Lors de sa visite à Alger en décembre dernier, le président Français Emmanuel Macron avait appelé les jeunes algériens qui l’entouraient lors d’un bain de foule au centre-ville à « changer de logiciel ».
L’allusion ne faisait pas doute : la question de la « mémoire », ou plus clairement le contentieux historique entre l’Algérie et la France qui, sans empêcher la relation entre les deux pays d’avancer, ne lui a pas permis d’être toujours sereine.
Était-il prêt lui-même à donner l’exemple ? Il est vrai que lors de son court séjour dans la capitale algérienne, le jeune président avait quelque peu déçu. La faute peut-être à l’immense espoir qu’avait fait naître du côté algérien le discours électoral de Macron, dix mois plus tôt.
À Alger justement, le candidat à la présidentielle française avait fait un immense pas en avant en février en qualifiant la présence française en Algérie de « crime contre l’humanité », de « vraie barbarie ». « La colonisation fait partie de l’histoire française (…). Ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face en présentant aussi nos excuses à l’égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes », avait-il déclaré.
En décembre, il était de nouveau à Alger, en tant que président cette fois, mais il n’a pas fait le pas supplémentaire que tout le monde attendait, soit la présentation d’excuses solennelles pour les souffrances subies par le peuple algérien sous la domination française. Quoi qu’il en soit, on était loin du discours jusque-là « conservateur » des dirigeants français, parfois même « provocateur » comme sous Nicols Sarkozy qui avait fait adopter une loi glorifiant le colonialisme en 2007. En décembre dernier, Macron avait donc fait part de sa disponibilité à ouvrir une nouvelle page et à dépassionner le débat sur le passé, tout en posant le préalable que des gestes soient faits « de part et d’autre ». Comprendre, faire un effort du côté algérien concernant la question des harkis, décrits comme des « Français qui aiment l’Algérie et qui aimeraient y revenir ».
Les gestes, le président français commencera à en faire avant même de quitter le sol algérien en se disant « prêt » à restituer les cranes de résistants algériens tués au 19e siècle et conservés depuis au Musée de l’Homme de Paris.
Conscient de la complexité du dossier, il déclarera à la même occasion : « Je ne dis pas que la question est facile. Je sais qu’il y en a qui ont encore ce traumatisme, mais je dis qu’on doit pouvoir ensemble, étape par étape, régler chacun de ces problèmes et dénouer les choses. » Pour résumer, Emmanuel Macron était prêt à aller loin, mais pas à brusquer. Sa stratégie, comme il le dit, était de procéder « étape par étape », comprendre dossier par dossier. Or, depuis sa sentence en faveur de la restitution des cranes, il n’y a pas eu d’autre « étape ». Durant ces neuf derniers mois, quand les médias s’intéressaient aux relations algéro-françaises c’était pour évoquer d’autres questions plus factuelles, comme l’intention prêtée aux autorités française de réduire le nombre de visas octroyés aux Algériens ou encore cette anecdotique finale de la Coupe du monde de football qui a vu le public algérois soutenir l’adversaire de la France devant les yeux de l’ambassadeur Xavier Driencourt.
Macron ne franchira pas d’autre « étape » jusqu’à ce jeudi 13 septembre 2018 lorsque des fuites dans la presse de son pays lui prêtent l’intention de reconnaître la responsabilité de la France dans la mort du résistant algérien Maurice Audin, un militant communiste torturé et tué par les parachutistes français à Alger en 1957.
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Un geste bel et bien destiné à l’Algérie
La présidence française confirme en début d’après-midi par le biais d’un communiqué limpide. La France assume officiellement sa responsabilité dans la mort de l’étudiant en mathématiques et de tous ceux qui avaient subi le même sort à la même période, c’est-à-dire durant la guerre d’Algérie. L’Élysée reconnait en effet l’instauration d’un « système » entraînant des actes de « torture », ayant notamment provoqué la mort de l’opposant Maurice Audin, annonçant que le chef de l’État remettra une déclaration en ce sens à la veuve de Maurice Audin et annoncera « l’ouverture des archives sur le sujet des disparus civils et militaires, français et algériens ».
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Certes, les plus sceptiques relèveront que l’annonce ne coïncide pas avec la date anniversaire de la mort de Maurice Audin (21 juin) ni avec aucune date clé de la Guerre d’Algérie, mais survient à la veille de la célébration de la fête de l’Humanité, événement organisé chaque année en septembre par le journal français éponyme, donc par le courant communiste, famille politique d’Audin.
De même que le sort de dirigeants importants de la Révolution, morts eux aussi sous la torture, comme Larbi Ben M’hidi ou l’avocat Ali Boumendjel, n’a pas fait l’objet de la même « repentance ». Mais cela ne saurait réduire l’initiative d’Emmanuel Macron à un simple geste à l’adresse de la veuve de Maurice Audin, Josette Audin, 87 ans, qui mène un combat individuel pour faire éclater la vérité depuis 61 ans, ou encore en direction de la gauche française pour quelque considération de politique interne.
Le texte rendu public est sans équivoques. Reconnaître qu’un système de torture avait été mis en place équivaut à une reconnaissance officielle de la responsabilité de l’État français dans le sort de tous les militants nationalistes morts sous l’horrible pratique, et ceux et celles qui lui ont survécu, comme Louisette Ighilahriz, Djamila Bouhired, Henri Alleg… C’est un précédent et surtout une autre étape de franchie.
Reste maintenant à savoir quelle sera la prochaine « audace » d’Emmanuel Macron et surtout jusqu’où ira-t-il dans son entreprise de crever l’abcès avec l’Histoire.