Société

Algérie : des pluies qui dévoilent un problème plus grave que la sécheresse

Il pleut en Algérie. Il pleut au nord, à l’ouest et même dans le grand sud comme à Tamanrasset. Après des mois de sécheresse, chacun s’extasie devant ces pluies salvatrices, qui dévoilent toutefois, un problème aussi grave que la sécheresse qui est l’érosion des terres arables.

Mais ce flot amène également son lot d’inconvénients telles ces drames à Tébessa où trois adolescents de 16 ans ont été emportés par les eaux, et les inondations dont ont eu à souffrir plusieurs localités.

Ces derniers jours l’eau est partout en Algérie. Dans les régions céréalières de l’intérieur du pays, les champs se teintent de vert suite à la germination des grains de blé laissés au sol après les engins de récolte.

À Nâama, là où dans un paysage martien, il y a quelques mois les brebis grattaient de leur sabot le sol autour de plantes desséchées, la végétation repousse.

Dans l’extrême sud à la frontière du Mali et du Niger, les paysages prennent un air de petite Suisse. Le sol est recouvert du vert tendre d’une végétation nouvelle aujourd’hui broutée par les animaux d’élevage.

Jusqu’aux barrages où la terre craquelée laisse place progressivement à l’eau qui revient. Dans la wilaya de Tiaret, le lac du barrage de Bekhedda se reforme. Certes, les quantités d’eau emmagasinées restent encore modestes comme en attestent les traces sur les berges et le niveau le plus haut atteint les années fastes.

À sec dès le printemps dernier, le barrage n’avait plus assuré l’alimentation en eau du chef-lieu de wilaya et des travaux de transfert avaient dû être engagés en urgence

À Béchar, le lac du barrage de Djorf Torba se reforme. Certes sans ses poissons, tous morts suite au manque d’eau. L’oued Guir et ses affluents se sont montrés généreux. L’eau arrive malgré le barrage de Kadoussa nouvellement construit en travers de son lit dans sa partie marocaine.

Partout une eau boueuse

Partout les curieux se rassemblent au bord des oueds pour voir passer les flots tumultueux. Parfois, les curieux arrivés les premiers peuvent assister à cet étrange spectacle du début de crue.

Une langue d’eau informe charriant de la terre et mille objets divers progresse lentement dans le lit de l’oued à la recherche d’un passage, se frayant un chemin entre les berges desséchées et les buissons.

Mais partout, c’est une eau boueuse qu’on peut voir. Les gouttes de pluies tombées avec violence sur un sol nu et non protégé par la végétation ont arraché des particules de terre. De minuscules filets d’eau se créent alors et, renforcés par d’autres, créent alors des ruisseaux qui dévalent les pentes en creusant le sol laissant des ravines.

En absence d’une végétation qui couvre le sol et absorbe l’eau à l’image d’une éponge, la force de la lame d’eau est telle qu’elle provoque l’effondrement des berges des oueds en crue emportant des tonnes de terre qui entraine l’envasement des barrages.

Partout en Algérie, sous l’effet des pluies, la terre nourricière est attaquée par l’écoulement de l’eau que rien ne vient freiner.

Sur les réseaux sociaux fleurissent les témoignages de rues inondées ou transformées en torrent.

Hydrologie régénérative

À l’étranger, une nouvelle science est apparue : l’hydrologie régénérative qui vise à corriger les atteintes au cycle naturel de l’eau.

Comme l’explique au cours de ses conférences l’hydrologue française Emma Haziza : « On voit partout une dégradation massive des terres avec des conséquences sur le cycle de l’eau ».

Une observation dont elle explique les conséquences : « Si l’on perd cet apport et que les sols ne retiennent plus et ne permettent plus le déroulement de ce cycle, vous perdez la capacité des continents à conserver cette eau qui finit dans l’atmosphère et les océans ». Une eau perdue et que l’on retrouve « en précipitations diluviennes ».

Aujourd’hui, il semble que chacun compte sur la seule action de la puissance publique pour gérer les eaux pluviales que ce soit en milieu urbain ou dans les campagnes.

L’Algérie est pourtant riche en ce type de traditions que ce soit dans le M’zab avec les « hbass », ces digues-barrages de dérivation en travers des oueds ou ces digues plus sommaires en terre que dressent les éleveurs de moutons en milieu steppique et qui permettent l’épandage des crues. Des traditions millénaires qui semblent oubliées.

Aujourd’hui, nombreux sont les agriculteurs qui s’en remettent à la puissance publique et réclament à cor et à cri la création de barrages collinaires.

Petite hydraulique

Pour sa part, l’hydrogéologue Malek Abdesselam du Laboratoire des eaux de l’université de Tizi Ouzou insiste sur la petite hydraulique et la nécessité de créer des obstacles en travers du lit des oueds : « Ce type de digue, par ailleurs perméable, peut être submergé et même emporté sans conséquences particulières en amont et en aval. Les objectifs du barrage-digue sont multiples : augmenter la réserve d’eau de surface, orienter les écoulements, favoriser et provoquer l’infiltration des eaux, relever le niveau des nappes, rectifier le profil du cours d’eau, protéger les berges, piéger les sédiments et agrégats, créer des zones humides, etc », confiait-il en 2022 au quotidien El Watan.

De son côté, l’association écologique Torba contribue à la vulgarisation auprès des petits agriculteurs en zone de montagne à la création le long des courbes de niveau de baissières ou fossés. Ces ouvrages creusés à la main ou à l’aide d’un rétrochargeur favorisent l’infiltration des eaux de pluie dans le sol et ainsi contribuent à la recharge des nappes d’eau souterraines.

Les récents épisodes de sécheresse suivis d’abondantes précipitations interpellent. Ces phénomènes sont liés au changement climatique qui affecte l’Algérie et appellent à de nouvelles pratiques de gestion des flux d’eau à différentes échelles. Une gestion à laquelle chacun, qu’il vive en milieu urbain ou rural, peut participer à sa mesure.

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