Plus que ses critiques à l’égard du système algérien ou sa décision de réduire le quota de visas essentiellement pour les membres de la sphère dirigeante, les propos d’Emmanuel Macron sur l’histoire de l’Algérie ont soulevé un tollé.
« L’apaisement » était pourtant au cœur de la rencontre du président français avec de jeunes étudiants issus de différentes communautés concernées par la guerre d’Algérie, jeudi 30 septembre.
En interrogeant l’histoire sur l’existence de la nation algérienne avant la conquête française, Macron a suscité une réprobation unanime en Algérie, faisant presque oublier ses remarques livrées sur un ton inédit à l’égard du pouvoir algérien.
La tempête de réactions suscitées jusqu’à parmi ceux qui ne peuvent être soupçonnés de sympathie pour le régime est en fait un rappel que la mémoire nationale est un ciment qui rassemble tous les Algériens et qu’il n’y a pas de place à la divergence sur la question.
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C’est tout le contraire de la France où le passé colonial est vu sous des angles différents, selon la communauté ou la famille politique qui s’exprime. Emmanuel Macron l’ignorait-il, a-t-il été mal conseillé, ses propos ont-ils dépassé sa pensée ou a-t-il sciemment voulu marquer un tournant avec la politique qu’il a fait sienne jusque-là ?
Le dossier du contentieux mémoriel entre l’Algérie et la France est très complexe et une énième preuve nous est venue avec cette rencontre du président français avec des descendants d’acteurs de la guerre d’Algérie, dont l’objectif était d’apaiser toutes les blessures.
Dans le même discours, Macron a en quelque sorte prêché une chose et son contraire. Il a demandé à ses vis-à-vis « des propositions » pour célébrer la date du 17 octobre 1961 qui a vu la police française massacrer des Algériens sortis à Paris pour réclamer l’indépendance, avant de remettre en cause l’existence de la nation algérienne avant la colonisation française et d’accuser ceux qui réclament la vérité et la reconnaissance de vivre de « la rente mémorielle ».
Si elle reste difficile à expliquer, une telle dualité de langage résume en tout cas la « politique mémorielle » du mandat qui s’achève d’Emmanuel Macron. Un mandat entamé par une retentissante dénonciation du colonialisme comme « un crime contre l’humanité » et qui se termine par une remise en cause de l’existence de l’Algérie en tant que nation avant son indépendance de la France en 1962.
Des déceptions réciproques ?
Entre ces deux extrêmes, il a fait avancer le dossier, quoique lentement, en tout cas plus que tous ses prédécesseurs. Il a reconnu la responsabilité de l’Etat français dans la mort de résistants algériens connus, engagé un travail commun sur les archives et restitué les crânes de résistants algériens gardés à Paris depuis un siècle et demi.
C’est sans doute la complexité du dossier qui l’a décidé à confier la réflexion à un éminent historien, Benjamin Stora, l’un des plus grands spécialistes de l’histoire contemporaine de l’Algérie.
Stora a remis en janvier dernier son rapport, dans lequel il a fait une série de propositions d’actions concrètes pour faire avancer les choses, sans toutefois préconiser la présentation d’excuses par la France. Le rapport n’a pas été reçu avec beaucoup d’enthousiasme à Alger, mais à la décharge de l’historien, il ne pouvait pas travailler en faisant abstraction de tout ce qui entoure la question.
Certains ont estimé que le temps n’était pas propice pour lancer l’épineux et délicat chantier de la réconciliation des mémoires entre les deux pays, en raison notamment du contexte de crise politique et économique en Algérie.
D’autres reprochent à Benjamin Stora d’avoir rédigé un rapport destiné en premier lieu aux Français, tout en le présentant comme étant le document de travail sur lequel les deux pays doivent s’appuyer pour avancer sur le dossier de la mémoire, et qui doit être approuvé par les Algériens.
Ce qui n’était pas le cas. C’est ce qui explique une certaine déception de Macron du peu d’intérêt accordé par les autorités algériennes à ce rapport.
Le rapport de Stora et les conséquences de la rencontre du 30 septembre illustrent la sensibilité et l’importance du dossier de la mémoire en France.
Les propos du président français sonnent comme une correction de la trajectoire qu’il a empruntée la veille de son accession à l’Elysée en 2017, et qui lui a valu des critiques de la part de la droite française. L’échec de Macron est aussi celui de Benjamin Stora qui connaît bien l’Algérie pour ne pas s’aventurer sur des terrains minés.
S’il est reproché aujourd’hui aux dirigeants algériens de vivre de la « rente mémorielle », la question est aussi un enjeu de politique interne en France à cause du poids (électoral) des différentes communautés directement concernées par le colonialisme et la guerre d’Algérie (anciens de l’OAS, Pieds-noirs, harkis, enfants d’immigrés algériens…).
Ceux qui soupçonnent Emmanuel Macron de chercher à instrumentaliser la question mémorielle en prévision de l’élection présidentielle du printemps prochain, n’ont pas tort sur toute la ligne.