L’Algérie risque d’être confrontée à une crise économique en 2019. L’alerte est donnée par l’International Crisis Group (ICG), une ONG basée à Bruxelles, qui fait de la recherche et de l’analyse sur la prévention des conflits.
« Les nouvelles réalités financières ne permettent plus de maintenir le niveau élevé de dépenses publiques des dix dernières années, qui vide rapidement les caisses de l’État. Malgré les promesses des gouvernements successifs de faire des réformes et de rééquilibrer les finances publiques, la paralysie politique a fait obstacle à toute mesure décisive », souligne l’ICG dans un rapport intitulé « Surmonter la paralysie économique de l’Algérie », mis en ligne sur son site web, lundi dernier.
La dépense publique toujours importante
À Alger, on ne donne pas l’impression de voir venir la tempête. Pas de signes d’inquiétude. La question des réformes économiques est reléguée au second plan alors que l’échéance de la présidentielle s’approche à grands pas. Le président Abdelaziz Bouteflika n’a toujours pas annoncé son intention de se présenter pour un 5e mandat en 2019 ou pas. Et les candidats « présidentiables » de l’opposition sont toujours invisibles.
Le budget de l’État est soutenu par la planche à billets, au moment où le projet de loi de finances 2019 enregistre une augmentation du budget d’équipement pour atteindre les 8500 milliards de dinars (ce budget a été sensiblement diminué entre 2015 et 2018). « C’est la dépense publique qui alimente la vie économique », a observé l’économiste Abderrahmane Benkhalfa.
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Selon lui, le projet de loi de finances n’a pas prévu des rentrées nouvelles, « autres que les rentrées fiscales ». Le budget de l’Etat est alimenté à 45 % par la fiscalité pétrolière, le reste par la fiscalité ordinaire. Le projet de loi de finances 2019 n’a pas introduit de nouvelles taxes et a maintenu les transferts sociaux à un niveau élevé (10 % du budget de l’Etat).
« Diversifier l’économie », selon Raouya
Abderrahmane Raouya, ministre des Finances, a déclaré, après l’adoption par l’APN de ce projet de loi le 15 novembre, que l’effort de l’État se poursuivra en matière de croissance et de diversification économiques, « en dépit des difficultés financières après l’effondrement des cours pétroliers en 2014 ».
« Il est impossible pour l’État d’abandonner sa politique sociale », a appuyé le ministre. Il a toutefois évoqué le recours au financement non conventionnel jusqu’à 2021, qui est « une dette pour le Trésor public ». « Nous devons sortir de cette situation en diversifiant l’économie et en augmentant les exportations hors-hydrocarbures », a-t-il plaidé, sans préciser de quelle manière.
Depuis plus de vingt ans, ces deux exigences sont cycliquement évoquées par les officiels algériens sans que des mesures concrètes ne soient prises pour échapper à la dépendance au pétrole et au gaz et pour booster efficacement les exportations d’autres produits que les hydrocarbures.
En valeur, ces exportations s’approchent de deux milliards de dollars (pour les huit premiers mois de l’année en cours), ce qui est déjà un record. Mais, cela est constitué de 60% de dérivés d’hydrocarbures, selon l’Agence nationale de promotion du commerce extérieur (ALGEX). Ces exportations demeurent très faibles par rapport aux ventes de pétrole et de gaz.
Les exportateurs de produits agricoles, par exemple, doivent surmonter plusieurs obstacles financiers, administratifs et douaniers pour pénétrer les marchés extérieurs.
Une facture alimentaire lourde
Des parcours souvent décourageants et dissuasifs faute d’une véritable politique durable orientée vers l’exportation.
Les mesures prises pour freiner les importations et pour « économiser » de la devise (suspension provisoire d’importation de plus de 800 produits, relèvement du droit de douanes, droit additionnel provisoire de sauvegarde, etc.) ne semblent pas avoir eu de l’effet sur le flux des achats à l’étranger.
Durant le premier trimestre 2018, la facture d’importation de produits alimentaires était de 4,6 milliards de dollars, en hausse par rapport à la même période en 2017, selon les Douanes algériennes. Dans cette facture, il y a le sucre, les laits, les céréales, les légumes secs, les viandes, le café, le thé, les sucreries…
Zéro réserves de change en 2022 ?
Globalement, la valeur des importations était en 2017 de 45,9 milliards de dollars, en légère diminution par rapport à 2016. Fin 2017, le déficit commercial était de 11,1 milliards dollars.
Abderrahmane Raouya a lui-même prévenu contre la poursuite d’une politique économique qui risque d’assécher, à moyen terme, les réserves de changes.
Des réserves qui tomberaient à 31 milliards de dollars en 2021, selon les prévisions du gouvernement. L’Algérie risquerait-elle de se retrouver avec zéro réserves de change en 2022 ?
« Nous n’allons pas attendre l’effondrement des réserves de change. Nous devons introduire des changements et des réformes. Si nous diversifions nos importations, nous aurons de nouvelles recettes. Le gouvernement doit travailler davantage pour augmenter les recettes », a déclaré le ministre des Finances.
Là aussi, il n’a pas précisé la méthode qui sera suivie pour un gouvernement dont la durée de vie est limitée puisque la présidentielle aura lieu, si l’agenda électoral est respecté, en avril 2019, c’est-à-dire dans cinq mois. Durant cette période pré-électorale, l’Exécutif n’envisage pas de remettre en cause la politique de subvention des produits de grande nécessité et de la consommation énergétique. Le gouvernement entend toutefois réorienter cette politique pour « cibler » les catégories sociales dans le besoin, selon un mécanisme encore indéfini.
« Le mauvais élève » du FMI
L’administration fiscale peine à établir un listing détaillé des contribuables qui n’ont pas respecté leurs engagements. Leur demander de payer la totalité des impôts, cumulés au fil des ans, sera une mission presque impossible.
Aussi, augmenter les recettes de l’État est parait-il un défi titanesque pour le gouvernement, qui veut éviter au pays de passer sous les fourches caudines du FMI.
Répondant à un rapport négatif du FMI sur l’économie algérienne, le Premier ministre, Ahmed Ouyahia a estimé, en juillet dernier, que ces critiques sont liées au fait que l’Algérie ait refusé l’endettement extérieur. « L’Algérie est un mauvais élève du FMI. L’Algérie a opté pour l’endettement intérieur (planche à billets) qui lui garantit une souveraineté totale sur sa politique économique et financière », a précisé Ouyahia.
En 2022, l’Algérie sera-t-elle en mesure de refuser l’endettement extérieur ? Difficile d’y répondre. Pour l’instant.