Djamel Eddine Bouabdallah est le président du cercle de commerce et d’industrie algéro-espagnol (CCIAE). Il revient dans cet entretien sur la situation des relations commerciales entre l’Algérie et l’Espagne et l’impact du gel des échanges commerciaux entre les deux pays sur les entreprises algériennes.
Près de quatre mois après l’annonce du gel des échanges commerciaux entre l’Algérie et l’Espagne, quelle est la situation des relations commerciales entre les deux pays ?
Depuis le 8 juin, il n’y a pas d’échanges entre les deux pays, hormis le gaz et le pétrole. En 2021, les échanges entre l’Algérie et l’Espagne s’élevaient à 7 milliards de dollars environ. Du côté espagnol, ils importaient essentiellement du gaz et du pétrole et quelques produits dérivés et des matières semi-finies.
Tandis que l’Algérie importait essentiellement d’Espagne de la matière première et intermédiaire, des pièces de rechange, quelques taurillons d’engraissement et des quantités dérisoires de produits alimentaires. En 2021, nous avons importé pour 2,8 / 2,9 milliards d’euros d’Espagne.
Mais il faut dire qu’avant même l’adoption, au mois de juin dernier, de la mesure relative au gel des échanges commerciaux entre les deux pays, les importations algériennes d’Espagne avaient été affectées par les politiques de l’Etat, et notamment par les politiques de protectionnisme actionnée par l’Algérie à la fin de l’année 2021 et au début de l’année 2022.
Hormis le gaz, depuis le 8 juin, il n’y a absolument aucun échange entre les deux pays. Depuis cette date, je n’ai pas eu connaissance d’une personne qui a réussi à domicilier sa facture, si ce n’est quelques importateurs dont les marchandises étaient déjà en mer. La situation de certains a été régularisée mais d’autres en souffrent toujours.
Quel est l’impact du gel des relations commerciales entre l’Algérie et l’Espagne sur les entreprises algériennes ?
Les entreprises les plus pénalisées sont les PME algériennes industrielles, notamment les PME de céramique qui importaient leurs matières premières essentiellement d’Espagne, et notamment de la région Castellón (région spécialisée dans la céramique).
J’ai eu l’occasion d’échanger avec des industriels de cette branche. Le gel des échanges commerciaux entre les deux pays leur pose un véritable problème. Le rapport qualité/prix avec les fournisseurs espagnols était tellement bon qu’il est impensable pour eux d’envisager d’avoir recours à des fournisseurs d’autres pays, que ce soient les Italiens, les Français ou les Turques.
Idem pour l’industrie du papier, qui a été fortement impactée, étant donné qu’on importait beaucoup de matières, et notamment la pâte à papier qui provenait d’Espagne.
Mais le secteur qui a été le plus touché est incontestablement celui de la pièce de rechange, pour toutes les catégories de produits et tous les secteurs confondus.
A cela s’ajoutent des usines de dessalement d’eau, dont la maintenance était tenue par des entreprises espagnoles, qui faisaient même l’approvisionnement en produits chimiques et qui ont donc été inévitablement touchées par cette mesure.
Nous avions, dans une certaine mesure, une économie interconnectée avec l’Espagne, dirigée essentiellement vers le secteur industriel.
Les grands perdants de la suspension du traité algéro-espagnol semblent être les entreprises espagnoles, leur gouvernement n’a toutefois pas pris en compte cette donne pour apporter son soutien au plan d’autonomie du Sahara occidental. Comment l’expliquez-vous ?
Le gouvernement espagnol ne voit pas les chiffres de la même manière que les entreprises. Il voit que l’Espagne exporte pour 300 milliards d’euros, dont 2,8 uniquement pour l’Algérie. Ce n’est même pas 1 % du total de leurs exportations. C’est comme ça que le gouvernement espagnol voit les choses.
La décision politique n’aurait pu être affectée que si le montant des exportations de ce pays vers l’Algérie était plus important.
Mais il est clair que des entreprises espagnoles ayant des intérêts directs avec l’Algérie ont beaucoup perdu. Il doit en avoir au moins 600 ou 700 entreprises. Pour ces entreprises, le marché algérien est important.
Le ministre espagnol des Affaires étrangères a évoqué récemment un retour à la normale entre les deux pays dans le domaine commercial. Qu’en est-il réellement ?
Je ne sais pas à quoi il a fait référence. Jusqu’à présent, en Algérie, on n’a toujours pas autorisé les banques à domicilier les factures d’importation d’Espagne. Peut-être qu’il y a actuellement des discussions, mais je ne sais vraiment pas à quoi il a fait allusion.
Depuis le discours du chef du gouvernement espagnol Pedro Sánchez à l’ONU, il y a un certain apaisement. Peut-être qu’il y a actuellement des négociations et qu’ils annonceront du nouveau dans quelques jours. Je l’espère en tout cas.
J’aimerais bien croire à ce que dit ce ministre. Mais pour l’instant, je suis en contact avec certaines banques, et elles me confirment qu’elles ne sont toujours pas autorisées à domicilier les factures. Et même si certains arrivent à domicilier des factures, ils sont vite rattrapés par les Douanes et l’Algex (Agence nationale de promotion du commerce extérieur).
Vous pouvez donc confirmer qu’il n’y a vraiment aucun échange entre les deux pays actuellement ?
Concrètement, les exportations vers l’Espagne se résument aujourd’hui aux exportations de pétrole et de gaz et aux opérations de shipping et de fret. C’est un secteur à part régi par une réglementation internationale qui n’est pas concernée par les problèmes de domiciliation.
Y a-t-il des entreprises espagnoles qui ont quitté l’Algérie ?
Depuis 2014, avec la baisse du prix des hydrocarbures, de nombreuses sociétés espagnoles ont quitté l’Algérie, majoritairement celles qui activaient dans les projets de réalisation. Il y avait de moins en moins de projets en Algérie. Elles ont donc plié bagages.
Mais pour ce qui est des sociétés industrielles, elles sont toujours là. Il n’y a pas eu, à ma connaissance, de départ massif de ces entreprises.
Celles qui sont parties sont essentiellement celles du domaine de l’infrastructure de base. De nombreuses entreprises de cette branche sont parties à défaut de projets.
Les choses se sont accélérées en 2019 avec la baisse du budget d’équipement. Depuis juin dernier, il n’y a plus de participation d’entreprises espagnoles dans des avis d’appel d’offres lancés par l’Algérie.
En principe, elles ne sont pas touchées par le blocage mais comme il y a des transferts, on déduit qu’elles sont exclues des appels d’offres. Elles n’ont pas le droit aux transferts, il n’y a pas d’échanges, même dans les marchés publics. On en déduit que ces entreprises sont exclues des appels d’offres.
Il n’y a eu aucune tentative d’une entreprise espagnole de rentrer dans un projet en Algérie depuis juin.