Les nuages sombres continuent de s’amonceler dans le ciel déjà pas trop serein des relations entre la France et l’Algérie. De part et d’autre, les signaux négatifs se multiplient, ce qui n’augure rien de bon pour l’avenir des relations entre les deux pays qui s’écrit désormais en pointillés.
En ce début d’automne 2024, l’Algérie est toujours sans ambassadeur à Paris alors que la capitale française devait accueillir le président algérien comme convenu en mars dernier par Abdelmadjid Tebboune et Emmanuel Macron au cours d’un entretien téléphonique.
La relation bilatérale est réduite au strict minimum et, cette fois, l’écheveau de la crise semble plus inextricable que les brouilles passagères de ces dernières années.
Algérie – France : les signaux négatifs se multiplient
Fin juillet dernier, le président français avait provoqué un brusque retour à la case départ dans la relation avec l’Algérie en cédant à la pression de Rabat dans le dossier sahraoui.
Dans une lettre au roi Mohamed VI divulguée le 30 juillet par le Palais royal marocain, Emmanuel Macron a explicitement exprimé la reconnaissance par la France de la « souveraineté marocaine » sur le Sahara occidental et son appui inconditionnel au plan d’autonomie présenté par le Maroc en 2007, considéré désormais comme « la seule base pour parvenir à une solution ». L’Algérie a procédé dès le lendemain au retrait de son ambassadeur à Paris Said Moussi.
Paris ne pouvait pas ignorer qu’un tel pas constituerait pour Alger un casus belli qui déclencherait une ferme réaction. Pour moins que ça, la relation algéro-espagnole est au point mort depuis deux ans et demi.
En fait, ce que l’Algérie redoutait avec la perspective d’une France dirigée par l’extrême-droite est vite arrivé, sans même le Rassemblement national au pouvoir.
On ne le sait que trop bien maintenant, la politique maghrébine, soit la relation avec Alger et Rabat et la position vis-à-vis du dossier sahraoui, est aussi un enjeu de politique intérieure en France.
La droite et l’extrême-droite ont maintenu la pression ces dernières années sur le président Macron pour l’amener à « rééquilibrer » en faveur du Maroc sa politique maghrébine jugée plus favorable à l’Algérie avec laquelle il a entrepris d’ouvrir une nouvelle page en commençant par le règlement du contentieux mémoriel.
Relation Algérie – France : un avenir incertain
Sans majorité avant et après les élections législatives de l’été dernier, Emmanuel Macron a dû multiplier les concessions à ce courant politique, sur la question de l’immigration, dans le choix du Premier ministre et de la composante du gouvernement et sans doute aussi sur cette question de la politique maghrébine
Il a notamment nommé Bruno Retailleau comme ministre de l’Intérieur, alors que ce ténor de la droite est connu pour être favorable à l’abrogation de l’accord de 1968 et hostile au projet de Macron de réconciliation des mémoires de la colonisation française en Algérie.
Le député des Algériens de France Abdelouahab Yagoubi a décelé un signal négatif à l’égard d’Alger avec cette nomination, et prévoit même une réduction du nombre de visas aux Algériens ainsi que la fin de l’accord bilatéral sur l’exemption de visa pour les détenteurs des passeports diplomatiques.
L’Algérie doit s’attendre à un bras de fer avec Paris sur la question migratoire au moment où la polémique rebondit en France sur la question des migrants clandestins.
Néanmoins, le rapprochement de Paris avec Rabat ne relève pas exclusivement de considérations de politique intérieure en France. Il pourrait aussi procéder d’un calcul géopolitique très pragmatique de la part du président Macron dont le pays est en perte de vitesse, au Maghreb, dans la région du Sahel et dans toute l’Afrique.
Pour Paris, l’enjeu de la relation avec Rabat dépasse celui du Sahara occidental alors que pour Alger cela représente un point de rupture.
« La relation entre Paris et Rabat va au-delà du Sahara occidental. Il y a d’importants enjeux économiques entre les deux pays, avec derrière l’apport financier des Emirats arabes unis, un autre allié clé du Maroc dans la région du Maghreb en Afrique », explique un spécialiste des relations algéro-françaises.
Pour reprendre pied en Afrique, Emmanuel Macron semble miser plus sur le Maroc que sur l’Algérie, tout en tentant de sauver ce qui peut l’être de la relation avec celle-ci.
Alors que les relations économiques sont réduites aux échanges commerciaux et les rapports politiques sont au plus bas, il ne reste au président français que le dossier mémoriel pour arrondir les ongles avec Alger comme le laisse penser la réunion qu’il a tenue jeudi dernier avec la commission mixte d’historiens au cours de laquelle il a réitéré sa détermination à poursuivre le travail de « mémoire, de vérité et de réconciliation » sur le passé colonial de la France en Algérie.
Le timing et de la réunion et de la divulgation de sa teneur par l’agence AFP n’est pas fortuit. Il survient au lendemain de la nomination d’un nouveau gouvernement avec comme ministre de l’Intérieur un homme à l’ADN politique résolument opposé à toute repentance ou concession à l’Algérie sur la question mémorielle.
« Rien de bon pour la France ne sortira de l’obsession mémorielle que nourrit Emmanuel Macron sur la guerre d’Algérie », avait écrit Bruno Retailleau au retour du président Macron de son voyage en Algérie en août 2022.
La France mise sur le Maroc pour reprendre pied en Afrique
En perte de vitesse et avec un tel entourage, il est illusoire de croire que le président français puisse avancer plus qu’il ne l’a fait jusque-là sur un dossier aussi sensible que celui de la mémoire, une question qui revêt la même importance que l’immigration pour le courant dont dépend désormais le précaire équilibre politique en France.
Du côté d’Alger, les signaux négatifs perçus comme tels par Paris n’ont pas manqué aussi ces dernières années, avec une relation tourmentée par des polémiques et des crises incessantes. La lutte contre l’immigration clandestine et l’économie sont les deux grands dossiers qui cristallisent les reproches du côté français.
Paris reproche à Alger de ne pas coopérer suffisamment pour rapatrier les clandestins algériens en France. Au plan économique, les contentieux sont liés principalement au retour des constructeurs automobiles français notamment Renault en Algérie qui tarde à voir le jour même si le groupe Stellantis dont fait partie PSA est le plus grand bénéficiaire de la réouverture du marché algérien des véhicules après des années de fermeture.
La perte du marché algérien des céréales par les céréaliers français revient aussi souvent dans les critiques formulées par la partie française.
La situation actuelle donne à l’Algérie un avant-goût de ce que sera sa relation avec la France si l’extrême-droite accède au pouvoir en 2027. Dans cette perspective, l’Algérie est appelée à se préparer à une forte dégradation des relations avec la France, et probablement à une rupture.