par ses maladresses une grave crise politique.
Gouvernance. L’affaire du centre d’oncologie illustre les grandes défaillances de la gouvernance marocaine. Inauguré mais jamais complétement équipé, le centre d’oncologie a même vu le budget pour son équipement débloqué et des instructions données pour le recrutement d’un physicien. Ni l’un ni l’autre ne seront faits. Lorsque les manifestants dénonceront la situation du centre, démentis, rectificatifs et mises en scènes se succéderont.
Qu’est-ce cela dit du Maroc de 2017 ? Que notre système politique reste foncièrement autoritaire qu’il n’a pas su capitaliser sur les enseignements de la poussée de fièvre du 20-Février en jetant aux orties ses promesses de démocratisation et de régionalisation avancée. Nous venons en quelques semaines de gâcher plusieurs années d’efforts économiques, politiques et diplomatiques. La parole et l’image du Maroc viennent d’être subitement dévalorisées. Près de 80 militants et manifestants du Hirak sont arrêtés, les touristes sont avertis des risques de sécurité qu’ils prennent en se rendant au Nord, des investisseurs y réfléchissent à deux fois, les comités de soutien européens au Hirak ne vont pas s’auto-dissoudre du jour au lendemain et tout cela fragilise une situation sociale déjà tendue comme le reconnaissent les propres membres du gouvernement El Otmani. Les objectifs de résorber le chômage des jeunes et d’attirer des investissements productifs sur Al Hoceima et la région sont remis à des jours meilleurs. Pour la région et pour le pays, c’est une page qui se tourne vers l’inconnu.