Arnaud Montebourg, ancien ministre français de l’Economie (mai 2012 – août 2014) et président de l’Association France – Algérie fait partie de la délégation qui accompagne le président Emmanuel Macron lors de la visite de travail de trois jours en Algérie (25, 26 et 27 août).
TSA. Comment se déroule la visite du président Macron en Algérie ?
Arnaud Montebourg : C’est une visite importante parce que la France et l’Algérie parlent enfin d’avenir et d’intérêts communs : comment affronter le chaos économique mondial qui se dessine à l’horizon, comment surmonter l’impératif écologique qui angoisse socialement aujourd’hui par l’inflation les populations, comment éviter de se faire prendre dans la confrontation des empires et des blocs.
« La question mémorielle doit être traitée, mais… »
Nous avons des intérêts communs pour affronter ensemble le monde tel qu’il devient. Les deux présidents, Français et Algérien, se projettent vers l’avenir, envisagent des projets concrets et communs et qui contribuent à unir nos deux peuples. C’est très positif.
TSA. La question mémorielle empoisonne les relations entre l’Algérie et la France. Comment la traiter ?
La question mémorielle doit être traitée, mais elle ne doit nullement entraver le développement des relations entre les deux pays. Les Algériens comme les Français doivent regarder l’histoire en face, sans être empêchés d’agir sur le futur.
C’est comme si dans notre relation avec l’Allemagne, nous étions encore à faire le procès des trois invasions que nous avons subies, alors que nous sommes aujourd’hui le premier partenaire économique de l’Allemagne, avec qui nous échangeons 160 milliards d’euros.
A comparer avec les échanges entre la France et l’Algérie, réduits à 7 milliards d’euros ; nous avons perdu beaucoup de temps à nous chamailler sur le passé. Enfin, nous nous mettons à tricoter ensemble l’avenir.
TSA. Est-ce que c’est la question mémorielle qui empêche l’Algérie et la France de développer leurs relations ?
Arnaud Montebourg : L’Algérie est suffisamment forte pour se réconcilier maintenant avec tous ses enfants, et ils sont nombreux en France à l’aimer.
C’est le moment de se donner la main et de construire une belle alliance durable. Nous avons intérêt à nous rapprocher parce que tout simplement nous avons des intérêts communs.
Il y a un pont humain entre nos deux sociétés, une relation fraternelle, un désir de travailler ensemble et de nous unir.
Lors des rencontres que j’ai eues avec nos amis algériens, j’ai défendu l’idée de l’accroissement de notre partenariat dans tous les secteurs, avec une concrétisation des projets.
Les Algériens doivent pouvoir investir et s’investir en France tout comme les Français doivent investir et s’investir humainement en Algérie.
TSA. Quand vous étiez ministre de l’économie, vous aviez lancé le concept de colocalisation pour développer des investissements croisés entre les deux pays. Ce projet n’a pas trop avancé ….
Arnaud Montebourg : Les projets que nous avons engagés ont produit leurs effets attendus. Les entreprises rachetées en France par des investisseurs algériens se sont développées, et ont permis la création d’usines et d’emplois en Algérie.
« Tout le monde sait que la colonisation était une erreur historique »
Nous connaissons le succès des projets que Cevital a engagés en France. Les installations qu’il a implantées en Algérie ont été complémentaires des investissements qu’il a réalisés en France.
Cette alliance économique des deux rives a donné une force extraordinaire à ces entreprises. Ces projets de colocalisation doivent donc à mon sens se poursuivre et s’amplifier. Nous avons été pionniers, maintenant il faut que nous allions beaucoup plus loin et soyons encore plus volontaires.
TSA. Sur la question mémorielle, l’Algérie réclame des excuses sur la période coloniale, mais la France refuse. Comment peut-on regarder l’avenir tout en tenant compte du passé ?
Arnaud Montebourg : La question des excuses sur la période coloniale me paraît inutile et sans effets. Ceux qui ont été à l’origine de cette tragédie qui a déchiré des familles et détruit des destins ne sont plus aujourd’hui, pour la plupart, en situation de s’exprimer.
En revanche, la reconnaissance, la compréhension et la connaissance, a des vertus pédagogiques.
Tout le monde sait que la colonisation était une erreur historique. Elle a été condamnée par l’Histoire. La France l’a dit à plusieurs reprises. Le sujet c’est qu’on accepte de reconnaître comment les choses se sont passées.
Le rapport Stora est une pierre intéressante dans cette évolution. Il y a la décision prise par les deux présidents Français et Algériens d’une commission bipartite d’historiens des deux côtés. C’est une bonne nouvelle. Ses travaux pourraient enfin faire autorité en Algérie et en France.
TSA. La diaspora algérienne en France est fortement présente dans la délégation accompagnant le président Macron en Algérie. Pourquoi ?
Arnaud Montebourg : Les mélanges populaires par les mariages, l’amour, les enfants, l’immigration sont une richesse pour nos deux pays.
J’en suis comme des millions de Français un produit et en ressens une très grande fierté. Ils permettent à l’Algérie et à la France d’avoir une solidité humaine par-delà les décisions ou les mésententes politiques des deux gouvernements.
Il y a ce pont humain qui existe entre la France et l’Algérie et qui fait vivre la force de la relation. Les entrepreneurs, les universitaires, les artistes d’origine algérienne, qui vivent en France et qui n’ont pas oublié leurs origines, sont une richesse pour la relation commune. Il faut s’appuyer sur cette richesse pour faire fructifier le futur relationnel des deux pays.
Vous avez toujours renvoyé dos à dos les extrémistes en Algérie et en France qui font tout pour maintenir les tensions entre les deux pays…
De part et d’autre, il y a des extrémistes. Le ministre (El Hachemi Djaaboub, NDR) qui a déclaré (en avril 2021, NDR) que la France était un « l’ennemie traditionnelle et éternelle de l’Algérie » sans avoir été démenti, est un extrémiste.
Il a commis une faute contre l’histoire, la géographie et l’avenir.
« Je suis un militant de l’union des pays du Maghreb. »
De même, les nostalgiques de l’Algérie française en France qui existent et qui voudraient rouvrir en permanence la querelle.
Ils ont des alliés en Algérie qui voudraient entretenir éternellement la querelle. Cela ne sert à rien. Et c’est exactement le contraire de ce qu’il faut faire.
TSA. Comment l’Algérie et la France peuvent-elles coopérer en Afrique ?
Arnaud Montebourg : Sur les questions de la sécurité au Sahel, il y a déjà une coopération. J’aimerais que nous puissions nous projeter sur le développement de l’Afrique.
Je suis un militant de l’union des pays du Maghreb. Les querelles entre les pays maghrébins les desservent et affaiblissent la force avec laquelle nous pourrions développer et construire le futur de l’Afrique.
Quand le Maroc et l’Algérie se querellent, c’est deux points de croissance en moins pour les deux peuples. Quand ils ne travaillent pas ensemble, ils perdent de la capacité à agir.
Il faut tourner les pages, unifier les trois pays du Maghreb, travailler ensemble avec la France à une action en Afrique orientée davantage sur le développement que sur les opérations militaires extérieures.
TSA. En Algérie, on reproche souvent aux entreprises françaises leur frilosité à investir dans le pays. On leur reproche de quitter le pays dès qu’il y a un problème. Pourquoi cette frilosité des investisseurs français à l’égard du marché algérien ?
Arnaud Montebourg : Je suis le ministre qui a installé l’usine Renault à Oran. On s’était tous engagés pour que l’Algérie devienne une nation de fabrication automobile et ce, en relocalisant notamment les productions Renault comme la Symbol de Turquie vers l’Algérie.
« C’est la principale raison de la raréfaction des visas. »
Les entreprises françaises ne veulent pas partir, au contraire, elles veulent se développer en Algérie. Je peux citer Total, Engie, Lesieur, Sanofi qui ont tous investi en Algérie et qui sont très contents de l’avoir fait.
Il faut sécuriser juridiquement les investissements et soutenir le tissu de PME. Le gouvernement Algérien a la responsabilité de faire évoluer son droit comme partout dans le monde et de se mettre aux standards internationaux, ce qu’il a commencé à faire.
TSA. Au départ, le projet d’Oran visait donc une relocalisation en Algérie d’une partie de la production de Renault en Turquie…
Arnaud Montebourg : Au départ, le projet était de délocaliser la fabrication de la Symbol de Bursa en Turquie à Oran en Algérie.
TSA. Sur la question de visas, le président Macron a parlé jeudi de la « mobilité choisie ». De quoi s’agit-il ?
Arnaud Montebourg : La question des visas est un dossier difficile. Il y a quelques milliers d’Algériens, dont des individus dangereux, qui sont frappés d’obligation de quitter le territoire français, mais le gouvernement algérien ne délivre pas suffisamment de laissez-passer consulaires pour les rapatrier.
« Je défends donc une immigration économique choisie. »
C’est la principale raison de la raréfaction des visas. C’est un point de difficulté, sur lequel il y a un contentieux et des discussions entre les deux pays.
Pour n’importe quel gouvernement, Français ou pas, il n’est pas possible qu’il puisse être admis qu’un étranger qui entre dans le pays puisse y rester après avoir commis des infractions pénales. C’est une question de principe.
Mais quel est le tort des autres demandeurs dans le comportement des clandestins algériens en France et du refus du gouvernement algérien de les rapatrier ?
Arnaud Montebourg : Le gouvernement algérien a des responsabilités et le gouvernement français a peu de moyens entre ses mains. Il y a des difficultés sur ce dossier-là, et il faut trouver des solutions de part et d’autre par le dialogue.
Le visa, ce n’est pas un projet de vie, comme l’ont dit de grandes voix. En France, nous avons des problèmes migratoires et d’intégration. Difficulté de trouver un logement, difficulté dans l’éducation, difficulté à trouver un travail.
C’est un droit pour chaque Nation de choisir qui elle souhaite accueillir sur son territoire. S’agissant de « la mobilité choisie » expression du Président Macron, cela veut dire que la France veut choisir les personnes qu’elle veut accueillir. Nous avons besoin d’un certain nombre de compétences, d’apports et de populations. Nous ne sommes pas opposés à l’immigration économique. Nous l’avons toujours pratiquée.
Ce serait de bonne politique de la reprendre en faisant un sujet d’acceptation commune. Il nous manque beaucoup de bras dans l’industrie, l’agriculture, les travaux publics. Je défends donc une immigration économique choisie.