C’est l’un des plus anciens et des plus importants cimetières d’Alger. Sa porte principale se trouve à côté de l’hôpital El Hadi Flici (El Kettar), sur les hauteurs de Bab Djedid, juste derrière les bâtiments du ministère de la Défense nationale.
Le cimetière d’El Kettar s’étend sur une superficie de 14 hectares. Il est construit sur une pente abrupte qui dévale jusqu’à Bab El Oued. Sa partie basse s’ouvre sur Oued Koriche, tout près de la cité Climat de France édifiée par Fernand Pouillon en 1957.
Pour notre visite, nous sommes accompagnés d’un marbrier. Appelons le Mohamed. La trentaine finissante, il connaît le cimetière d’El Kettar comme sa poche.
« Je m’occupe de construire les tombes lorsque les familles des défunts font appel à mes services. Parfois il y a du travail et parfois c’est mort, car nous sommes plusieurs prestataires sur ce terrain », nous confie-t-il.
Il était une fois…
Le cimetière El Kettar vient du mot « distiller ». On le doit à un artisan qui distillait des fleurs de jasmin, assis au milieu d’un verger, situé sur le versant nord de cette nécropole.
Cela se passait vers 1820. Alger était encore sous la régence ottomane. Ce lieu qu’on appelle aujourd’hui « la Bridja » existe toujours. C’est une sorte de demeure ottomane qui servait à la toilette mortuaire.
La bâtisse, agrémentée par de colonnes anciennes et d’arcades, est complètement à l’abandon. Une eau de source, claire et limpide coule à travers l’une des parois de ce monument funéraire et s’en va se perdre au milieu des sépultures.
« Nul ne sait d’où cette eau provient, c’est un don de Dieu ! Elle n’est jamais à sec ! Dommage qu’elle soit ainsi perdue ! », lâche Mohamed et d’expliquer : « Avant, on procédait à la toilette du défunt au rez-de-chaussée de cette demeure puis on montait à l’étage pour la dernière prière du mort. Maintenant, ce vestige historique tombe en ruine. Il est urgent qu’il soit réhabilité par les autorités concernées car il fait partie de notre patrimoine. Une colonne a même été subtilisée pour embellir la maison d’un particulier. Le vandalisme n’a pas de limite ».
Ouvert aux quatre vents, ce vestige fait peine à voir. Le sol, jonché de détritus, est inondé d’eau. Il est urgent de sauvegarder ce patrimoine avant qu’il ne soit complètement détruit. Une petite qobba, située juste en face, penche dangereusement et menace également de s’effondrer.
Tourisme mémoriel
Nous avons croisé quelques visiteurs, qui venaient découvrir les tombes d’artistes connus enterrés dans ce cimetière à l’instar de Fadela Dziria, Hadj M’hamed El Anka, Boudjemaâ El Ankis, H’ssissen, Rouiched, Amar Azzahi, Kamel Messaoudi…
Un petit attroupement s’est formé autour de la tombe du poète, chanteur et comédien Rachid Ksentini, Rachid Belakhdar de son vrai nom (1887-1944). Un texte -hommage en français, gravé sur la stèle tombale de l’auteur de « Zouadj Bou Barma » a subi les outrages du temps, devenant complètement illisible.
« En contrebas, il y a la tombe de Petit Omar, mort pendant la bataille d’Alger en 1957 à l’âge de 13 ans. Des visiteurs demandent également son emplacement », nous confie notre accompagnateur.
Ce dernier reconnaît toutefois que le cimetière d’El Kettar n’est pas sécurisé, et que certaines femmes, venues seules, ont été agressées. « Cette partie haute est infestée de petits voyous. Mieux vaut ne pas s’y aventurer en solo », avertit- il.
Dj Snake et les autres
À l’ombre des eucalyptus, la vue à partir de cette nécropole implantée sur les hauteurs de Bab El Oued est très belle. On aperçoit la mer, la Basilique Notre-Dame d’Afrique et la Carrière Jaubert.
En contrebas, se dessinent plusieurs cités : celle des 200 colonnes de Fernand Pouillon, la Carrière où Dj Snake a tourné son clip « Disco Maghreb » en 2022 et celle du groupe Taine, construite à la fin des années 1950.
À proximité du cimetière d’El Kettar se trouve une annexe surnommée « Frizet » par les anciens. Cette partie a été rebaptisée du nom du chahid Ouchfoun Hacene (1902-1957). Une stèle en marbre est érigée à sa mémoire juste à l’entrée dans cette annexe.
Rappelons que le cimetière d’El Kettar était aussi connu sous le nom de « Dar El Ghrib » (la maison de l’étranger) car, au début, tout étranger qui passait de vie à trépas dans la cité d’Alger, y était enterré.