Ils ont donné un grand coup de balai. Rue Bouzrina, rue Amar Ali, rue Ferhat Boussaâd… Les policiers sont descendus autour des marchés d’Alger où pullulent, depuis des années, les vendeurs informels.
C’était le jeudi 20 septembre, aux aurores. Ils ont saisi les étals en contreplaqué cachés dans le hall des immeubles. Interdiction formelle de vendre de la marchandise sur le trottoir.
Depuis, les policiers jouent au jeu du chat et de la souris. Campant à proximité, les vendeurs informels attendent que les représentants de l’ordre tournent le dos pour poser leurs étals par terre.
D’autres ont trouvé la parade, comme ce vendeur de pâtes traditionnelles de la Rue Bouzrina (Ex- Rue de la Lyre). Stationné à l’emplacement où il avait son étal de rechta et de khtayef, il exhibe sa marchandise sous le pare-brise de sa voiture. Les clientes savent où le trouver et les policiers ferment les yeux.
Les policiers sur les dents
À proximité de Djamâ Ketchaoua, une colonne de camions de police est stationnée. Les agents de l’ordre sillonnent les ruelles environnantes à pieds pour dissuader les vendeurs informels de déployer leurs marchandises sur les trottoirs.
La rue Amar Ali (Ex- rue Randon), à côté de Djemaa Ketchaoua est fluide. Du jamais vu ! Les passants circulent à l’aise sans aucune entrave. Plus de coude-à-coude. Plus de pieds piétinés. Disparus les vendeurs de produits pyrotechniques, de vêtements et de fruits et légumes. Interrogé, un commerçant de prêt-à-porter pour homme exprime sa satisfaction. « Les autorités ont tardé à réagir. Cela fait plusieurs années que ces vendeurs nous volaient notre pain quotidien. Ils ne payaient pas leurs impôts et nous chipaient notre clientèle » s’exclame-t-il.
La résistance s’organise.
Rue Bouzrina (Ex – rue de la Lyre). Plus connue sous le nom de Zniket laarayesse, (le passage des mariées), cette rue, coiffée d’arcades, grouillait de commerçants informels il y a à peine quelques jours. Sous-vêtements, vaisselle, produits cosmétiques, articles de maroquinerie, coupons de tissu… Un fatras d’articles hétéroclites était vendu sur des étals de fortune. La concentration était telle que les passants avaient du mal à se frayer un chemin.
Hormis quelques cartons amoncelés sur les trottoirs, rien ne vient désormais encombrer le passage. La présence policière est partout. Juste un moyen dissuasif, car les commerçants informels sont toujours aux aguets.
Certains vendeurs informels ne veulent pas lâcher la grappe. Assis sur des tabourets, ils attendent que l’orage passe. « C’est vrai qu’on a l’habitude d’être dégagés d’ici, mais cela ne durait pas plus de 2 jours » nous lance l’un d’entre eux. « Cette fois-ci ‘Zayrouna’ (Ils nous ont serrés). On ne peut plus poser nos étals depuis le jour de l’Achoura correspondant au jeudi 20 septembre. Nous prions tous les jours pour qu’ils décampent enfin et qu’on puisse gagner notre croûte ».
La ruse des vendeurs informels
Mohamed (26 ans), ne se laisse pas démonter. Il a trouvé un système ‘D’ pour continuer à écouler ses pâtes faites maison. Installé depuis des années sous les arcades de la rue Bouzrina, Mohamed s’était constitué une fidèle clientèle.
« Je vendais de la rechta, dioul, khtaeif, m’ssemen, couscous, tridi, chakchoukha, berkoukes… Tout était fait maison. J’employais des femmes au foyer qui avait ainsi un petit revenu. Avec ce démantèlement, tout le monde est au chômage. »
Pour tirer son épingle du jeu, Mohamed a trouvé une entourloupe. Il a garé sa voiture à l’emplacement de son étal et a mis en évidence toute sa marchandise au nez et à la barbe des policiers qui patrouillent. « Les clientes viennent me voir. Je leur vends mes produits à partir de mon véhicule. Les policiers ferment les yeux. Ils me demandent juste de faire preuve de discrétion afin de ne pas attirer les foudres de leur hiérarchie. Depuis le 20 septembre, ma recette journalière a été escamotée. Je ne gagne plus que 1 000 da alors que je me faisais jusqu’à 7 000 da par jour » regrette- t-il.
Dégâts collatéraux ?
Un autre groupe de vendeurs informels ‘spécialisé’ dans le commerce des vêtements féminins « made in China » attend lui aussi le départ des policiers. « Ils ont tardé cette fois-ci. Habituellement, ils font leur cinéma pendant maximum 48 heures et nous fichent la paix. Nous habitons le quartier et avons des bouches à nourrir. Qu’ils régularisent notre situation et qu’ils nous laissent bosser. Il n’y a pas que nous qui payons les pots cassés. Même les commerçants déclarés ont vu leur chiffre d’affaires piquer du nez à cause de la diminution de la fréquentation autour des marchés. Les cafétérias et gargotes avoisinantes ont également enregistré un manque à gagner.Tous les vendeurs informels se restauraient dans ces enseignes » éructent ils.
Attrape-moi si tu peux !
Au marché Réda Houhou (ex-Clauzel) et Ferhat Boussaâd (Ex- Meissonnier), les ruelles habituellement hérissées de vendeurs à la sauvette ont été dégagées.
Toutefois, un jeu de chat et souris anime ces rues à longueur de journée. Dès que les policiers en faction s’éloignent, les vendeurs informels planqués dans les immeubles ressortent leurs marchandises. Pour 10 minutes, une demi-heure, une heure, ils vont essayer d’écouler quelques articles, en priant que les policiers tardent à refaire leur ronde.