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Algérie : des figuiers de Barbarie décimés par un insecte

Algérie : des figuiers de Barbarie décimés par un insecte

Par PhotoKD / Adobe Stock
Des figuiers de Barbarie.

Dans les régions de Tlemcen et d’Oran, des figuiers de barbarie offrent un spectacle de désolation : ils ne sont plus que des amas grisâtres de raquettes desséchées. En cause, une cochenille qui les décime et qui met en péril le revenu de nombreuses familles paysannes tant en Algérie, qu’au Maroc ou en Tunisie.

Jusqu’à présent, les plantations d’opuntia ont été une réussite. À Sidi Fredj (Souk Ahras), commune frontalière de la Tunisie, l’introduction de l’opuntia a été salutaire.

Elle est plantée en longues rangées et permet de valoriser les terrains secs de cette région au climat semi-aride. L’espèce s’adapte particulièrement au manque d’eau.

Les raquettes de la plante servent de fourrage pour les chèvres, les moutons et les vaches, tandis qu’en été, les fruits sont vendus sur les marchés ou pour la transformation. Des fruits bien moins gourmands en eau que la traditionnelle pastèque.

À Oran, un vendeur ambulant quinquagénaire a installé son étal et épluche avec dextérité des figues de Barbarie. Il confie à la chaîne Bahia Tv : « Chaque jour, j’écoule 5 à 6 caisses, ce qui me permet d’assurer un revenu de 600 à 700 DA par jour pour ma famille ».

Autre intérêt, en Kabylie, les haies d’opuntia se sont révélés être d’excellents pare-feu contre les incendies.

Figuiers de Barbarie en Algérie : succès des plantations à Souk Ahras

En 2019, Rabeh, un agriculteur, confiait à Ennahar Tv : « S’il n’y avait pas l’opuntia, nous n’aurions rien à manger, cette culture constitue le seul moyen d’avoir un revenu. Sans elle, les moutons dépériraient ».

Les agriculteurs livrent les figues de Barbarie à la dynamique coopérative locale Nopaltec, dont le chiffre d’affaires atteint 30 millions de DA.

Abdelmalek, un jeune agriculteur, détaillait les pratiques locales : « En hiver, on donne les raquettes aux moutons et en été, on vend les fruits. Les gens viennent de plusieurs wilayas pour s’approvisionner : Tébessa, Khenchela, Oum el Bouaghi, … »

Enthousiaste, il ajoutait : « Cette plante pousse toute seule, il suffit de la planter et pas besoin d’engrais comme pour les autres cultures. »

Co-auteur en 2023 d’une étude sur la coopérative Nopaltec, Nour El Imene Boumali rappelle que la commune est « considérée par les autorités publiques comme l’une des communes les plus pauvres d’Algérie » et à ce titre, elle appartient à ces « zones d’ombre » recensées par les autorités pour bénéficier de programmes spéciaux de développement.

La réussite de Sidi Fredj est telle qu’elle a attiré l’attention de la presse étrangère. En 2019, le quotidien Le Monde titrait : La nouvelle vie d’un village algérien grâce au figuier de Barbarie.

À l’époque, l’agriculteur Fethi Gueldasmi témoignait : « Mon avenir est ici, rien ne sert d’aller à l’étranger ». C’est la culture de l’opuntia qui a revivifié l’activité économique de cette commune située à l’extrême Est de l’Algérie.

Dans la région, grâce à l’aide d’experts mexicains, c’est toute une filière qui s’est développée autour du figuier de Barbarie. Aux usages traditionnels, s’est ajoutée la production de jus, vinaigre, confiture et d’huile à partir des graines.

Avec l’huile d’argan, cette huile est parmi les plus chères au monde. Une huile dont le litre peut atteindre 4.000 euros à l’étranger tant elle est recherchée par l’industrie cosmétique.

L’opuntia est également très présente en Tunisie où le ministère de l’Agriculture recense 600.000 hectares, ce qui met ce pays en deuxième position après le Mexique. Des plantations qui assurent à 150.000 familles tunisiennes un revenu régulier.

En Algérie, les services agricoles font état de 150.000 hectares plantés d’opuntia, notamment dans les régions limitrophes de la Tunisie.

Lorsqu’on demandait au Professeur Aïssa Abdelguerfi, spécialiste des cultures fourragères, de quelle réalisation il était le plus fier, il répondait : « Des plantations d’opuntia dans la région de Souk Ahras ».

Figuiers de Barbarie, infestations de cochenilles au Maroc

Des plantations aujourd’hui menacées par une cochenille qui vit sur les raquettes et se nourrit de sève. Elle développe un duvet cotonneux blanchâtre qui se teinte de rouge vif lorsqu’on écrase du doigt ces insectes.

Au Mexique, la récolte de ces cochenilles est à la base de la fabrication d’un colorant, E120 ou rouge Carmin, utilisé par l’industrie agro-alimentaire.

La cochenille fait preuve d’une fécondité exceptionnelle, ce qui rend sa propagation rapide. Une femelle peut pondre plus de 5.400 œufs, selon un spécialiste tunisien.

Comme l’opuntia, la cochenille est originaire du Mexique. Elle est d’abord apparue au Maroc en 2014, menaçant les 160.000 hectares plantés en figuier de Barbarie du royaume.

Dès 2017, l’Organisation des Nations unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) a alerté la Tunisie et l’Algérie sur le risque de propagation de la cochenille à partir du Maroc.

Dans ce pays, la Fondation Dar Si Hmad s’est montrée particulièrement active pour promouvoir des moyens de lutte : produits phytosanitaires, pulvérisations de savon noir, piégeage des vols de cochenilles mâles.

En 2022, les plantations du royaume étaient à 75 % infestées, selon un responsable local de l’Institut national de recherche agricole (INRA).

La recherche agronomique locale a sélectionné des variétés d’opuntia résistantes à la cochenille et aujourd’hui, ce sont 8 de ces variétés qui sont reproduites en pépinières et diffusées auprès des agriculteurs.

En collaboration avec la FAO, une équipe de scientifiques a également été envoyée au Mexique pour rechercher des insectes ennemis des cochenilles. Et c’est ainsi qu’une espèce de coccinelle (Hyperaspis trifurcata) a été rapatriée au Maroc où elle s’est parfaitement adaptée.

Figuiers de Barbarie, plan d’urgence de la FAO

Une solution qui a convaincu la FAO. Celle-ci a aidé à l’introduction en Tunisie d’une centaine de coccinelles à partir du Maroc.

Actuellement, les deux tiers des surfaces tunisiennes sont infestées de cochenilles, ce qui réduit les exportations du pays des produits issus de la transformation de la figue de barbarie.

Face aux dégâts causés par la cochenille en Tunisie, la FAO a initié en urgence un programme de lutte d’un montant de 500.000 dollars pour tenter de circonscrire ce parasite dans les zones déjà infestées.

Pour l’expert agricole Ridha Bergaoui, le programme local de lutte contre la cochenille est insuffisant. « Trop tard, trop peu, trop lent », note-t-il dans la presse locale malgré les efforts des services agricoles qui ont sélectionné 10 variétés d’opuntia résistantes aux cochenilles.

En Algérie, dès avril 2019, une contribution de la FAO d’un montant de 311.000 dollars a été consacrée à l’élaboration d’une stratégie de développement de l’opuntia en partenariat avec l’INRA. Elle a notamment permis de réfléchir sur les moyens de se prémunir contre les cochenilles.

Ce partenariat a débouché sur un programme d’actions pour valoriser les différents produits de l’opuntia : huile de graines, pulpe, pelures, raquettes à travers le développement de petites entreprises locales.

Des sessions de sensibilisation contre « les maladies et ravageurs transfrontaliers » de l’opuntia ont été organisées à l’intention des services des forêts, de la gendarmerie et des douanes.

Il a également été sélectionné des écotypes nationaux et internationaux pouvant déboucher sur l’homologation future de variétés. La station INRA de Béjaïa a ainsi été choisie pour implanter une collection nationale d’opuntia.

C’est à partir de 2021 que les services de l’Institut National de la Protection des Végétaux (INPV) ont détecté les premiers foyers de cochenilles à Tlemcen, région frontalière du Maroc.

Aujourd’hui, la création par une start-up locale de l’application Sebbar sur téléphonie mobile d’alerte précoce permet à chacun d’identifier à coup sûr ce parasite et de signaler les services de la Protection des Végétaux de l’existence de nouveaux foyers.

La lutte biologique devrait s’organiser autour d’une coccinelle (Cryptolaemus montruozieri) déjà présente en Algérie. Il reste à développer des élevages pour réaliser des lâchers sur les zones infestées.

Figuier de Barbarie, plan de lutte à Tlemcen et Oran

Aujourd’hui, dans la région de Tlemcen, les infestations au niveau de plusieurs foyers sont considérables. Des haies d’opuntia de deux mètres de haut ne sont plus que des amas grisâtres d’où émergent quelque frêles raquettes.

Déjà en 2022, un agriculteur confiait à Ennahar TV : « Cette année, on ne pense rien récolter. Le soir, ces sortes de moustiques sont partout et entrent même dans les maisons. »

En fait, il s’agit du vol nocturne de mâles. Ceux-ci sont si nombreux que des essais ont montré qu’il était possible d’en piéger jusqu’à 500 sur de simples plaques de couleur jaune enduites de colle et éclairées la nuit.

Même spectacle au niveau de la commune de Misserghin (Oran) où plusieurs foyers ont été identifiés. Une commission de wilaya regroupant différents services publics a été mise sur pied pour coordonner les moyens de prévention et de lutte.

Figuier de Barbarie, indispensable pour les populations rurales de l’Est algérien

La lutte contre la cochenille de l’opuntia est devenue un problème maghrébin, chaque pays développe une stratégie de lutte en liaison avec la FAO.

L’infestation des plantations d’opuntia menace aujourd’hui le revenu de nombreuses familles paysannes. Au-delà des mesures de prévention, l’espoir réside dans l’introduction de coccinelles prédatrices et la recherche de variétés locales résistantes. L’occasion d’utiliser la banque de gènes créée ces dernières années.

Combattre la cochenille nécessitera des moyens matériels et humains. En juin 2022, l’INRA notait dans un premier bilan que la stratégie de lutte « nécessitera la mobilisation de ressources ».

À Sidi Fredj, Ahmed se plaint du manque d’aide de la part des pouvoirs publics : « Nous n’avons reçu aucune aide de la part de l’État ».

Pour Ali Daoudi, enseignant-chercheur à l’École Nationale Supérieure d’Agronomie qui s’exprimait récemment sur la Radio Algérienne, il s’agit de « mettre le paquet » sur l’aide à l’agriculture pluviale où, selon lui, des niches de productivité existent et qui concernent des franges importantes des populations rurales.

Quel avenir pour l’agriculteur Fethi Gueldasmi de Sidi Fredj au cas où, comme en Tunisie, ses plantations d’opuntia venaient à être décimées par la cochenille ?

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