La reconnaissance par le président français Emmanuel Macron de l’assassinat du héros national algérien Larbi Ben M’hidi par « des militaires français » continue de faire réagir.
Chems-Eddine Hafiz, le recteur de la Grande mosquée de Paris (GMP), estime que ce geste « a de nouveau soulevé l’espoir d’une ouverture historique », mais « en l’absence d’une démarche officielle plus vaste », il demeure “insuffisant pour combler le fossé entre les deux pays”.
« En Algérie, cette reconnaissance a suscité des critiques : on y voit une démarche mémorielle incomplète », a écrit le recteur de la Mosquée de Paris dans un billet publié sur le site internet de cette institution religieuse.
Le recteur de la Grande mosquée de Paris, qui a été reçu dimanche 3 novembre par le président de la République Abdelmadjid Tebboune, revient dans son billet mis en ligne sur le site officiel de l’institution religieuse lundi 4 novembre sur les multiples “occasions manquées” par la France et l’Algérie dans leur quête de cette réconciliation mémorielle qui s’inscrit désormais “en pointillés”.
Hafiz fait état d’un “enchaînement de promesses non tenues, d’actes inachevés et de dialogues interrompus”, ces soixante dernières années où tous les présidents français ont eu leur part de tentatives et ont tous manqué d’audace pour aller jusqu’au bout.
Depuis la visite, très symbolique de Valéry Giscard d’Estaing en Algérie en 1975, la première pour un chef d’État français depuis l’indépendance, jusqu’aux récents gestes d’Emmanuel Macron, les tentatives de réconciliation se sont succédé mais “n’ont jamais atteint le degré de sincérité et de profondeur nécessaires pour effacer les ressentiments”.
Le recteur de la Grande mosquée de Paris cite notamment le traité d’amitié envisagé au début des années 2000 par les présidents Abdelaziz Bouteflika et Jacques Chirac, et dont l’échec “a marqué une rupture durable”, la reconnaissance publiquement par Nicolas Sarkozy en 2007 des “souffrances subies par le peuple algérien sous le régime colonial” ou encore le pas de François Hollande qui a reconnu en 2012, les “souffrances” causées par la colonisation en Algérie.
“Dans les années 1990, alors que l’Algérie traversait la décennie noire de la guerre civile, la France est restée en retrait, peinant à affirmer entièrement sa solidarité à la lutte contre les mouvements extrémistes armés, ce qui a laissé des cicatrices supplémentaires sur le ressentiment algérien”, a-t-il ajouté.
Chems-Eddine Hafiz : la réconciliation mémorielle exige du courage politique
Emmanuel Macron n’est pas allé plus loin, même s’il a qualifié publiquement, alors qu’il était candidat à l’Elysée en 2017, la colonisation de « crime contre l’humanité » et commandé le rapport Stora qui a préconisé des actions concrètes.
“Pourtant, les mesures concrètes tardent à se mettre en place, et les réticences politiques continuent de freiner l’élan vers une véritable réconciliation”, constate le recteur de la mosquée de Paris, pour qui, ce “un goutte-à-goutte mémoriel, au lieu d’apaiser, ravive les douleurs du passé”.
Chems-Eddine Hafiz pointe du doigt le contexte politique en France marqué par “des tensions internes et une montée des discours identitaires”, qui, selon lui, “entrave une réconciliation pleine et entière” pendant que les débats sur l’immigration et l’identité “complexifient davantage la possibilité d’un dialogue apaisé sur le passé colonial”.
En plus d’une “opinion médiatique hostile” et des “forces politiques réticentes à affronter les zones d’ombre de l’histoire”, complète-t-il.
Le recteur de la Grande mosquée de Paris désigne clairement les binationaux, “héritiers d’une histoire commune, mais aussi les otages d’un passé non assumé”, comme “les premières victimes de cette impossibilité effective de réconciliation”.
La dualité que représente leur nationalité, qui devrait toujours être une richesse, “devient un fardeau lorsque les États refusent de reconnaître pleinement les souffrances infligées et subies”, analyse-t-il.
Chems-Eddine Hafiz, qui a été reçu par le président Abdelmadjid Tebboune, conclut en montrant la voie, qui est celle de dépasser “les gestes symboliques pour engager un véritable travail de mémoire, sincère et complet”. La réconciliation, estime-t-il, exige du “courage politique” et ne peut se contenter de “demi-mesures ou de reconnaissances partielles”.