Les répliques des déclarations faites à l’égard de l’Algérie par le président français Emmanuel Macron se poursuivent, avec l’hommage à Rome par Ramtane Lamamra à Jugurtha.
Le 30 septembre, au cours d’une rencontre à l’Elysée avec des jeunes qu’il a appelé les « petits-enfants de la guerre d’Algérie », Emmanuel Macron avait émis de sévères critiques à l’adresse des dirigeants algériens.
Il a interrogé l’histoire quant à l’existence d’une nation algérienne avant l’indépendance en 1962.
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Les réactions en Algérie, du côté des officiels, de la société civile et même d’une partie de l’opposition, ont porté sur cette remise en cause. L’Algérie a décidé de rappeler son ambassadeur à Paris et fermé son espace aérien aux avions de l’armée française qui se rendent au Mali dans le cadre de l’opération Barkhane.
Aux avant-lignes de cette riposte, le ministre Algérien des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra. Au cours d’une visite au Mali justement, mardi 6 octobre, il a dénoncé une « faillite mémorielle » qui met les relations de la « France officielle avec certains de nos pays dans des situations de crise malencontreuses », appelant les autorités françaises à « décoloniser leur propre histoire ».
« Ils ont besoin de se libérer de certaines attitudes, comportements et visions qui sont intrinsèquement liés à la logique incohérente portée par la prétendue mission civilisatrice de l’Occident », a-t-il dit à Bamako.
Deux jours plus tard, le chef de la diplomatie algérienne était à Rome pour le sommet Italie-Afrique. Hasard du calendrier ou expression des tensions latentes entre les deux voisins européens, la ville de Montpellier abritait simultanément le traditionnel sommet France-Afrique.
Contrairement aux éditions précédentes, les Français ont choisi pour cette année un nouveau format : le président français face aux représentants de la société civile africaine, sans les autorités officielles du continent. Même sans cette nouveauté, Lamamra ne se serait probablement pas rendu à Montpellier au vu de tout ce qui s’est passé ces derniers jours entre l’Algérie et la France.
« L’Afrique, tombeau du colonialisme »
En Italie, c’est en marge des travaux du sommet qu’il est revenu à la charge concernant les déclarations du président français. Pour rappeler aux Français et au monde la profondeur de l’histoire nationale, il s’est rendu à la prison romaine où fut détenu Jugurtha, l’un des héros de l’Algérie antique.
قطعة من تاريخ الجزائر الممتدة جذوره في قلب روما. آخر مكان سجن وقتل فيه ملك نوميديا يوغرطه ابن سيرتا وحفيد ماسينيسا سنة 104 قبل الميلاد، بعد حرب ضروس ضد الرومان دامت 7 سنوات. pic.twitter.com/XJpV8HeidO
— Ramtane Lamamra | رمطان لعمامرة (@Lamamra_dz) October 7, 2021
Une visite qu’il a partagée sur son compte Twitter. «Une séquence de l’histoire de l’Algérie, aux racines ancrées dans la profondeur de Rome. Le lieu où fut emprisonné et tué le roi de Numidie Jugurtha, fils de Cirta et petit-fils de Massinissa, en 104 AV-JC, après une guerre féroce qui a duré 7 ans contre Rome », a écrit Ramtane Lamamra.
Une manière de remettre les choses à leur endroit après l’interrogation d’Emmanuel Macron sur l’existence de la nation algérienne avant la colonisation française.
Tous ceux qui, en France, partagent l’idée qui veut que l’Algérie n’ait aucune existence en tant que nation avant sa colonisation en 1830, peuvent lire entre les lignes ce message Sibyllin : vous ne pouvez pas remonter aussi loin pour parler de votre propre histoire.
L’évocation de Jugurtha s’inscrit aussi en droite ligne des récentes déclarations du ministre des Affaires étrangères et de celles de toute l’Algérie officielle, concernant le colonialisme et sa prétendue « mission civilisatrice ».
Jugurtha est pour les Algériens le symbole de la résistance de leurs ancêtres à la Rome antique et ses velléités d’expansion et de domination. À Bamako, Lamamra a déclaré que « l’Afrique est le berceau de l’humanité », mais aussi le « tombeau du colonialisme ». Les défaites infligées par l’armée de Jugurtha aux légions romaines sont l’illustration de cette affirmation.
Aussi, le sort atroce qui lui a été réservé –il est mort de faim dans un cachot romain- est une séquence de la hideur du colonialisme, quel que soit son nom ou son époque.
Ce n’est pas la première fois que le nom de Jugurtha est évoqué par l’Algérie pour porter la contradiction dans un litige diplomatique. En juillet dernier, un commentaire de la revue de l’ANP, El Djeich, rappelait au Maroc toutes ses trahisons envers l’Algérie à travers l’histoire, parmi lesquelles la livraison de Jugurtha à Rome par Bochus, roi de la Maurétanie césarienne, soit le Maroc actuel.
L’Algérie peut s’en vouloir d’avoir elle-même occulté sa profondeur historique. Pendant au moins les 30 premières années de son indépendance, elle a presque complètement ignoré la dimension amazighe de son identité, et partant, les hommes et les faits antérieurs à la conquête musulmane au 7e siècle.
Malgré les avancées enregistrées dans ce sens depuis les années 1990, un personnage comme Jugurtha n’a toujours pas la place centrale qu’il devrait occuper dans le récit national.