Boualem Sansal, Kamel Daoud, Sahara occidental, mémoire, commerce, accord de 1968, immigration…La liste des contentieux entre l’Algérie et la France continue de s’allonger.
Déjà assez compliquée depuis l’été dernier, la relation Algérie-France est partie pour se dégrader davantage avec cette affaire Boualem Sansal. L’écrivain algérien, naturalisé français depuis peu, est arrêté en Algérie pour avoir tenu des propos jugés graves et attentatoires à son intégrité territoriale. Une affaire qui s’ajoute aux autres épisodes qui ont contribué à crisper les rapports entre Alger et Paris ces derniers mois.
Depuis quelques années, les deux pays ont alterné le bon et le moins bon dans leur relation, marquée par trois crises majeures et autant de rappels de l’ambassadeur d’Algérie à Paris, mais aussi par une lune de miel ponctuée par une visite “très réussie” du président Emmanuel Macron à Alger en août 2022 et une volonté affichée de part et d’autre de crever une fois pour toutes l’abcès du litige mémoriel.
1- Sahara occidental : la France s’aligne sur le Maroc
La crise en cours est bien plus grave que les précédentes. A l’origine, la décision du président français de franchir le pas le 31 juillet 2024 de la reconnaissance par la France de “la souveraineté marocaine” sur le Sahara occidental. Alger a répliqué en procédant au retrait de son ambassadeur en France. Le poste est, depuis, resté vacant. Il était évident que la crise cette fois n’est pas un orage d’été passager.
Et pour ne rien arranger, Emmanuel Macron est allé fin octobre à Rabat sceller sa réconciliation avec Mohamed VI, sur le dos de la question sahraouie et de la relation avec l’Algérie.
Les propos tenus par le président français dans la solennité du parlement marocain, réitérant avec force son alignement inconditionnel sur toutes les thèses du royaume, étaient aussi un message pas difficile à déchiffrer, destiné aux autorités algériennes. Macron a signifié qu’il a fait un choix irréversible, advienne que pourra de la relation franco-algérienne.
Les gestes mémoriels qu’il a continué à annoncer “au goutte à goutte”, ne pouvaient évidemment pas peser lourd dans la balance, comme sa reconnaissance, le 1er novembre, que Larbi Ben M’hidi a été “assassiné par des militaires français” sous le commandement du général Paul Aussaresses.
L’annonce a été accueillie par un silence froid à Alger, de même que la gerbe de fleurs déposée par l’ambassadeur Stéphane Romatet, le 19 novembre, sur la tombe du héros national algérien au carré des martyrs du cimetière d’El Alia à Alger.
2- Affaire Kamel Daoud : de quoi s’agit-il ?
Le 4 novembre, l’écrivain algérien Kamel Daoud, lui aussi naturalisé français depuis peu, a reçu le prix Goncourt.
Kamel Daoud a été primé pour son roman intitulé Houris et ayant comme trame de fond la tragédie algérienne des années 1990. C’est la première fois qu’un écrivain algérien reçoit le prix le plus prestigieux de la littérature francophone, mais la nouvelle n’a pas été accueillie avec enthousiasme par le gouvernement algérien.
Kamel Daoud, proche du président Macron qu’il a interviewé en janvier 2023 pour le magazine Le Point, déborde depuis quelques années de sa dénonciation de l’islamisme pour assumer publiquement des positions qui heurtent en Algérie, y compris sur le litige mémoriel et la question palestinienne.
À Alger, des commentateurs ont lié le choix du jury du Goncourt à la crise en cours entre l’Algérie et la France, du moins aux positions connues de l’écrivain par rapport à la question palestinienne en pleine guerre à Gaza.
Vendredi 15 novembre, une femme est montée au créneau pour accuser Kamel Daoud d’avoir raconté dans Houris son histoire à elle, sans son consentement. La femme, c’est Saada Arbane qui a survécu à un massacre terroriste perpétré à la fin des années 1990 dans la région de Tiaret. Elle a été suivie par l’épouse de Kamel Daoud, psychiatre.
Deux plaintes sont déposées à Oran contre l’écrivain, une par la rescapée du terrorisme et une autre au nom de “toutes les victimes du terrorisme et les familles des disparus”, selon l’avocate Fatma-Zohra Benbraham. L’écrivain tombe, selon l’avocate, sous le coup de l’article 46 de la charte pour la paix et la réconciliation nationale de 2005 qui qui punit “quiconque qui, par ses déclarations, écrits ou tout autre acte, utilise ou instrumentalise les blessures de la tragédie nationale, pour porter atteinte aux institutions, fragiliser l’État, nuire à l’honorabilité de ses agents qui l’ont dignement servi, ou ternir l’image de l’Algérie sur le plan international”.
La peine encourue est un emprisonnement de trois à cinq ans et une amende de 250 000 m à 500 000 DA.
Kamel Daoud est soutenu en France par son éditeur François Gallimard qui a donné un cachet politique à l’affaire en désignant du doigt les autorités algériennes.
3- Boualem Sansal : le grave dérapage
Alors que l’affaire Kamel Daoud vient de commencer, une autre affaire plus complexe et plus sensible a éclaté. C’est celle de Boualem Sansal qui a été arrêté en Algérie. Aussitôt, la nouvelle de son arrestation connue, une grande partie de la classe politique française est montée au créneau pour le soutenir et réclamer sa libération.
L’extrême-droite s’est particulièrement acharnée contre l’Algérie, ce qui illustre le statut de Boualem Sansal au sein de cette mouvance. L’écrivain algérien est connu pour ses critiques contre l’islam et les musulmans.
L’écrivain s’est rendu la semaine passée en Algérie et il a été arrêté par les services de sécurité à son arrivée. Dans une précédente interview au média français d’extrême droite Frontières, il avait gravement dérapé en s’improvisant comme historien. Il a soutenu que toute la partie ouest de l’Algérie appartenait au Maroc pendant la colonisation.
Sans même le contexte régional que l’on sait, de tels propos ne pouvaient pas passer sans réaction ferme de l’Algérie.
Cette affaire risque d’aggraver la crise entre Alger et Paris. En France, de nombreuses personnalités politiques et médiatiques, notamment de l’extrême-droite ou proches de ce courant, ont exprimé leur solidarité avec l’écrivain, mettant de nouveau une forte pression sur le président Macron.
Certains ont employé un ton menaçant, comme ce député du Rassemblement national (RN) qui a estimé que la France devra réagir de manière “foudroyante” si les autorités algériennes touchent à “un seul cheveu” de Boualem Sansal.
La teneur de la dépêche diffusée vendredi soir par l’agence de presse officielle algérienne donne un avant-goût de ce que sera la suite de cette autre crise dans la crise. À Alger, il semble que cette affaire Sansal est perçue comme une autre expression de la détermination de la droite dure et de l’extrême-droite à pousser les deux pays à la rupture.
Cette même extrême-droite qui pousse depuis des années à la rupture des relations entre l’Algérie et la France, en agitant pêle-mêle les contentieux liés à la mémoire, à l’accord de 1968, à la lutte contre l’immigration et récemment au commerce.