Le président turc Recep Tayyip Erdogan est revenu à la charge concernant le passé colonial de la France en Algérie, avec en toile de fond sa sempiternelle brouille avec son homologue français Emmanuel Macron.
Cette fois, c’est pour défendre la place de son pays sur le continent africain que Recep Tayyip Erdogan a invoqué les crimes coloniaux, « chiffres » à l’appui.
« Nous continuerons à renforcer notre coopération avec le continent africain, et notre lutte là-bas perturbe les colonialistes », a-t-il déclaré d’emblée lors d’une rencontre de son parti, l’AKP, samedi 23 octobre, rapporte l’agence Anadolu.
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« La lutte de la Turquie pour un monde plus juste, perturbe grandement les colonialistes et leurs agents parmi nous. Nous ne traitons jamais ceux qui calomnient la Turquie, au lieu d’affronter leur passé sanglant et meurtrier en Afrique », ajoute-t-il, avant d’interpeller nommément la France : « N’êtes-vous pas ceux qui ont tué un million de personnes en Algérie (sic), un million de personnes au Nigeria et 900 000 personnes au Rwanda ? Qui sont ces personnes ? C’est l’Occident et la France qui ont fait ça. »
« Ils ne peuvent pas nous donner une leçon d’humanité. Ils doivent d’abord apprendre l’humanité », assène-t-il.
Ce n’est pas la première fois que le président turc évoque les crimes coloniaux en Algérie pour le compte de la politique étrangère de son pays. Une « immixtion » qui n’a pas toujours été accueillie avec enthousiasme à Alger.
En 2012, après l’adoption par le Parlement français d’une loi pénalisant la négation du génocide arménien, M. Erdogan avait accusé la France de jouer sur « la haine du musulman et du Turc » et d’avoir commis un génocide en Algérie entre 1830 et 1962.
La réaction de l’Algérie était inattendue, du moins pour le président Turc. Elle était venue du Premier ministre Ahmed Ouyahia et elle était sans équivoque.
« Nous demandons à nos amis turcs de cesser de faire de la colonisation de l’Algérie un fonds de commerce. Personne n’a le droit de faire du sang des Algériens un fonds de commerce », avait déclaré Ahmed Ouyahia, qui s’exprimait sous la casquette de secrétaire général de son parti, le Rassemblement national démocratique (RND).
M. Ouyahia est allé plus loin, en rappelant les positions passées de la Turquie vis-à-vis de l’Algérie combattante, comme pour signifier qu’elle n’était pas la mieux placée pour parler de la question.
« La Turquie avait voté (à l’ONU) contre la question algérienne de 1954 à 1962. La Turquie, qui était membre de l’Otan pendant la guerre d’Algérie, et qui l’est encore, avait participé comme membre de cette Alliance à fournir des moyens militaires à la France dans sa guerre en Algérie », avait rappelé le Premier ministre algérien, aujourd’hui incarcéré après avoir été condamné plusieurs fois à de lourdes peines dans des affaires de corruption.
Victimes de la colonisation : une légèreté qui interpelle
Lorsque M. Erdogan était venu à Alger en février 2020, sa brouille avec Emmanuel Macron sur la Libye et la situation dans l’est de la Méditerranée était à son paroxysme.
De retour de son pays, il a révélé une confidence que lui aurait faite son homologue algérien Abdelmadjid Tebboune lors de leur rencontre, à savoir que la France a massacré 5 millions d’Algériens pendant la colonisation. L’Algérie avait là aussi peu apprécié et réagi par le biais d’un communiqué du ministère des Affaires étrangères.
« L’Algérie a été surprise par la déclaration faite par le président turc, Recep Tayyip Erdogan dans laquelle il attribue au président de la République des propos sortis de leur contexte sur une question liée à l’histoire de l’Algérie », a indiqué le communiqué.
« L’Algérie affirme que les questions complexes liées à la mémoire nationale, qui revêt un caractère sacré pour le peuple algérien, sont des questions extrêmement sensibles. De tels propos ne concourent pas aux efforts consentis par l’Algérie et la France pour leur règlement », avait ajouté la présidence.
Une manière très diplomatique de signifier au président turc qu’il n’est pas opportun de souffler sur les braises du litige mémorial franco-algérien.
Il l’est d’autant moins maintenant que les relations entre l’Algérie et la France traversent une crise sans précédent et qui risque de s’aggraver, au détriment des intérêts respectifs des deux pays, par cette manière de jeter de l’huile sur le feu, émanant à fortiori d’une tierce partie qui le fait pour ses seuls intérêts, en l’occurrence ses parts de marché en Afrique.
La légèreté avec laquelle Recep Erdogan évoque les victimes algériennes de la colonisation devrait aussi interpeller. De 5 millions en février 2020, elles sont passées à seulement 1 million en octobre 2021.
Les chiffres officiels des autorités algériennes sont pourtant connus et immuables. La guerre de Libération (1954-1962) a fait 1,5 million de morts algériens et les victimes cumulées de la colonisation (1830-1962) s’élèvent à 5 630 000. Ce dernier chiffre a été révélé pour la première fois le 2 octobre par la présidence de la République dans sa réaction aux propos tenus le 30 septembre par Emmanuel Macron.