Yazid Sabeg est un Français né à Guelma. Il a été commissaire à la diversité et à l’égalité des chances sous la présidence de Nicolas Sarkozy de 2008 à 2012. Il revient dans cet entretien sur les relations entre l’Algérie et la France, l’image de l’Algérie vue de l’extérieur et les défis de l’Algérie pour améliorer son climat des affaires.
L’économie mondiale a été fortement impactée par la pandémie de covid-19. Peut-on considérer que le plus dur est passé ?
La planète vit un moment historique, tragique et inédit qui la fait plonger dans une période pleine d’inconnus. La calamite sanitaire et la crise économique et sociale qui va la suivre affectent tous les pays de la planète, avec des impacts différents selon qu’ils soient riches ou pauvres, plus ou moins peuplés.
En tout cas nous savons que cette crise a déjà coûté beaucoup d’argent à tous et que la résilience des nations a été mise à rude épreuve, tout comme la capacité de la plupart d’entre elles à la surmonter, notamment sur le plan de la dette. En outre, dans un contexte où les prix des matières premières se sont beaucoup dégradés, il y a des pays en développement qui seront beaucoup plus touchés et durablement.
On ne sait donc pas encore comment ces événements vont être surmontés. Leurs effets instantanés et généralisés ont provoqué une sidération considérable qui a annihilé les opinions et induit une panique tout aussi générale. Surtout, je crois que ces situations vont persister et que ce n’est pas terminé.
La situation de l’Inde, du Brésil et des pays asiatiques qui connaissent un rebond et une aggravation de l’épidémie est cataclysmique, presque. C’est vraiment une grande période d’inconnu, de désespoir et d’impuissance.
Il faut aussi un rappel à l’ordre : seuls les pays qui disposent de capacités de production ou d’achats massifs des médicaments et des vaccins et qui peuvent se servir en priorité pourront s’en sortir. Ceux qui ne bénéficient pas d’une telle capacité souveraine, ceux-là vont beaucoup souffrir et rester à la traîne, à la merci d’une charité mondiale par définition bien ordonnée.
Un autre des grands enseignements des douze derniers mois que nous venons tous de vivre, est qu’il va falloir que le monde se dote impérativement de capacités vaccinales et médicamenteuses suffisantes pour que tout le monde soit partout protégé et traité de façon équitable.
Ajoutons que la protection sanitaire et la santé publique sont devenues des questions primordiales au sommet de l’agenda des responsables politiques du monde entier. La débâcle actuelle dans ces deux domaines est devenue difficilement supportable pour les populations.
« On ne peut pas jouer avec la vie des gens et improviser dans la dépendance »
L’Algérie peut-elle installer une usine de production de vaccins ?
L’industrie du vaccin et sa filière technologique est un sujet complexe. Il faut beaucoup de technologies et de savoir-faire pour acquérir les savoirs faire et maîtriser les process. Mais il y a un espoir. Au sein de l’OMC, un mouvement initié par l’Inde – premier fabricant mondial de vaccins – très intéressant, est en train de se dessiner et vient de recevoir l’appui inattendu des États-Unis, l’Algérie devrait d’ailleurs le soutenir.
C’est la levée de la protection de la propriété intellectuelle (les brevets) pour permettre l’accès libre et gratuit aux souches et technologies vaccinales (notamment la technologie ARN).
Il faut que les pays puissent, pour ce faire, se doter des capacités industrielles spécifiques pour fabriquer rapidement les vaccins dont nous tous avons le plus urgent besoin. Cette évolution est d’autant plus nécessaire que nous savons d’ores et déjà que les vaccins actuels ne protègent pas de toutes les formes du virus.
Et puis même avec la réalisation – à une échéance non déterminée à ce jour- de la vaccination de 80 % d’une population, la fameuse immunité collective, c’est une course en avant qui ne fait que commencer. Il va en effet falloir que soient mis au point rapidement de nouveaux vaccins pour les variants au cours des prochaines années.
Il faudra également disposer de ces capacités de production importantes pour longtemps, parce que des rappels fréquents devront être administrés, on parle de 18 mois, voire un an même pour certaines souches. La question des capacités de production industrielle est donc primordiale.
La souveraineté vaccinale est donc devenue un impératif en raison du caractère quasi endémique de la maladie.
Je pense que l’Afrique du Nord est l’échelle opérationnelle pertinente pour mobiliser les ressources et les volontés pour se concerter et construire une ou deux usines de vaccins et de médicaments rares, pour protéger les populations et pour soigner les maladies qui sont les conséquences du virus. Une telle initiative n’a de chance de réussir que dans ce cadre, car un tel objectif n’est pas à la portée d’un seul État.
En tout état de cause, il faut que les pays du Maghreb qui comportent une population de plus de 100 millions de personnes (140 si leur sont adjoints les pays du Sahel) aient rapidement un accès massif et souverain aux technologies vaccinales et à leurs technologies de production.
Sachez que contrairement aux assertions des laboratoires pharmaceutiques et de certains pays, il est tout à fait possible de déployer très rapidement de telles capacités de production vaccinale, et il faut le faire d’urgence. Comme industriel responsable, j’affirme que nous sommes en mesure de répondre à ce défi.
C’est, je le répète, une responsabilité historique de discuter ce projet à l’échelle du Maghreb. Plusieurs pays doivent s’entendre, car c’est à la fois un enjeu géopolitique et de santé publique. On ne peut pas jouer avec la vie des gens et improviser dans la dépendance. Il faut que les États se concertent vite pour disposer d’instruments de souveraineté pour répondre vite et efficacement à ce type de crise.
« L’Algérie importe énormément, et ne produit pas suffisamment »
Vous êtes un industriel et un politique engagé, français d’origine algérienne, vous suivez donc sans doute la situation interne de l’Algérie. Au plan économique, comment est perçue l’Algérie de l’extérieur ?
L’Algérie est un grand pays qui bénéficie d’atouts nombreux et qui devrait disposer d’une économie plutôt puissante avec un certain nombre d’avantages comparatifs, le principal, et l’un des moindres, étant l’énergie. En outre, sa jeune population est plutôt bien formée pour affronter les défis scientifiques et technologiques pour le développement des prochaines décennies.
Mais c’est aussi et malheureusement un pays qui est fortement affecté par les évolutions des prix de l’énergie, sa principale ressource de revenus, et sa consommation d’énergie elle-même n’est pas maîtrisée. En effet, si l’Algérie produit beaucoup d’énergie, elle en gaspille aussi beaucoup. Ensuite, c’est un pays qui n’a pas assuré l’après-pétrole et on ne voit pas très bien quelle est sa vision pour cette phase de son histoire. Comment s’assurer une certaine prospérité et rétablir certains équilibres économiques et sociaux lorsqu’il y aura moins de pétrole ? C’est une évolution inévitable que l’on a du mal à anticiper.
Enfin, l’Algérie souffre de profondes désarticulations et d’une faiblesse de ses investissements conjugués au chômage et à l’appauvrissement d’une population croissante qui en résulte. L’Algérie importe énormément, et ne produit pas suffisamment notamment de produits agricoles. Elle n’a pas d’autosatisfaction au plan alimentaire. C’est des faiblesses structurelles insupportables à long terme. Ce sont aussi des contraintes importantes qui constituent des handicaps insurmontables pour le futur, si elles ne sont pas maîtrisées rapidement.
« L’Algérie doit créer des conditions d’attractivité »
Y a-t-il selon vous un cap économique clair et efficace qui se dégage plus d’une année après l’élection du président Tebboune ?
Je ne suis pas un observateur avisé de la situation politique algérienne. J’observe néanmoins que l’Algérie vit une transition politique et une crise démocratique qui se traduit par une contestation de masse. Cette transition en cours n’est pas claire quant à son issue et la crise sanitaire doublée d’une crise financière n’arrange pas les choses et affecte toute lisibilité.
Finalement, ces processus d’adaptation en cours en Algérie ont été mis entre parenthèses à cause de la crise sanitaire que l’Algérie, comme la plupart des pays, a beaucoup de mal à maîtriser. Elle ne dispose pas de capacités vaccinales, son système de santé n’est pas résilient et n’était pas prêt à affronter ce type de crise. Ce sont des perturbations extrêmement graves, dont on ignore les conséquences économiques et politiques ultimes.
« L’Algérie doit enfin apprendre à parler à sa diaspora »
Que doit faire l’Algérie pour améliorer son climat des affaires et attirer plus de capitaux internationaux ?
Comme tout les pays qui ont besoin d’accroître leurs investissements pour croître et équilibrer leur balance courante mais ne disposent pas de marges de manœuvre pour relancer leurs économies, l’Algérie doit créer des conditions d’attractivité avec la mise en place de dispositifs incitatifs. Ce devrait être une priorité.
Pour être incitatif, il y a des dispositifs bien connus et il est par exemple nécessaire d’accepter la convertibilité de la monnaie, et de garantir une vraie liberté de transfert des profits ainsi que la stabilité fiscale et juridique.
Il faut donc être très lucide et réaliste pour se transformer en pays attractif. Il faut aussi assurer une très grande stabilité avec une vision économique à long terme. L’Algérie devra donc tôt ou tard établir des mécanismes et des institutions politiques qui garantissent cette stabilité, car on ne crée pas un climat propice aux affaires et au développement si on ne crée pas tout simplement la confiance.
« L’Algérie comme marché n’est au final plus un enjeu pour la France »
Quel rôle peut jouer la diaspora dans le développement économique de l’Algérie ?
L’Algérie doit enfin apprendre à parler à sa diaspora. Celle ci l’ignore et lui tourne le dos en dépit d’un attachement affectif certain aux racines. Cette situation paradoxale est dommageable, car cette diaspora est très mature et jeune. Elle recèle un potentiel créatif, entreprenant et de plus en plus influent.
Elle est en capacités de contribuer efficacement à la solution des problèmes et défis futurs de l’Algérie. Elle est pourtant considérée par l’Algérie comme une simple équivoque voire une menace. Je suis à cet égard surpris et très inquiet des initiatives politiques curieuses, et certainement inopportunes, que certains milieux en Algérie envisagent pour considérer que la double nationalité n’est qu’une double allégeance. Ce sont de très mauvais messages des dirigeants politiques algériens et qui sont uniques en leur genre.
« L’Algérie politise toujours plus les relations économiques, c’est une erreur »
Il y a un recul des investissements et des positions des entreprises françaises en Algérie. Est-ce le résultat des adhérences politiques ?
Bien sûr que l’instabilité quasi permanente des relations franco-algériennes joue un rôle majeur. La France n’est plus le premier fournisseur de l’Algérie qui n’est plus le premier fournisseur énergétique de la France depuis longtemps. Les liens économiques se sont distendus et quasiment réduits au commerce courant depuis une quinzaine d’années. L’Algérie comme marché n’est au final plus un enjeu pour la France, car il y a des marchés plus porteurs, plus importants et plus stratégiques pour elle.
L’Algérie a fortement diversifié ses relations économiques, on ne peut pas le lui reprocher. Les quelques entreprises françaises – premiers investisseurs étrangers hors énergie tout de même- qui ont néanmoins quelque intérêt pour l’Algérie considèrent ce marché comme intéressant et solvable. Mais ce n’est pas un pays dans lequel elles désirent investir massivement car elles se méfient du dirigisme et de l’administration algérienne réputée tatillonne, bureaucratique et même considérée comme anti-française.
Les relations économiques internationales sont partout et toujours très politiques. L’Algérie n’est bien sûr pas le seul pays à le considérer ainsi, mais elle politise toujours plus les relations économiques, c’est une erreur. Par ailleurs, l’Énergie était le secteur de prédilection de la France, ce n’est plus le cas. Enfin, l’Algérie ne réalise plus de grands programmes dans les domaines industriels essentiels qui justifieraient que la France s’y investisse plus.
C’est aujourd’hui un marché dominé fortement par les entreprises asiatiques, allemandes, italiennes, espagnoles. Ce sont de grands rivaux de la France, très actifs et compétitifs désormais très établis. La France s’est aussi désintéressée de l’Algérie du fait de cette concurrence redoutable qui se mobilise beaucoup plus qu’elle sur ce marché et qui se frotte bien sûr les mains de la dégradation des relations politiques franco-algériennes.
Les liens historiques se sont bien distendus et la confiance n’existe plus. En dépit des liens humains qui restent forts, il faudra du temps et beaucoup de volonté pour les rétablir.
Comment jugez-vous justement l’état actuel des relations algéro-françaises ?
Il y a beaucoup d’incompréhensions de part et d’autre, ce n’est pas nouveau. S’agissant de la France, son président est jeune mais il ne connaît pas l’Algérie. Il n’a connu ni la guerre d’Algérie ni les grandes périodes de tensions entre les deux pays. Il arrive avec un regard un peu neuf, avec la volonté sincère d’écrire une nouvelle histoire sur une page blanche.
Cette distanciation générationnelle, il en a fait un peu sa marque de fabrique comme pour s’exonérer des vicissitudes et des adhérences historiques franco-algériennes. Mais je pense qu’il ne connaît pas l’histoire de l’Algérie et ses réalités qu’ils sous estime. Sa vision de l’Algérie est un peu primaire, datée et superficielle comme celle de la plupart des hommes politiques français qui essentialisent la guerre civile, l’islamisme, le terrorisme, l’immigration et un climat supposé très anti-français dans l’opinion algérienne.
Le président, comme beaucoup d’hommes politiques, ne considère pas vraiment l’Algérie comme le pivot géopolitique qu’elle devrait être pour les relations entre la France et l’Afrique et même avec le Monde arabe ou méditerranéen et son influence. C ’est une lourde erreur, constante depuis près d’un demi siècle .
Il se trouve néanmoins qu’il y a aujourd’hui des circonstances géopolitiques particulières qui requiert quelques égards à l’endroit de l’Algérie, qui se trouve être voisine de la Libye, d’une zone géographique qui va du Tchad au Nigeria et qui est caractérisée par une zone de très grande instabilité politique et d’affrontements militaires. L’Algérie se révèle donc bien comme un pays important d’un point de vue stratégique. Peu de choses peuvent se faire, dans cette zone où la France est militairement très engagée, sans l’Algérie.
S’agissant du Maghreb, la France a aussi une vision un peu dépassée. Elle ne comprend plus très bien la question des relations algéro-marocaines, et l’évolution de la Tunisie lui échappe. La France ne joue donc plus aucun rôle dans les relations inter-maghrébines qui sont capitales et pire encore, n’a pas de vision.
Beaucoup de données objectives sont ignorées à Paris où l’on souffre de myopie. Ce dont l’Exécutif français ne se rend pas bien compte, ce sont les conséquences à long terme de l’absence de vision et que la clé de l’influence française au Maghreb et en Afrique, c’est d’abord le développement économique. On n’a pas encore compris qu’il fallait s’intéresser à l’éducation, à la santé, à l’énergie, aux transports… dans une zone qui va du Maghreb jusqu’au Sahel. Ce n’est certainement pas l’ignorance et l’affrontement qui nourrissent une vision réductrice de situations beaucoup plus complexes qu’il n’y parait. En un mot, la France a décroché !
Les responsables algériens ont une vision éculée de leurs relations avec la France. L’Algérie ne sait plus vraiment ce qu’elle peut attendre de la France, alors qu’elle pourrait en attendre beaucoup. Elle revendique peu. Elle n’a plus ni les codes ni les réflexes rapportés à ce qui se passe en France sur les sujets les plus importants que sont les questions géopolitiques, économiques et sociales ou la crise migratoire.
Sur ce sujet de l’immigration , préoccupation bilatérale s’il en est, on ne dit toujours pas la vérité au Français. C’est une autre faute lourde des dirigeants français de tous horizons. Au risque de mauvais amalgames et d’irresponsables politiques, ces derniers mélangent deux sujets certes très intriqués, mais bien différents quant à leurs conséquences et à leurs remèdes.
Il y a d’abord l’immigration -la grande migration- pure et dure d’Asie et d’Afrique vers toute l’Europe qui est en mouvement sous pression et que la France ne pourra pas endiguer seule, car elle résulte de mécanismes profonds, permanents et difficilement réversibles. Le traitement de ce grave problème qui inquiète l’opinion au plus profond d’elle même est à l’échelle de l’Europe et ne peut résulter que d’une stabilisation de ces mouvements de population que par le développement des pays d’origine qui souffrent des inégalités économiques et sociales qui divisent la planète.
Et puis il y a l’autre question qui est aussi fondamentale, car au centre du débat public français depuis des décennies et qui est considéré comme une simple résultante de l’immigration. C’est celle du peuplement de la France conçu par certains radicaux comme un remplacement.
Dans ce domaine, il y a des faits certains. Désormais plusieurs communautés d’ascendance étrangère constituent des minorités de taille plus que significative. La communauté franco-algérienne est la minorité française la plus importante. Pourtant, elle est – comme les autres minorités – perçue d’abord comme un problème social et quasi civilisationnel qui est instrumentalisée comme une menace, et depuis quelques années comme un « ennemi intérieur » comme le suggère des politiciens de gauche et de droite.
Or, minorités ne sont jamais appelées à la table pour discuter de leur destin et de leur place dans le pays. Les mêmes leur récusent le droit à l’identité comme le droit à l’altérité, un traitement équitable qui sont pourtant des conditions de leur assimilation harmonieuse par la société française. C’est une situation problématique dans la perspective d’un poids grandissant, voire dominant de l’extrême droite.
Quel regard et appréciations vous portez sur la question mémorielle ?
Bien que l’Algérie ne l’ait jamais vraiment réclamée, la question qui est régulièrement invoquée en France est celle du refus à consentir à tout acte de « repentance ». Il y a entre les deux pays sur ce sujet aussi un vrai malentendu que certains milieux pour lesquels la guerre d’Algérie se poursuit entretiennent avec délectation et efficacité.
Or, c’est une question simplement d’analyse et de perception d’une phase historique commune entre deux pays condamnés de toute façon à partager en partie mémoire et histoire, sans nécessairement penser ou interpréter à l’identique la question coloniale. Chacun des deux pays à de toute façon le droit à une interprétation singulière même si les deux ne sont pas conciliables.
Au stade où nous sommes, je crois qu’il s’agit plus d’une affaire franco-française. La France doit d’abord sortir de l’amnésie dont elle a le secret. La colonisation fut un laborieux chantier de domination et de négation de la population locale qui fut soumise par une invasion militaire hostile.
Intrinsèquement à la colonisation, les valeurs dites républicaines et celles dites des lumières y furent bafouées. Le séparatisme – nouvelle terminologie officielle que j’utilise a dessein- y fut instauré, l’éradication, la charia, l’inégalité de traitement et l’exception furent 130 ans de domination durant appliquées méthodiquement par les institutions.
Cette histoire-là, la France doit l’écrire seule pour regarder enfin, comme le disait Jacques Chirac à propos de la Turquie, tel un grand pays son histoire en face y compris avec ses pages les plus sombres. Nous n’y sommes pas encore et cette histoire là n’est ni encore écrite dans les manuels d’histoire ni enseignée dans notre école au même titre, et à juste raison, que la Shoah ou l’esclavage qui furent aussi de grands renoncements républicains.
C’est à la France qu’il revient de mettre un terme aux ambiguïtés d’un récit national souvent idéalisé et mythifié et de régler ses problèmes de conscience. Elle ne pourra pas et ne doit pas le faire avec l’Algérie pour laquelle c’est une cause entendue.
Pour l’Algérie, la question n’est plus de revendiquer de quelconques réparations qu’elle n’obtiendra pas. Il s’agit pour elle de faire son deuil, de panser ses plaies et de ne jamais oublier ses martyrs. Ces plaies font partie de l’identité algérienne même si elles ne sont hélas toujours pas comprises en France. Essentialiser cette douleur pour mobiliser l’opinion intérieure ou conditionner la relation bilatérale ne saurait être une fin.
Toutefois, je suis de ceux qui considèrent qu’en raison même de ces liens douloureux, ceux ci restent historiques et indépassables. Ils obligent d’une certaine manière la France a un certain nombre de devoirs vis-à-vis de l’Algérie, de tout le Maghreb ou de l’Afrique d’ailleurs. C’est une considération légitime qui devrait être réitérée.
L’Algérie réclame la reconnaissance des massacres du 8 mai 45. Cette année, Macron n’a pas dit grand-chose.
C’est inexact. Je suis natif de Guelma. J’appartiens à une famille qui y a été suppliciée. J’ai perdu un oncle au cours des événements tragiques du 8 mai. Mon père a été torturé. Tous les 8 mai, j’allais à Guelma pour les commémorer. Depuis deux ans, je n’y suis pas allé. C’est dire combien cet événement est important pour moi.
Cette année, pour la première fois depuis 1962 l’ambassadeur de France s’est rendu à Setif pour rendre un hommage aux victimes du 8 mai 1945. Il y a déposé une gerbe au nom du président de la République. J’ai été très surpris que la presse algérienne n’en parle que très peu. C’est un geste important et je me suis permis, a la mémoire des miens et des victimes, de demander à l’Ambassadeur de transmettre un message de remerciements personnels au président Macron et lui dire combien ce geste est important pour tous les morts du 8 mai 1945 , les Algériens et les Franco-Algériens.
Que faut-il pour dépassionner ce débat ?
C’est, je le répète, un débat d’abord franco-français qui doit permettre à la France de se réconcilier avec sa conscience et son histoire.
Les Français doivent établir entre eux que la France a trahi en Algérie ses principes cardinaux.
Le pays de la déclaration des droits de l’Homme, des valeurs universelles et des Lumières les a bafoués en Algérie.
De 1830 à 1962, en Algérie on a construit deux catégories de Français avec des droits citoyens différenciés, ce fut l’indigénat. la République a appliqué la Charia aux Français musulmans. On a construit l’Apartheid, pas tout à fait dans les faits, mais dans les têtes et l’organisation sociale et culturelle. Tout ça au mépris des valeurs constitutionnelles, des valeurs morales historiques et civilisationnelles de la France.
C’est tout ça que doit reconnaître la France. Elle ne l’a toujours pas reconnu et c’est un problème de conscience franco-français persistant. Le jour où les Français reconnaîtront cette histoire et ces manquements, comme pour l’esclavage et la Shoah, les choses se dépassionneront d’elles même.