Politique

Algérie – France : expulsions et extraditions, le nœud gordien de la crise

Pendant plusieurs mois, c’est par déclarations et communiqués de presse qu’Alger et Paris, en pleine brouille, se parlent. C’est aussi par la voix médiatique que fuitent des éléments qui permettent de mieux comprendre les principaux points de discorde entre les deux capitales.

On parle beaucoup du conflit au Sahara occidental où la France a choisi le camp marocain et l’accord de 1968 sur l’immigration, dont la révocation voulue par la droite et l’extrême-droite risque d’être le casus belli qui actera la rupture entre l’Algérie et la France.

Au-delà de la portée symbolique du texte, les deux pays butent en fait plus sur la question des reconduites aux frontières que sur celle de l’entrée et du séjour des Algériens en France. Les reconduites aux frontières, c’est un autre accord non publiable signé en 1994 qui les prend en charge. 

Selon les informations du journal français L’Opinion, c’est la mise en œuvre des dispositions de ce texte qui constitue le principal point de discorde entre Alger et Paris en ce moment. Comme celui de 1968, le protocole de 1994 fut signé dans un contexte particulier, celui de la violence terroriste en Algérie.

L’Algérie et la France divergent sur l’accord de 1994

Le même média explique que le texte stipule que si la personne objet de l’expulsion détient un document d’identité, même périmé, cela est suffisant comme preuve de sa nationalité et le laissez-passer consulaire n’est de ce fait pas nécessaire. Mais l’Algérie ne voit pas les choses de la même manière comme le montre le cas de l’influenceur Doualemn.

Expulsé le 9 janvier dernier, l’homme de 59 ans a été renvoyé même jour par l’Algérie qui a expliqué deux jours après que son ressortissant n’avait épuisé toutes les voies de recours judiciaire en France.

La justice française a fini par lui donner raison en annulant l’OQTF contre Doualemn et son placement dans un centre de rétention. Jeudi, cet influenceur a été condamné à 5 mois de prison avec sursis.

Depuis le refoulement à l’aéroport d’Alger de l’influenceur Doualemn début janvier, plusieurs autres expulsés de France, une quinzaine de tentatives d’expulsion ont échoué, selon L’Opinion.

Il s’agit d’un “nouveau type de refus ». Non pas que le gouvernement algérien se dérobe à ses engagements, mais il a aussi ses exigences, en fonction des intérêts du pays.

L’Algérie est légitimement très réticente à accepter “les profils lourds”, soit ceux qui sont inscrits au fichier de prévention de la radicalisation ou sortant de prison. Or, 97% de ceux qui sont placés en centre de rétention rentrent dans cette case, selon le même média.

Selon nos sources, elle n’est pas d’accord aussi avec le « criblage » qui est fait par les autorités françaises des dossiers des individus expulsables. Des personnes recherchées par la justice algérienne pour corruption ou subversion sont installés sur le territoire français et la France refuse de les extrader ou de les inclure dans les contingents des expulsés.

Le dernier épisode en date est celui de l’ancien ministre de l’Industrie Abdeslam Bouchouareb, condamné cinq fois en Algérie à 20 ans de prison dans des affaires de corruption. Lors d’une audience mercredi 5 mars devant la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, le parquet a requis la non-extradition.

Alger a présenté à Paris des demandes d’extradition de Ferhat Mehenni et d’Aksel Bellabaci, deux membres du MAK qui est classée comme organisation terroriste en Algérie.

« Nous demandons le chef de file des terroristes MAK. Il faut qu’il nous soit livré, c’est un terroriste, il le dit », a exigé le président Abdelmadjid Tebboune en octobre 2021, en plein crise diplomatique avec la France.

Parmi les personnes poursuivies ou condamnées en Algérie et qui sont installées en France figurent Abdou Semmar, Amir Boukhors dit Amir DZ, Hicham Aboud ou encore Said Bensedira.  Alger veut également les récupérer, mais elle bute sur le refus de Paris, d’autant que certains d’entre-eux bénéficient de l’asile politique en France.

Les expulsions parmi les principaux points de discorde entre Alger et Paris

Sinon, sur la question des OQTF proprement dite, le ministère français de l’Intérieur se déjuge lui-même en fournissant quelques chiffres liés à leur exécution. Depuis le début de l’année, 300 éloignements ont pu être effectués, soit “un chiffre conforme à la moyenne”. En 2023, l’Algérie a délivré 3.000 laissez-passer consulaires.

Selon Gérard Araud, l’ancien ambassadeur de France aux États-Unis, c’est le pays qui délivre le plus de laissez-passer consulaires avec 3.000 documents de ce genre délivrés en 2024.

Sur cette crise avec l’Algérie, une certaine cacophonie s’est installée au sein du pouvoir français. Le journal Le Monde décrit une situation de ”tiraillements” entre les différents centres de décision et un “sacré embrouillamini”.

Tout y est : des simples divergences sur l’attitude à adopter, aux calculs politiciens, en passant par les jalousies de prérogatives et les bourses de communication.

 Il est par exemple reproché à François Bayrou d’avoir foncé tête baissée dans un dossier qu’il ne maîtrise visiblement que peu en lançant à l’Algérie un ultimatum avant la dénonciation de l’accord de 1968. Selon lui, les victimes de l’attaque de Mulhouse “sont les victimes directes du refus d’application de l’accord de 1968”.

Or, cet accord régit l’entrée et le séjour des Algériens en France et non leur éloignement, qui constitue en ce moment le nœud gordien de la crise.

Signe évident d’une défaillance de concertation, Bayrou a menacé de faire ce que Bruno Retailleaun’a jamais envisagé, c’est-à -dire aller directement à la mesure extrême de dénonciation de l’accord.

Selon Le Monde, dans les plans du ministre de l’Intérieur, il s’agit d’aller crescendo dans les mesures de rétorsion contre l’Algérie, comme l’a dévoilé la note interne révélée dimanche dernier par La Tribune Dimanche. 

Vendredi 28 février, le président Emmanuel Macron a désavoué à la fois son ministre de l’Intérieur et son Premier ministre sur la révocation unilatérale de l’accord de 1968. “L’accord de 1968, c’est le président de la République”, a-t-il réitéré le lundi suivant. Bruno Retailleau est revenu à la charge en lançant de nouvelles attaques contre l’Algérie, mais il s’est retrouvé lui-même sous le feu de plus extrémiste que lui.

“Comment pourriez-vous engager le bras de fer migratoire que vous promettez depuis des mois avec l’Algérie alors que vous êtes incapables de remporter celui qui vous oppose au président de la République ?”, lui a lancé un député RN, au lendemain de la deuxième mise au point publique d’Emmanuel Macron.

L’intervention présidentielle risque de rebattre les cartes, en commençant par annihiler peut-être le crédit que Bruno Retailleau commençait à engranger auprès de l’électorat extrémiste.

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